Deux semaines plus tard, elle m'a convoqué. Le prétexte était un dîner de travail urgent concernant le projet Lavigne.
Le lieu : un salon privé chez L'Ambroisie, un restaurant trois étoiles sur la Place des Vosges.
Quand je suis entré, j'ai tout de suite compris.
Ce n'était pas un dîner de travail.
Antoine était là, assis à côté d'Éléonore. Autour de la table, il y avait une demi-douzaine de leurs amis, des visages familiers du cercle mondain parisien.
Ils ont tous arrêté de parler quand je suis arrivé.
Un silence gêné s'est installé.
Éléonore a souri, un sourire de prédatrice.
« Julien, enfin. Assieds-toi. On t'attendait. »
Je me suis assis à la place vide, directement en face d'eux. L'ambiance était électrique.
Le dîner a commencé. C'était une torture.
Chaque conversation était une pique déguisée.
« Alors Julien, j'ai entendu dire que tu avais déménagé dans le Marais. C'est... courageux. Tellement... bohème. » a lancé une femme avec des diamants aux oreilles.
« Antoine, tu dois absolument montrer à Julien les photos de ta nouvelle galerie. Il adore l'art, n'est-ce pas, chéri ? » a dit Éléonore, en posant sa main sur le bras d'Antoine.
Antoine, lui, jouait l'innocence.
« Oh, laissons Julien tranquille. Il a l'air fatigué. Le travail, sans doute. »
Il me regardait avec une fausse compassion. Il savourait chaque instant.
Le pire a été quand Éléonore a levé son verre.
« Je voudrais porter un toast. À Antoine. Pour son retour à Paris. Et pour les nouveaux départs. »
Tous les verres se sont levés. Sauf le mien.
Je les ai regardés, un par un. Leurs visages suffisants, leurs sourires cruels.
Éléonore m'a fusillé du regard.
« Tu ne bois pas, Julien ? Tu es de mauvaise humeur ? Tu gâches la soirée. »
« Tu trouves que je gâche la soirée ? » ma voix était calme, posée.
« Oui. Tu fais une scène pour rien. Ce divorce, c'est une crise de nerfs. Tu devrais te ressaisir. »
C'était trop.
Je me suis lentement levé. J'ai déplié ma serviette et je l'ai posée délicatement sur la table.
J'ai regardé Éléonore, puis Antoine.
« Vous avez raison. Je ne devrais pas gâcher votre soirée. »
J'ai levé mon verre d'eau.
« Alors je vous souhaite tout le bonheur du monde. J'espère que vous vous retrouverez et que vous serez heureux. Vraiment. »
Mon ton était sincère, mais mes mots étaient du poison pour eux.
« Quant à moi, je vous laisse à vos... nouveaux départs. »
J'ai fait un léger signe de tête et je me suis dirigé vers la sortie, sans un regard en arrière.
En sortant dans l'air frais de la Place des Vosges, j'ai respiré profondément.
Je n'étais pas humilié.
J'étais libre.