Le soir, au bistro, l'ambiance était tendue. Camille était déjà là avec Julien. Elle avait l'air fragile, comme d'habitude, avec ses grands yeux anxieux.
« Chloé, merci d'être venue », a-t-elle dit d'une petite voix. « Je suis désolée pour hier. Mes crises... elles sont incontrôlables. Julien est le seul qui sache me calmer. »
Elle parlait de lui comme de son sauveur, de son ancre. Et lui, il buvait ses paroles, le regard plein d'une tendresse protectrice que je n'avais jamais eue.
J'ai commandé un verre de vin. Julien a froncé les sourcils. Il n'aimait pas que je boive de l'alcool, un de ses nombreux "principes".
Le dîner a commencé. Ils parlaient de leurs souvenirs d'enfance, de leur histoire familiale commune. J'étais une spectatrice, une étrangère à leur table.
Puis, l'incident qui a tout fait basculer.
Camille a dit : « Oh, Julien, j'ai oublié mon carton à dessin dans ta voiture. J'espère que ça ne dérange pas. »
Julien a souri. « Bien sûr que non, Camille. Tu peux y laisser ce que tu veux. »
Je me suis figée, ma fourchette en l'air. Sa voiture. Sa BMW impeccable. Le sanctuaire dans lequel il m'avait formellement interdit, une fois, de manger un simple croissant parce que "ça fait des miettes".
J'ai posé ma fourchette. J'ai regardé Julien.
« C'est drôle », j'ai dit, ma voix était parfaitement calme. « Camille a le droit de laisser ses affaires d'art pleines de fusain et de peinture dans ta voiture, mais moi, je n'ai jamais eu le droit d'y boire une bouteille d'eau. »
Le silence est tombé. Julien est devenu pâle. Camille a regardé son assiette, mal à l'aise.
« Chloé, ce n'est pas pareil... », a commencé Julien.
« Non, tu as raison. Ce n'est pas pareil. Parce qu'elle, c'est Camille. Et moi, je ne suis que moi. »
Je me suis levée. J'ai pris mon sac.
« Je vous laisse. Vous avez l'air d'avoir beaucoup de choses à vous dire. »
Je suis partie sans un regard en arrière, laissant Julien et sa "sœur" à protéger dans leur monde parfait. En marchant dans la rue, j'ai sorti mon téléphone. J'ai regardé une vieille photo de nous deux. J'avais l'air si heureuse, si naïve. J'ai effacé la photo. Puis j'ai effacé toutes les autres.
C'était une purge. Douloureuse, mais nécessaire.