Ils étaient enlacés passionnément près de la grande baie vitrée qui donnait sur Paris.
Camille était assise sur le bureau d'Antoine, ses jambes enroulées autour de sa taille. Antoine l'embrassait avec une ferveur qu'Amélie n'avait jamais connue de lui.
La scène lui serra la gorge.
Elle recula doucement, déposa les documents sur le bureau vide de la secrétaire d'Antoine, qui était en pause, et s'enfuit.
C'était une torture silencieuse, de le voir si épris d'une autre, si ouvertement, dans ce bureau où elle avait passé tant d'heures à ses côtés, dans l'ombre.
Plus tard dans l'après-midi, Amélie rappela à Antoine une réunion cruciale prévue avec les PDG de plusieurs autres grands groupes de luxe. Une réunion qu'elle avait mis des semaines à organiser.
"Monsieur de Valois, votre réunion avec le consortium est dans trente minutes," dit-elle par l'interphone, sa voix neutre.
Un silence. Puis la voix de Camille, mielleuse : "Chéri, tu ne vas pas me laisser seule maintenant, si ? On avait prévu d'aller choisir des tissus pour redécorer l'appartement."
Antoine répondit, sa voix légèrement impatiente mais cédant : "Amélie, annulez cette réunion. Reportez-la. Dites-leur que j'ai un imprévu majeur."
"Mais Monsieur," insista Amélie, "c'est une réunion très importante. Ils viennent de loin. Annuler au dernier moment sera très mal perçu."
"Faites ce que je vous dis, Amélie," trancha Antoine, sa voix dure. "Et débrouillez-vous pour que ça ne me retombe pas dessus. Trouvez une excuse crédible."
Amélie serra les dents. C'était elle qui allait devoir affronter les foudres des autres PDG, elle qui allait devoir mentir et s'excuser platement.
Elle entendit Camille rire doucement en arrière-plan.
L'aveuglement d'Antoine face aux caprices de Camille était total. Son travail, sa réputation, rien ne semblait compter face à elle. Amélie se sentait impuissante et de plus en plus écœurée.
Peu après, Camille de Rohan fit une entrée remarquée dans l'open space où travaillait Amélie.
Elle se pavanait, vêtue d'une robe griffée qui devait coûter plusieurs mois de salaire d'Amélie.
Elle s'arrêta devant le bureau d'Amélie, un sourire condescendant aux lèvres.
"Ah, vous êtes l'assistante. Amélie, c'est ça ?"
Amélie hocha la tête, gardant son calme.
"Bien. J'ai une petite soif. Et je pense que tout le monde ici travaille dur. Apportez des cafés pour tous les employés de cet étage. Il y en a combien ? Quatre cents ? Cinq cents ?"
Amélie la regarda, stupéfaite. "Madame de Rohan, je suis l'assistante de Monsieur de Valois. Je ne suis pas serveuse. Il y a une cafétéria et des machines à café..."
Camille l'interrompit, son sourire s'élargissant cruellement. "Oh, mais Antoine m'a dit que vous étiez très dévouée. Et très... serviable. Il insiste pour que je me sente comme chez moi ici. Alors, faites-le. Pour moi. Et pour lui."
Elle se pencha, baissant la voix pour qu'Amélie seule l'entende. "Considérez cela comme un avant-goût de ce qui vous attend si vous traînez encore dans les parages."
Puis, elle ajouta à voix haute, pour que les autres entendent : "Le mien, ce sera un café glacé, sans sucre. Et dépêchez-vous, je n'ai pas toute la journée."
Amélie se sentit humiliée, exposée. Plusieurs collègues la regardaient avec un mélange de pitié et de gêne. Personne n'osait intervenir.
Elle n'avait pas le choix. Refuser ouvertement aurait causé un esclandre et Camille aurait tout rapporté à Antoine, en se faisant passer pour la victime.
Amélie passa les deux heures suivantes à faire des allers-retours à la cafétéria, préparant et distribuant des cafés. Une tâche absurde, dégradante.
Quand elle apporta enfin le café glacé à Camille, qui s'était installée nonchalamment dans le bureau d'Antoine, celle-ci le prit, le goûta, et fit une grimace exagérée.
"Qu'est-ce que c'est que ça ? Il y a des glaçons dedans ! Vous essayez de me rendre malade ?"
Amélie fronça les sourcils. "Vous avez demandé un café glacé, Madame de Rohan. Il y a donc des glaçons."
"Mais j'ai mes règles, idiote !" siffla Camille, son visage se tordant de fureur. "Vous croyez que je peux boire des choses glacées dans cet état ? Vous êtes stupide ou vous le faites exprès ?"
Avant qu'Amélie ne puisse répondre, Camille lui jeta la tasse de café au visage.
Le liquide froid et collant la trempa, et le bord de la tasse heurta sa pommette. La douleur fut vive.
Des gouttes de café coulaient sur son chemisier blanc, le tachant irrémédiablement.
Quelques employés, témoins de la scène depuis le couloir, restèrent figés, choqués.
Antoine, attiré par le bruit, sortit de la salle de réunion attenante où il était retourné après son escapade avec Camille.
Il vit Amélie, dégoulinante de café, une rougeur marquant sa joue, et Camille, l'air furieux mais feignant la détresse.
"Antoine, chéri ! Cette fille est incompétente ! Elle a essayé de m'empoisonner avec ce café glacé alors que je lui ai bien dit que j'étais indisposée !"
Antoine se tourna vers Amélie, son visage dur, ses yeux froids.
"Amélie ! Qu'est-ce qui vous prend ? Vous ne pouvez pas faire une chose aussi simple que de préparer un café correctement ?"
"Mais Monsieur, elle a demandé un café glacé..." tenta Amélie, la voix tremblante.
"Ça suffit !" la coupa Antoine. "Camille est ma fiancée. Vous lui devez le respect et le meilleur service. Si elle dit que le café n'est pas bon, c'est qu'il n'est pas bon. Vous êtes incapable de gérer la moindre tâche sans créer de problèmes."
Il ne lui laissa aucune chance de s'expliquer. Il ne vit pas la méchanceté dans les yeux de Camille, seulement sa prétendue fragilité.
"Pour cette incompétence manifeste et ce manque de respect envers Mademoiselle de Rohan, votre salaire de ce mois-ci sera réduit de moitié. Et excusez-vous immédiatement auprès d'elle."
Amélie était abasourdie. Non seulement elle était agressée, mais elle était punie.
Elle regarda Antoine, cherchant une once de justice, de compréhension. Elle ne trouva que de la froideur et de l'agacement.
Camille souriait triomphalement derrière l'épaule d'Antoine.
Amélie serra les poings, ravalant son humiliation et sa colère. Elle ne s'excuserait pas.
"Je ne m'excuserai pas pour une chose que je n'ai pas mal faite," dit-elle d'une voix basse mais ferme.
Antoine la foudroya du regard.
"Très bien. Dans ce cas, considérez cela comme un avertissement officiel. Une autre incartade et vous serez licenciée pour faute grave."
Il prit Camille par le bras, d'un geste protecteur. "Viens, mon amour, ne te laisses pas affecter par cette sotte. Je vais te chercher moi-même ce dont tu as besoin."
Ils partirent, la laissant seule, souillée, blessée et profondément trahie. Le silence dans l'open space était assourdissant.