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Annabellia
Mais qu'est-ce que je fous là ?
Hors de moi, je souffle tout en garant le combi de Narumi. Bon sang ! Moi, dans un truc comme ça ? Elle veut ma peau, c'est obligé !
Les filles sortent en babillant, et moi je me mords les doigts de les avoir accompagnées. Mais pourquoi les garçons sont-ils partis bosser dans cette boîte ?
Ils adorent danser, mais merde, chippendale, quoi ! Ils ne pouvaient pas être serveurs, plombiers, flics même ! Je crois même que j'aurais accepté qu'ils m'expriment vouloir devenir prêtres, ça m'aurait moins choquée, finalement. Non ! Il faut qu'ils se foutent à poil, c'est juste pour me faire chier de toute façon !
Je sais ce que vous vous dites :
– Anna, ma grande (c'est un coup vache, ça !) tout ne tourne pas autour de toi !
Je suis bien placée pour le savoir, sauf que ces deux petits cons s'en vantent. Je les ai entendus parler avec leurs sœurs qui n'étaient pas du tout heureuses de savoir où ils allaient se produire. Pourquoi de toutes les boîtes existantes, ils ont choisi Daemonuis ?
Tout simplement parce qu'ils savaient que je refuserais. OK ! À leur âge, j'étais loin d'être beaucoup plus intelligente et j'étais une emmerdeuse, j'en suis consciente. Mais de là à se produire nu devant des femmes en furie, j'avoue ne pas saisir le principe.
D'autant, quand on a autant à perdre que nous, car si on leur met la main dessus, nous aurons fait tous ces sacrifices pour rien. Mais allez expliquer ça à des gamins qui pensent que votre bonheur, c'est uniquement de leur pourrir la vie.
Oui, je sais que ce terme est péjoratif et que cela peut même blesser sauf que leurs réactions me confirment leur cruel manque de maturité. Il n'en reste pas moins que je me sens responsable d'eux, je n'ai retrouvé aucune trace de leurs parents et ce n'est pas faute d'avoir cherché. Toutefois dans les enfers, il n'existe pas de fichiers de présences et encore moins de naissances. Je perdrais moins de temps à chercher une aiguille dans une meule de foin.
Enfin bref, les filles m'ont toutes devancée. Il ne reste que Bryrja ainsi que Éole en train de m'attendre à la porte.
– Rappelez-moi pourquoi je conduis ? leur demandé-je, énervée.
– Parce que tu sais que Bromia et Narumi vont sûrement faire leurs chipies. Tu les connais, elles seront intenables avec les danseurs. Sans oublier qu'elles n'hésiteront pas à faire râler Snow et Sky, me résument assez justement mes deux amies.
Impossible de retenir mon sourire en les entendant, car cela colle parfaitement à la réalité. J'adore Narumi, elle est discrète sauf lorsqu'elle est avec Bromia. Lorsqu'elles sont ensemble, c'est comme si les sept plaies d'Égypte étaient libérées au même endroit. Le pire, c'est que tout cela est le fruit d'une mise en scène. Les gens comme les démons, s'arrêtent sur le fait qu'elles soient un peu fofolles et ne se méfient pas. Sauf que ce n'est pas le cas, nous travaillons de concert afin de protéger les personnes ou créatures qui nous sollicitent. Seul problème : leur manque considérable de discrétion. Je suis souvent forcée d'effacer la mémoire de certains humains, même si ces derniers connaissent notre existence. Beaucoup ignorent l'étendue de nos pouvoirs, ce qui risque de nous faire remarquer. À croire que c'est ce qu'elles cherchent. Je soupire encore plus irritée et je rentre dans cette boîte à la mode que j'exècre.
Tout le monde ne parle que de ça, je ne sais pas si le patron de ce bouge se rend compte qu'il risque d'amener les vampires à s'intéresser à lui. Ou alors, il est à leurs soldes, ce qui expliquerait beaucoup de choses. Ces agissements ont tendance à m'énerver encore plus. Dans quel merdier ces deux nigauds se sont encore fourrés !
Je sais que je suis trop dure avec eux. Seulement les fées, hommes comme femmes, sont des êtres charmeurs par nature. Et contrairement à leur sœur Sélène qui tente par tous les moyens de se faire discrète, les trois autres me donnent du fil à retordre depuis des années... C'est comme ça, ils ne peuvent pas s'en passer et ils ne font pas exception à la règle. Des mois déjà qu'ils tentent de rentrer au conservatoire sans être retenus. Pourtant, à chaque coup, ils réussissent leurs examens. En vain.
S'interroger sur les raisons de leur refus est chose légitime vu leurs aptitudes. Pourquoi ne sont-ils jamais acceptés ?
J'admets m'être interrogée sur le sujet et la réponse m'a offusquée : « Comprenez bien notre envie de les accueillir, mais cette décision s'avèrerait injuste envers nos danseurs humains. Et puis on ne sait jamais, d'autres "créatures" pourraient aussi demander à bénéficier d'un passe-droit. »
Comme s'ils étaient responsables de leur naissance ou même si c'était une tare de ne pas être né humain, je sens ma colère enfler au souvenir de ma conversation avec le recteur. Une main se pose sur mon épaule. Je regarde mon amie, agressivité apparente sur mon visage. Elle prononce d'une voix douce aux antipodes de sa nature de valkyrie :
– Anna, cesse de te rendre malade ! Tu ne pourras pas sauver la Terre entière.
– Bryrja, comment sais-tu toujours ce que je pense ? m'exclamé-je, curieuse.
– Facile, je lis en toi, comme dans un livre ouvert, dit-elle en souriant. Ou alors c'est parce que tu serres tellement fort ce programme, qu'il commence à devenir poussière, finit-elle avec un rictus apparent.
Je regarde mes poings fermés contenant le papier totalement froissé en souriant, mais celui-ci se fane automatiquement lorsque je hume une odeur qui me répugne. Avant même que j'aie pu dire ou faire quoi que ce soit, un genre de bûcheron canadien en chemise blanche et pantalon de costume me tombe dessus :
– Toi, tu dégages !
Je lève la tête pour l'examiner attentivement. La vue me fait sortir de mes gonds immédiatement. Dans le même temps, mon poing frappe un mur de titane.
– Je fais ce que je veux ! fulminé-je. Dis-toi une chose, Ducon, je n'ai pas envie de foutre les pieds dans ton bordel, sauf que tu as engagé de très bons amis à moi. Et je viens vérifier que tu les traites correctement. Compris ?
Il me fixe, immobile, comme s'il avait vu un fantôme, ce qui a le don de m'agacer encore plus.
– Tu vas continuer longtemps à me regarder comme un poisson mort, Ducon ?
– Tu, enfin vous ne pouvez pas entrer, c'est la politique de la maison, je suis nav...
– Écoute-moi bien, démon de seconde zone. Je sais qui tu es ou plutôt ce que tu es, dis-je en grommelant tout en me rapprochant pour qu'il comprenne que je ne plaisante pas. Tu peux rêver pour t'approcher de moi et je peux t'assurer que mes amis vont quitter votre taudis, beaucoup plus vite que ton minable patron et toi ne l'imaginez ! finis-je en lui envoyant un coup de poing dans l'épaule.
À ma stupéfaction et malgré la force que j'ai mise dans mon mouvement, l'homme ne bouge pas d'un iota. Son parfum sature mes sens et je commence à percevoir des sensations que je pensais avoir oubliées. Mes yeux ne cessent de scruter chaque partie de son anatomie, de son visage en passant par ses muscles puissants qui tendent le tissu de sa chemise. J'essaie de me focaliser sur ses yeux et je comprends trop tard mon erreur.
Non, je refuse de voir ce que mon cœur et surtout mon corps sont en train de réaliser. Ces traîtres doivent dormir, je leur donne assez de bouffe pour qu'ils me foutent la paix ! Encore plus excédée, je grommelle :
– Putain ! Mais tu es qui toi, le videur ?
Je sais pourquoi je suis aussi violente avec cet homme. Ses deux mètres de muscle et ses yeux orageux sont pareils à de la came pour une toxico, ma chair se tend irrésistiblement vers lui.
Je l'écoute me dire des inepties qui feraient frémir la plus douce des féministes. Je suis assez près de lui, pour tenter de lui mettre un coup de genou dans ses valseuses. Dire que je suis furieuse est l'euphémisme du siècle. D'ailleurs pas qu'envers les garçons ou ce mec, beau comme seuls les démons peuvent l'être, mais surtout contre cette garce de libido qui après des siècles de silence, a décidé de se réveiller au plus mauvais moment.
– Hum ! Bestiale, j'adore, me murmure-t-il à l'oreille.
Je ne l'ai même pas vu s'avancer. La fragrance qu'émet sa peau ne me laisse pas de doute sur ce qu'il est et c'est bien cela qui a dû réveiller cette traîtresse. Elle a reconnu un des siens, mais cours pour que je cède, ma fille !
Cela fait des années que je me bats contre mes pulsions, alors ce n'est pas un incube qui mettra ma maîtrise à sape. Même si ce mec est beau à s'en damner et que son parfum fait hérisser chaque poil de mon corps. Jamais, je ne céderai, plutôt retourner en enfer !