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Âmes sauvages

Âmes sauvages

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Résumé

Moïra n'a jamais eu sa place nulle part. Marquée dans sa chair et dans son âme, elle a appris à se fondre dans le silence et la solitude. Mais lorsqu'un rêve obsédant la pousse vers une tribu coupée du monde, son quotidien bascule. Là-bas, les regards sont méfiants, les traditions ancestrales, et un certain guerrier aux yeux sombres semble la rejeter autant qu'il l'observe. Nashoda. Fier, secret, et en guerre contre ce que sa présence éveille en lui. Mais Moïra est venue chercher des réponses. Pas l'amour. Pas la haine. Et certainement pas ce qu'elle va découvrir. Un destin ancien s'éveille... Et avec lui, les frontières entre le visible et l'invisible se brouillent.

Chapitre 1 Là où tout commence

Les nuages s'étaient tassés au-dessus d'Édimbourg comme un troupeau de bœufs lourds et menaçants. Le ciel, d'un gris charbon, semblait peser sur les épaules du monde. Moïra MacLeod s'arrêta un instant sur le pont de Dean Village, là où l'eau du Water of Leith chantait entre les pierres, et leva les yeux. Un corbeau s'était posé sur un réverbère. Il la fixait.

Elle lui rendit son regard.

Le vent s'immobilisa.

Une image jaillit dans son esprit : des mains humaines jetant du pain moisi à des oies affamées, un chien noir attaché sous une pluie battante, des boîtes de sardines éventrées dans une benne derrière un pub. Ce n'étaient pas ses souvenirs. C'étaient ceux du corbeau. Une perception étrange, crue, presque douloureuse. Et pourtant limpide.

Elle rompit le contact et le corbeau s'envola, laissant derrière lui un vide dans l'air.

Cela faisait dix-neuf jours que Moïra était orpheline pour la seconde fois.

La première fois, elle n'avait que six ans. Ses parents avaient disparu sans laisser de traces, comme engloutis par les brumes des Highlands.

La seconde, c'était sa grand-mère, Maeve, son roc, sa sorcière bienveillante, sa seule lumière. C'est un cancer brutal, silencieux, qui l'avait emportée en quelques semaines. Rien, pas même la magie, n'aurait pu arrêter cette mort.

Sur le pont, le vent fouettait encore Moïra, jouant avec ses cheveux comme un souffle de liberté pure. L'air frais, chargé des odeurs de la mer et des pierres anciennes, lui offrait une parenthèse d'évasion, un temps suspendu, sans chaînes ni poids. Là, au-dessus de la ville, elle pouvait presque croire que tout était possible, que les blessures enfouies du passé pouvaient s'effacer au rythme du vent.

Mais le retour à son appartement brisait brutalement cette illusion. Les murs, vastes et silencieux, se resserraient autour d'elle, alourdis par des souvenirs figés et des ombres persistantes. Elle vivait désormais dans une chambre trop grande pour elle, au cœur d'un appartement qui gardait jalousement ses secrets. L'espace, vaste et vide, résonnait d'une solitude glaciale, chaque pièce emplie d'ombres et de reliques d'un passé qu'elle pensait maîtriser. Elle avait cru pouvoir rester à Édimbourg, poursuivre son travail au journal, enfouir sa douleur sous une pile de manuscrits et de légendes anciennes. Sa rubrique, où elle disséquait les mythes du monde à la recherche de leur vérité cachée, était devenue un refuge – un voile protecteur derrière lequel personne ne soupçonnait la sorcière qu'elle était vraiment.

Mais, lorsqu'elle poussa la porte de son bureau – une pièce presque sacrée, tapissée de livres reliés, de parchemins et de cartes anciennes, baignée d'une lumière tamisée –, le poids de sa solitude l'étreignait plus fort que jamais. Là, au milieu des manuscrits, elle réalisait que cette routine, cette passion pour l'énigme et le secret, ne suffisaient plus à la sauver. Les morts ne dorment pas quand on les fuit.

Peut-être avait-elle besoin d'air, d'un souffle neuf pour chasser la lourdeur qui l'étouffait. Peut-être qu'un changement radical s'imposait, un départ nécessaire pour avancer. Mais pour cela, il lui faudrait tourner la page du passé - un passé qui la hantait encore, plus vivant que jamais dans chaque recoin de sa mémoire.

C'est ainsi que Moïra reprit la route vers la maison de son enfance, au nord de Pitlochry, là où la mousse recouvrait les pierres anciennes et où les forêts semblaient chuchoter des secrets oubliés aux âmes attentives. Chaque kilomètre creusait en elle un mélange de nostalgie et d'angoisse sourde, comme si elle marchait vers un point de non-retour.

Quand elle aperçut enfin la vieille bâtisse de sa grand-mère, son souffle se fit court. Le bois des volets, usé par les tempêtes et le temps, gardait la trace de milliers d'hivers. L'odeur du feu de tourbe, mêlée à celle de la terre humide, flottait dans l'air, puissante et presque familière, comme une présence invisible qui l'attendait. L'émotion monta en elle, douce-amère, un mélange de chaleur et de douleur, comme si la maison elle-même lui rappelait tout ce qu'elle avait perdu.

Elle ouvrit la porte, et l'intérieur, resté figé dans le temps, la submergea. Des bouquets séchés pendaient encore au plafond, suspendus comme des témoins silencieux. Les bocaux de plantes, alignés avec une précision presque rituelle sur les étagères de la cuisine, semblaient attendre qu'on les observe, qu'on leur rende hommage.

Tout était intact, et pourtant, chaque objet résonnait avec une absence, une mémoire douloureuse.

Puis, elle posa les yeux sur l'escalier qui menait au grenier. Les marches, grinçantes et usées, semblaient plus hautes, plus raides qu'elle ne se souvenait. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, ses mains légèrement moites cherchant à se rassurer. Ce grenier, elle ne l'avait pas vu depuis ses treize ans - depuis l'incendie qui avait brûlé une part d'elle-même. Chaque pas vers cet endroit était une lutte intérieure, un combat entre la peur et le besoin de savoir.

Avec une lampe torche dans une main tremblante, elle posa le pied sur la première marche. Puis la suivante. Le bois gémissait sous son poids, chaque craquement lui renvoyant l'écho de souvenirs enfouis, de secrets oubliés. Le vide qui l'attendait en haut du dernier palier lui fit presque baisser les bras. Mais elle avança.

Dans le grenier, l'odeur âcre de poussière se mêlait à celle du bois ancien, enveloppant Moïra d'une sensation étrange, à la fois pesante et rassurante. Sous une bâche jaunie, elle retrouva enfin les cartons de son enfance - un coffre aux trésors d'un autre temps. Un ours en peluche, mutilé, sans un œil, semblait fixer un passé qu'elle avait tenté de fuir. Un livre de contes, dont les pages fragiles portaient encore les marques des histoires lues et rêvées. Des dessins aux traits nerveux, représentant des corneilles et des loups, animaux familiers de ses nuits agitées.

Un sourire amer se dessina sur ses lèvres, une petite victoire contre la douleur et l'oubli.

Puis elle aperçut la malle. Petite, basse, en bois sombre, marquée par les années, fermée par une serrure rouillée qu'elle reconnut aussitôt. C'était celle que sa grand-mère appelait la malle des objets « dangereux ». Non pas par peur, mais parce que, selon elle, « les réponses viennent toujours trop tôt ou trop tard, rarement quand il faut ». Moïra s'agenouilla devant la malle, ses doigts tremblants effleurant le bois sombre, froid et rugueux sous ses paumes. Le vieux coffret semblait absorber la faible lumière du grenier, comme un secret bien gardé qui refusait de se dévoiler. Elle ferma les yeux un instant, inspirant profondément l'air poussiéreux chargé d'odeurs de tourbe et de feuilles séchées, puis sortit de sa poche un tournevis usé, le seul outil qu'elle avait pensé à emporter.

Elle glissa doucement la pointe du tournevis dans la serrure rouillée, dont les bords étaient dentelés par le temps. Un petit grincement aigu perça le silence du grenier, et un souffle léger - à peine perceptible, comme un souffle de vie - sembla émaner de la malle. Son cœur battait à tout rompre, comme si le bois même vibrait sous ses doigts.

Elle tourna lentement le tournevis, avec précaution, redoutant que ce geste libère quelque chose d'imprévu. Puis, enfin, un déclic sec retentit, un murmure presque inaudible. La serrure céda, et le couvercle s'ouvrit lentement, craquant sur ses gonds anciens.

Un souffle frais s'échappa alors de l'intérieur, comme si un vent d'ailleurs venait de franchir le seuil du grenier. À l'intérieur, reposaient des objets chargés de secrets. Un châle de laine noire, brodé de symboles celtiques finement tracés, semblait vibrer d'une énergie imperceptible, comme un voile tissé de mémoire et de mystères. Une pierre lisse en forme de goutte d'eau, rouge sombre, captait la lumière d'une façon étrange, et trois plumes y étaient attachées, frémissant doucement sans que la moindre brise ne souffle.

Un médaillon gravé d'un loup, dont les yeux paraissaient presque luire dans la pénombre, reposait là, comme un gardien silencieux.

Enfin, un carnet en cuir, dont les coins rongés portaient la trace du temps et de mille secrets, semblait appeler Moïra.

Elle le prit délicatement. Le cuir était tiède, presque vivant, comme s'il contenait un souffle intérieur. Un souffle ancien.

Un léger murmure sembla s'élever dans la pièce, à peine audible, comme un chant lointain porté par un vent invisible. Moïra sentit alors que ce carnet n'était pas un simple recueil de notes, mais une clé. Une clé vers des vérités que sa grand-mère avait voulu préserver - et protéger.

Les pages étaient couvertes d'une écriture fine, presque nerveuse, qui semblait vibrer sous ses yeux. Certaines lignes avaient été soigneusement rayées, comme pour effacer des secrets trop lourds, tandis que d'autres étaient griffonnées avec rage, ou tracées au crayon à demi effacé, comme des pensées pressées, des cris à demi étouffés.

Moïra lut à voix basse, ses lèvres tremblant légèrement :

« Il voit dans les bêtes. Comme elle. »

« Le sang du loup. Le chant du vent. Elle est née des deux mondes. »

« Ils les ont chassés jusqu'à l'oubli. Mais le sang appelle le sang. »

« Ne pas prononcer son nom. Ne pas ouvrir le cercle. »

Chaque phrase semblait venir d'un autre monde, un monde où le réel se mêlait au rêve et à la magie. Certaines pages étaient couvertes de dessins : des créatures hybrides, mi-humaines, mi-fauves, figées dans des postures étrangement vivantes. Toujours, il y avait ces yeux, grands, perçants, comme s'ils observaient Moïra à travers les siècles.

Puis, coincée entre deux pages, elle découvrit une photo jaunie, en noir et blanc. Un homme jeune, la peau brune, les cheveux longs tressés, ornés de symboles tribaux gravés comme une seconde peau sur sa gorge. Son sourire s'étirait en un rire franc, sauvage, presque bestial. Il ressemblait à un loup qui aurait pris forme humaine.

Le cœur de Moïra se serra violemment. Ce visage, elle ne l'avait jamais vu. Pourtant, quelque chose au plus profond d'elle criait qu'il s'agissait de son père.

D'autres photos glissèrent sous ses doigts : des paysages arides, des cercles de pierres anciens, des enfants jouant sous des tipis, une lune gigantesque dominant une vallée rouge sang.

Enfin, elle trouva une carte. Le Montana. Une région encerclée à l'encre noire, juste au-dessus d'un dessin griffonné à la hâte : une silhouette de femme, bras levés vers un loup dressé, la pleine lune suspendue entre eux.

Moïra resta figée, le souffle court. Le carnet vibrait dans ses mains, comme s'il contenait une âme, une force prête à se réveiller.

Elle ne connaissait presque rien de son père, sinon qu'il était « amérindien », selon les rares mots de sa grand-mère. Aucun nom, aucune tribu, aucun pays. Il avait disparu avec sa mère dans les bois une nuit d'automne, et jamais personne ne les avait retrouvés.

Mais ce carnet... c'était un appel, une énigme lancée à travers le temps, une vérité enfouie sous des couches de silence et de chagrin.

Et Moïra savait, au plus profond d'elle, qu'elle allait la déterrer.

Continuer

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