Chapitre 1 Chapitre 1

Le vent dansait doucement à travers les hautes herbes dorées de Velora. L'air sentait la sève et la terre humide, et les chants des corbeaux résonnaient comme une mélodie ancienne, oubliée par les dieux. Au cœur de la clairière sacrée, Aelwen tenait son souffle. Son reflet tremblait dans l'eau du bassin de purification, et son cœur battait avec une force presque douloureuse.

- « Reste immobile, Luna. »

La voix de sa tante, Maera, résonnait derrière elle, douce mais ferme. Elle était la Gardienne des Rites, celle qui veillait à ce que chaque mot prononcé soit en harmonie avec les anciens pactes. Aelwen obéit, gardant les yeux fermés pendant que les doigts de Maera traçaient les lignes rituelles sur sa nuque avec une pâte d'argile argentée.

- « Tu as l'air nerveuse, » chuchota Lira, sa sœur de cœur, postée près du cercle d'herbes.

Aelwen esquissa un sourire, à peine perceptible.

- « Je suis sur le point de devenir Luna. Me lier à Kael devant toute la meute... Si je n'étais pas nerveuse, je ne serais pas humaine. »

- « Tu n'es plus tout à fait humaine, » murmura Lira, mi-sérieuse, mi-taquine. « Tu es... quelque chose d'autre. On le sent. On l'a toujours senti. »

Aelwen rouvrit les yeux, troublée.

- « Qu'est-ce que tu veux dire par là ? »

Mais Maera les interrompit.

- « Assez parlé. Le rituel ne souffre pas les doutes ni les distractions. L'esprit veille. »

Lira fit une grimace, mais se recula sagement.

Le rituel avançait. Aelwen plongea ses mains dans l'eau glacée, et le frisson qui remonta le long de ses bras fut comme une morsure. Une voix - douce, rauque, ancienne - effleura les bords de son esprit. Un murmure indistinct.

Aelwen se figea.

- « Qui est là ? » souffla-t-elle.

Personne ne répondit. Mais au fond du bassin, elle crut voir une lueur rouge sang. Une illusion, sûrement. Ou un signe.

Le sol vibra légèrement. Un battement régulier. Un pas lourd.

Kael.

Il traversa la clairière comme une tempête contenue. Sa prestance était indiscutable, son autorité ancrée dans chaque mouvement. Ses yeux, d'un vert sombre presque noir, trouvèrent immédiatement les siens. Elle sentit son ventre se nouer.

Il s'approcha sans un mot, et les membres de la meute s'inclinèrent naturellement sur son passage.

- « Tu es magnifique, » murmura-t-il en arrivant à sa hauteur. « Ma Luna. »

- « Pas encore, » répondit-elle, sa voix plus douce qu'elle ne l'aurait voulu. « Pas jusqu'à demain soir. »

- « Dans mon cœur, c'est déjà fait. » Il glissa une main sur sa joue, puis se pencha pour que seul elle l'entende. « Tu es prête, Aelwen ? Prête à tout ce que cela implique ? »

Un frisson la parcourut, mais pas de ceux qui donnent chaud au ventre. Plutôt un froid subtil, glacial, glissant sous la peau.

- « Je crois que oui... »

Kael recula, souriant, puis se tourna vers Maera.

- « Que le rituel continue. Nous devons être liés sous une lune bénie. Je veux qu'aucune ombre ne ternisse cette union. »

Maera hocha la tête.

- « Rien ne viendra troubler la bénédiction, Alpha. »

Mais Aelwen sentait encore le frémissement de la voix. Un mot ancien. Son prénom, prononcé dans un dialecte qu'elle n'avait jamais appris.

**Aelwen. Vel-orash. Sanguen-dora.**

Elle n'osa rien dire. Peut-être la nervosité. Peut-être... autre chose.

Après la purification, la meute se réunit autour du feu sacré. Les anciens récitèrent les serments, et Kael s'adressa à tous, bras levés, les yeux brillants d'une lueur guerrière.

- « Demain, la meute aura sa Luna. Demain, nous serons plus forts. Et rien, pas même les vents du Nord, ne pourra briser notre union. »

Les hurlements des loups montèrent en un seul chœur. Lira lui saisit la main, mais Aelwen tremblait.

- « Il est magnifique quand il parle comme ça, hein ? » dit-elle, les yeux étoilés.

Aelwen acquiesça, sans répondre. Elle regardait Kael... mais elle avait l'étrange impression de regarder un masque.

*

La nuit tombée, elle se retira dans sa chambre, dans la haute tour de pierre du Fort-Lune. Les murs transpiraient l'humidité, mais les tapis épais et les lanternes de l'ambre brûlaient assez fort pour qu'on oublie le froid.

Elle s'assit devant le miroir d'argent.

Ses yeux avaient changé. Ou était-ce son imagination ? Elle se pencha, plissant les paupières.

- « Tu portes la marque. »

La voix, cette fois, ne venait pas de son esprit.

Elle se retourna d'un bond, le cœur battant. Personne. Mais l'ombre dans le coin... s'était-elle déplacée ?

- « Qui est là ? »

Silence. Puis une rumeur, tout juste audible.

- « La marque des Velora. Le sang ancien. Tu dois fuir. »

Aelwen recula jusqu'à heurter la coiffeuse. Une fiole tomba et se brisa. L'odeur de lavande se répandit dans la pièce.

Elle referma les yeux. Inspira. Expira.

- « Tu n'es pas réelle. Je rêve. »

- « Tu te réveilles. Enfin. »

Elle se leva, ouvrit la fenêtre. L'air glacial fouetta son visage. Au loin, dans la forêt, un hurlement se fit entendre. Long. Solennel. Inconnu.

Ce n'était pas un loup de la meute. Elle en était sûre. Il portait autre chose dans sa note... quelque chose d'interdit.

Kael apparut soudain dans l'embrasure de la porte, torse nu, les cheveux mouillés.

- « Tout va bien ? » demanda-t-il, le regard perçant.

Elle sursauta.

- « Je... Je croyais avoir entendu quelque chose. »

Il entra, lentement, comme un fauve.

- « Les veilles de rituel éveillent les sens. Tu es nerveuse. Tu sens bon quand tu as peur, tu sais ? »

Elle haussa un sourcil.

- « Tu plaisantes ? »

Il sourit.

- « Un peu. »

Il s'approcha encore, posa les mains sur ses hanches.

- « Je suis là. Rien ne t'arrivera. Demain, tu seras mienne. Et rien au monde ne pourra briser ce lien. »

Elle ferma les yeux.

Et dans son dos, la voix murmura encore.

**Méfie-toi. Il veut ton sang, pas ton cœur.**

Elle rouvrit les yeux brusquement, s'écarta de lui.

- « Tu crois aux voix ? Aux présages ? »

Il la fixa, surpris.

- « Les esprits parlent parfois. Pourquoi ? »

- « J'ai... juste un pressentiment. » Elle tenta de sourire. « Probablement rien. »

Il pencha la tête, l'examinant.

- « Ne laisse rien te détourner. L'union, c'est le destin. Il n'y a pas de retour. »

Elle hocha la tête.

Mais au fond d'elle, une certitude grandissait. Quelque chose ne tournait pas rond. Ce n'était pas seulement de la nervosité. C'était plus ancien, plus profond.

Une promesse brisée bien avant qu'elle ne soit faite.

*

La nuit fut sans sommeil. Chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle se retrouvait dans une forêt obscure, la lune pleine éclatant au-dessus de têtes de loups figées dans le silence. Et toujours cette voix. Cette voix féminine, lointaine mais familière.

**Souviens-toi. Tu n'es pas née de cette meute. Tu es l'éclat d'un autre monde.**

Au petit matin, alors que les premières lueurs filtraient à travers les tentures épaisses, Aelwen se leva, le cœur battant. La cérémonie serait ce soir. Elle serait liée. Pour toujours.

Et pourtant...

Elle ne pouvait s'empêcher de penser :

**Et si je fuyais ?**

**Et si je cherchais la vérité, au lieu de m'abandonner à une promesse empoisonnée ?**

Elle ouvrit sa paume. Une mince ligne rouge y était apparue, comme une entaille. Une marque. Elle n'avait pas de souvenir de blessure.

Et dans le silence du matin, elle entendit la voix, encore une fois.

**Vel-orash. Cœur-sang. Tu es l'héritière.**

Et cette fois... elle n'avait plus peur.