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Chapitre 2 : Les lois du sang et du fer
Quand Houegbadja rendit son dernier souffle, le silence s'abattit sur le palais d'Abomey comme un drap noir. Le peuple, uni par la douleur, pleura son roi pendant sept jours. Des offrandes furent faites, des tambours résonnèrent sans interruption, et les prêtres vodoun invoquèrent les esprits pour accompagner le roi vers le monde des ancêtres. Le pouvoir, cependant, ne pouvait rester vacant.
Son fils, Akaba, fut désigné pour lui succéder. Le jeune prince n'avait pas l'étoffe charismatique de son père, mais il portait en lui un feu discret, une volonté d'acier. La tâche était immense : protéger le royaume encore jeune, poser des fondations solides et affronter les ambitions des royaumes voisins.
Dès sa prise de pouvoir, Akaba comprit que la survie du Dahomey passerait par l'ordre, la discipline et la force. Il fit proclamer les premières lois royales : elles n'étaient pas gravées sur des tablettes, mais récitée à haute voix et gravées dans les mémoires par les conteurs et les vieillards du palais.
- Le roi est le cœur du royaume, déclara-t-il, mais ce cœur bat pour tous.
- Toute injustice contre un frère est une blessure infligée au royaume.
- Celui qui trahit la terre d'Abomey verra son sang nourrir la terre rouge.
- Les enfants doivent apprendre à obéir, les guerriers à protéger, les anciens à conseiller, les femmes à diriger la maison comme un temple.
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Le royaume fut divisé en provinces, chacune administrée par un chef de district nommé par le roi. Les impôts furent introduits sous forme de produits agricoles, d'artisanat ou de services rendus à l'armée royale. Le roi institua également un système de recensement des familles et des jeunes hommes en âge de combattre. Chaque village devait former une unité de miliciens prête à être mobilisée.
C'est aussi sous Akaba qu'un nouveau corps militaire fut formé : les Bôhôssou, des soldats d'élite, entraînés jour et nuit, loyaux uniquement envers le roi. Ces hommes ne portaient pas seulement des armes : ils portaient une idéologie. Ils juraient fidélité non à un homme, mais à une vision : celle d'un royaume libre, fort et respecté.
Pour les entraîner, Akaba fit venir des maîtres de guerre du royaume de Tado, réputés pour leur rigueur. Les séances d'entraînement étaient intenses. Les recrues couraient des kilomètres, combattaient à l'épée et à la lance, s'exerçaient au tir à l'arc et au maniement du bouclier. La nuit, des griots leur chantaient les exploits des anciens rois pour nourrir leur courage.
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Mais tout n'était pas que batailles. Akaba était aussi un bâtisseur. Il renforça les murailles d'Abomey, construisit des routes en latérite pour relier les villages, et ordonna la fabrication d'un grand marché central, où les peuples voisins vinrent troquer sel, igname, tissus, or et fer.
Les artisans, eux, prospéraient. Les forgerons devinrent les hommes les plus respectés après les prêtres, car c'est dans le feu de leurs fours que naissaient les armes du royaume. Les potiers, les tisserands et les sculpteurs racontaient l'histoire du Dahomey avec leurs mains, donnant forme à l'esprit du peuple dans l'argile, le bois ou le bronze.
Et puis il y avait les femmes. Sous l'influence de la sœur du roi, Hangbè, les femmes commencèrent à jouer un rôle plus visible dans l'administration. Certaines devinrent juges, d'autres commerçantes, et d'autres encore guerrières. On parlait déjà d'un petit groupe de femmes soldats, que Hangbè entraînait discrètement à l'écart du palais. Une rumeur, pour l'instant. Mais une rumeur appelée à devenir légende.
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Les conflits ne tardèrent pas à éclater. Le royaume voisin d'Allada, craignant la montée en puissance du Dahomey, tenta une première attaque sur les terres de Savè. Akaba, conseillé par ses généraux, réagit avec une brutalité froide. Il mena ses troupes en personne, traversa la forêt de Kpatè, et tomba sur les envahisseurs à l'aube.
Le combat fut bref mais sanglant. Les Bôhôssou, armés de lances à double pointe, taillèrent les lignes ennemies avec une précision militaire. Les guerriers dahoméens combattaient en silence, le regard fixe, comme si le roi lui-même leur avait donné son souffle. À la fin, Akaba fit ramener les prisonniers devant son trône improvisé.
- Vous pensiez nous briser, dit-il. Mais nous sommes le fer. Quand on frappe le fer, il devient plus fort.
Il libéra les survivants, mais envoya un message clair : tout royaume qui poserait les pieds sur la terre du Dahomey sans autorisation goûterait à la colère des ancêtres.
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Ce fut aussi sous Akaba que se durcit le rituel des sacrifices royaux. À la mort d'un dignitaire, on ensevelissait parfois ses serviteurs ou ses épouses avec lui. Ce rituel, vu comme un passage d'accompagnement vers l'autre monde, choqua certains, même à Abomey. Mais Akaba s'appuyait sur les prêtres vodoun pour justifier l'ordre sacré. Le royaume, disait-il, ne pouvait survivre sans la bénédiction des morts.
Il avait raison, d'une certaine manière. Le Dahomey, pour durer, devait s'enraciner dans ses coutumes, aussi dures soient-elles. Car un arbre sans racines est à la merci du vent.
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Vers la fin de son règne, Akaba tomba gravement malade. Le peuple pria, les tambours chantèrent jour et nuit, mais la fièvre emporta le roi dans le silence d'une nuit sans lune. Il fut enterré dans la crypte royale, accompagné par des chevaux, des tambours, des armes, et selon certains, par des hommes et des femmes fidèles qui acceptèrent de le suivre dans l'au-delà.
Sa sœur Hangbè monta brièvement sur le trône. C'était la première fois qu'une femme régnait officiellement sur le Dahomey. Mais cette page fut vite refermée, car la société, encore trop patriarcale, ne tolérait pas cette audace. Un autre prince, Agadja, allait bientôt s'imposer.
Et avec lui, le Dahomey allait entrer dans une ère de conquêtes sanglantes, d'expansion territoriale et de transformations profondes. Le fer du royaume avait été forgé. Il était désormais prêt à frapper.