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Le lendemain, le lycée avait une autre saveur. Pas plus agréable, mais plus lisible. Élina avait passé la nuit à trier ses souvenirs. La première vie, ses erreurs, les visages trahis, les avertissements ignorés. Tout ce qu'elle savait désormais, elle comptait l'utiliser. Mais avec méthode.
Elle n'était pas revenue pour foncer tête baissée.
Elle était revenue pour détruire.
Et pour cela, il fallait du temps. De la stratégie.
Et des alliés.
Maelys avait été la première pièce de l'échiquier. Le lien le plus précieux, mais aussi le plus fragile. Elle ignorait tout du monde que portait Élina dans sa mémoire. Mais son intuition naturelle, son franc-parler et son intelligence en faisaient une alliée idéale. Il fallait juste lui épargner les horreurs à venir. Et surtout... l'éloigner de Camille.
Élina ne tarda pas à la retrouver dans la cour. Cette fois, Maelys était entourée de deux filles d'un an plus âgées, manifestement fascinées par sa capacité à démonter n'importe quel sujet en quelques phrases. Elle avait ce magnétisme particulier, celui qui attirait autant qu'il dérangeait. Élina attendit qu'elle se libère, en retrait, sous un arbre. Maelys la vit et leva la main, détachée, avant de la rejoindre.
- Bien dormi, prophétesse ? lança-t-elle avec un sourire moqueur.
Élina haussa un sourcil.
- Tu m'as déjà trouvé un surnom ?
- T'as ce regard... Comme si tu savais des choses que les autres ignorent. Et ça, c'est intriguant. Même un peu flippant.
(Pause.)
- J'aime bien.
Elles s'installèrent sur un banc à l'écart. Maelys sortit une barre de céréales et en tendit une moitié.
- Tu veux ? J'ai piqué ça dans le sac de mon frère ce matin.
- Je croyais que tu étais une justicière autoproclamée.
- Je suis une justicière affamée.
Élina rit malgré elle. C'était à ça que ressemblait une vie normale. Des échanges banals. Des gestes simples. Ce qu'elle n'avait jamais su apprécier avant que tout ne lui soit arraché.
Elle voulut lui poser des questions. Sur Camille. Sur son entourage. Sur ce qu'elle savait déjà. Mais ce serait trop tôt. Trop direct.
Alors, elle attendit. Observa. Écouta.
Et ce fut Maelys qui lança la première pierre.
- Tu sais que Camille te surveille ?
Élina fit semblant de s'étonner.
- Pourquoi ? On ne s'est jamais parlé.
- Justement. Ici, Camille connaît tout le monde. Elle règne sur ce lycée comme une reine de bal à qui on n'a jamais dit non. Elle n'aime pas les éléments imprévisibles.
- Et je suis imprévisible ?
- À ses yeux, oui. Tu t'es liée à moi. Et moi, elle me déteste. Depuis des années.
Élina baissa les yeux. Dans sa mémoire, Camille avait été plus qu'une simple manipulatrice lycéenne. Elle était l'amante de Jason, l'alliée de son meurtre, le poison qui avait rongé Élina de l'intérieur. Et voilà qu'elle recommençait à tisser ses toiles, insidieusement.
- Tu sais ce qu'elle veut ? demanda-t-elle.
Maelys eut un rire sec.
- Le pouvoir. Le contrôle. Et qu'on l'admire. Peu importe comment.
- Et Jason ?
Maelys la regarda, interloquée.
- Qui ?
Erreur. Trop tôt. Trop risqué.
- Rien. Un nom qui m'est venu. Oublie.
Mais Maelys ne lâcha rien.
- T'es sûre qu'on se connaît pas d'avant ? C'est pas que ton visage me dit quelque chose, mais ton attitude. Comme si t'avais vécu ici avant, dans une autre peau.
Élina détourna le regard. Maelys était dangereusement proche de la vérité. Pas parce qu'elle savait, mais parce qu'elle sentait. Comme dans la première vie.
- Peut-être que j'ai juste beaucoup observé les gens, répondit-elle.
- Ou peut-être que t'as survécu à un enfer, et que tu veux t'assurer que personne d'autre n'y tombe.
Élina resta silencieuse. C'était exactement ça. Et entendre quelqu'un l'énoncer à voix haute la fit frissonner.
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Pendant ce temps, Camille fixait l'écran de son téléphone. Une photo. Mal prise. Floue. Mais reconnaissable.
Élina.
Elle l'avait fait suivre. Rien d'officiel. Juste une petite faveur d'un garçon discret, amoureux transi, facilement manipulable. Camille avait appris depuis longtemps que les pions étaient aussi utiles que les rois. Et ce pion-là venait de lui livrer une information troublante : Élina avait posé des questions sur elle. Discrètes, mais précises.
Et surtout... elle passait tout son temps avec Maelys.
- Ça recommence, murmura-t-elle.
Un frisson parcourut sa colonne.
Quelque chose dans cette Élina la dérangeait profondément. Ce n'était pas juste son regard, ni sa manière de parler. C'était comme un écho. Un souvenir qu'elle n'arrivait pas à attraper, mais qui lui tournait autour, insistant.
Elle avait la sensation d'avoir déjà connu cette fille.
Ou pire... d'avoir déjà été exposée à ce regard-là.
Elle serra son téléphone dans sa main.
- Il va falloir l'écraser. Avant qu'elle devienne un problème.
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De retour chez elle, Élina s'enferma dans sa chambre. Les murs roses, les posters oubliés, les vieux souvenirs d'une époque insouciante. Elle s'assit à son bureau et ouvrit un carnet noir, vierge.
Elle y inscrivit trois noms.
1. Camille
2. Jason
3. Maelys
À côté de Maelys, elle écrivit un seul mot :
Protéger.
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