Chapitre 5 Lignes de faille

La semaine s'écoula comme un battement de cœur suspendu, lent mais intense. Élina avançait prudemment, laissant le passé guider chacun de ses gestes. Ce qui avait autrefois été des erreurs devenait aujourd'hui des avertissements, des jalons, des angles morts à éviter.

Maelys, fidèle à elle-même, lui ouvrait peu à peu les portes de son quotidien. Leur complicité naturelle avait surpris les observateurs du lycée, notamment Camille. Mais Élina savait que cette amitié n'était pas anodine : dans sa première vie, c'était Maelys qui l'avait réveillée, trop tard. Cette fois, elle voulait inverser le processus. La protéger, oui, mais aussi lui donner les outils pour combattre.

- Tu sais qu'ils parlent déjà de toi ? dit Maelys, un midi, alors qu'elles grignotaient ensemble sur un banc ombragé.

Élina haussa les sourcils.

- Vraiment ? Je n'ai pourtant rien fait de spectaculaire.

- C'est bien ça le problème. Tu ne fais rien de spectaculaire, mais t'attires l'attention. C'est ça qui les rend nerveux. Camille, en particulier.

Élina tourna doucement la tête. Camille, installée de l'autre côté de la cour, riait avec ses deux amies favorites - Manon et Elise - mais ses yeux, eux, trahissaient l'hostilité glacée d'une stratège qui sentait une menace s'approcher.

Elle ne riait pas. Elle montrait les dents.

- Tu sais ce qu'elle m'a dit ce matin ? poursuivit Maelys.

- Je t'écoute.

- Que je ferais mieux de ne pas perdre mon temps avec "les passantes". Sous-entendu, toi. Elle ne t'a même pas nommée.

Élina sourit froidement.

- Elle a peur que tu découvres ce que moi je sais déjà.

Maelys releva la tête, intriguée.

- Tu veux dire quoi par là ?

- Rien de précis. Pas encore. Juste que... les apparences mentent, et que Camille en a fait une religion.

Ce même jour, dans une salle vide près de l'administration, Camille consultait un petit carnet noir. Son carnet personnel, celui qu'elle ne montrait jamais. Sur ses pages s'entassaient des noms, des informations, des dates, des faiblesses - le fruit de plusieurs années de manipulation douce, de rumeurs bien placées et de secrets arrachés sous couvert d'amitié.

Elle s'arrêta sur une ligne qu'elle avait griffonnée trois jours plus tôt :

Élina – inconnue – regard dangereux – lien avec Maelys ?

Quelque chose ne collait pas. Cette fille n'avait aucun dossier connu dans le lycée. Elle venait de "revenir d'un déménagement". Famille modeste. Rien d'extraordinaire. Et pourtant, elle se déplaçait comme une louve en territoire connu, contournant pièges et cliques sans jamais trébucher.

Camille avait bien tenté de la confronter. Un "bonjour" en apparence poli, mais chargé d'une tension mesurée.

Et Élina... n'avait même pas baissé les yeux.

- Elle sait quelque chose, murmura Camille, les yeux rivés sur la fenêtre.

- Elle sait... et ça me rend nerveuse.

Elle se redressa. Il était temps de faire appel à Jason.

Élina, de son côté, traçait déjà ses plans. Elle s'était isolée dans la bibliothèque pendant une heure entre deux cours, carnet noir sur les genoux, crayon en main.

Sur la page, des cercles reliés par des flèches.

Des noms, des liens, des événements passés et à venir.

Et surtout... des possibilités.

Jason.

Le nom suffisait à faire trembler ses doigts. Son ancien mari. Son assassin. L'homme à double visage. Celui qui, dans la vie précédente, avait manipulé, trahi, aimé... puis détruit.

Il n'était pas encore entré dans la partie. Pas officiellement. Mais elle sentait son ombre approcher. S'il était déjà lié à Camille - et elle en était convaincue - alors il n'allait pas tarder à surgir.

Elle devait s'y préparer.

Plus tard, dans un couloir désert, Maelys la rattrapa.

- J'ai pensé à ce que tu m'as dit. Sur Camille. Et sur les apparences.

- Et ?

- Je crois que je suis prête à regarder sous la surface.

Élina s'arrêta. La lumière du néon au-dessus d'elles jetait une lueur pâle sur le visage de Maelys. Elle avait ce mélange de peur et de détermination qui faisait d'elle une amie aussi précieuse que redoutable.

- Tu ne sais pas dans quoi tu mets les pieds, Maelys.

- Peut-être. Mais je sais reconnaître quand quelqu'un me ment. Et je sens qu'on m'a menti depuis longtemps.

Élina la regarda longuement. Puis, doucement, elle sortit une photo de sa poche. C'était une copie de l'unique image qu'elle avait pu conserver de la vie d'avant : elle, Jason, Camille, tous trois lors d'un gala de charité. Un monde d'illusions et de trahisons.

- Dis-moi ce que tu ressens en voyant ça.

Maelys observa la photo.

- Il y a quelque chose de... malsain dans ce trio. Comme si c'était un jeu. Une pièce de théâtre. Tu y étais heureuse ?

- J'étais une prisonnière bien habillée.

Maelys hocha la tête.

- D'accord. Je suis avec toi.

Élina rangea la photo, les yeux brillants.

- Alors on commence.

            
            

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