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« Le calme avant la tempête, c'est souvent le plus dangereux... Parce qu'on ne s'y méfie pas. »
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La cloche sonne. Premier cours : maths.
Mon corps entre dans la salle, mais ma tête, elle, est restée ailleurs.
Madame Katanga arrive, stricte comme toujours, chemisier blanc bien repassé, regard capable de te congeler une saison sèche.
Elle nous balance un exercice d'entrée, comme si on était des robots sans cœur, sans sommeil, sans rêves.
- Interrogation surprise ! Copiez les questions, vous avez vingt minutes.
Bam.
Autour de moi, tout le monde râle. Jessy balance un regard noir à son cahier, comme s'il allait le mordre. Noël, lui, sort calmement son stylo et commence à écrire.
Moi ?
J'essaie.
Mais les chiffres dansent devant mes yeux. Zéro concentration.
Tout ce que je veux, c'est sortir. Respirer. M'enfuir.
Pas parce que je n'aime pas les maths.
Mais parce que... j'ai un pressentiment.
Un drôle de truc, là, dans mon ventre. Une boule. Une tension. Comme si quelque chose de mauvais allait arriver.
Comme si une page allait se déchirer.
Et ça ne rate pas.
À la récré, alors que je m'apprête à rejoindre mes potes, je le vois.
Un homme.
Devant l'école. Appuyé contre sa moto.
Trop bien habillé pour être un livreur. Trop nerveux pour être un parent.
Et surtout... il me regarde. Fixement. Trop longtemps.
Un regard chargé. Pas curieux. Pas admiratif. Un regard... inquiet ? Coupable ?
Je fronce les sourcils.
- Tu connais ce mec ? me demande Noël en mordant dans sa brioche.
- Non... je crois pas. Mais j'ai un truc bizarre.
Jessy s'en mêle, la bouche pleine :
- Peut-être c'est ton parrain venu te déposer ton argent de poche en personne ? Avec style, moto, lunettes noires, genre film nigérian.
On rigole. Enfin, on essaie.
Mais au fond de moi, un malaise s'installe.
Ce gars-là, il n'est pas là par hasard.
Il me regarde comme on regarde un tableau qu'on a abandonné.
Comme si... comme s'il me reconnaissait.
Mais moi, je ne l'ai jamais vu de ma vie.
La cloche sonne. On rentre.
Mais je jette un dernier coup d'œil à travers le grillage.
Et il est toujours là.
Immobile.
À m'attendre ?
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À la fin de la journée, je rentre chez moi, avec cette image qui tourne dans ma tête.
Dans le bus, je ne parle pas. Je pense. Je questionne.
Arrivé à la maison, ma mère est dans le salon, en train de repasser.
Je fais mine de rien.
Je m'avance vers le frigo, prends de l'eau, respire un grand coup... puis :
- Maman... tu connais un type à moto, costard, qui serait venu à l'école aujourd'hui ?
Elle se fige.
Juste une seconde.
Mais je la vois.
Ce micro-silence.
Ce micro-hésitation.
Et dans son regard...
Une ombre.
- Non. Pourquoi tu demandes ça ?
- Non, pour rien... juste un gars bizarre, c'est tout.
Elle hoche la tête.
Mais ses mains tremblent. Un peu.
Et là, je comprends.
Elle sait quelque chose.
Et moi... je suis sur le point de tomber dans une histoire qui n'est pas la mienne.
Ou peut-être... qui l'est trop.
***
Le lendemain, l'ambiance à la maison est... étrange.
Pas tendue. Pas explosive. Juste... étrangement calme.
Ma mère m'a préparé le petit déjeuner comme d'habitude, mais elle évite mon regard.
Moi, je fais semblant de ne rien remarquer. Mais mon esprit, lui, tourne en boucle.
Ce gars. Ce regard. Ce silence. Ce frisson.
Je sors de la maison plus tôt que d'habitude. J'ai besoin d'air. De réponses.
Mais surtout, de Jessy et Noël.
- Tu crois que c'est ton père ? balance Jessy dès que je lui raconte tout, assis sur le muret à l'entrée du collège.
Je reste figé.
Père. Ce mot, chez moi, c'est un fantôme.
Je n'ai jamais posé de questions. Ma mère non plus.
Elle a toujours esquivé, avec un regard fuyant, un petit sourire triste et un "ce n'est pas important."
Mais là... j'y pense. Et plus j'y pense, plus ça me grignote.
- T'as jamais vu une photo ? demande Noël.
Je secoue la tête.
- Non. Rien. Même mon nom de famille, c'est celui de ma mère.
- T'as pas trouvé ça bizarre ?
- Si. Mais tu sais... parfois, tu t'habitues à l'absence. Tu finis même par croire qu'elle est normale.
Ils ne répondent pas. Ils comprennent.
Mais au fond, eux, ils ont un père. Même si chiant, même si trop sévère ou trop absent, au moins il existe.
Moi, je n'ai qu'un vide. Un point d'interrogation.
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La journée passe. Lentement.
Trop lentement.
J'entends les profs parler, mais mes pensées font plus de bruit que leurs voix.
Et à la sortie, mon cœur s'arrête une seconde.
Il est là. Encore.
Même moto. Même posture.
Mais cette fois... il s'avance.
- Fabrice ?
Je recule d'un pas.
- Je... je suis un ami de ta mère.
Sa voix est douce. Trop douce.
- Elle va bien ? je demande, méfiant.
Il hésite. Me regarde. Soupire.
- Elle t'a jamais parlé de moi, hein ?
- Vous êtes qui ?
Il sourit. Un sourire triste, usé.
- Je suis... ton oncle.
BOUM.
Comme une gifle. Une boule de feu dans ma poitrine.
Je reste figé.
Oncle ? Depuis quand ? Pourquoi maintenant ?
Pourquoi ici ? Pourquoi ce regard ?
- Pourquoi vous venez me voir maintenant ?
Il baisse les yeux.
- Parce que je ne peux plus supporter de te regarder de loin. Parce qu'il faut que tu saches. Et que tu sois prêt.
- Prêt à quoi ?
Il me fixe. Longtemps.
Puis il murmure :
- À connaître la vérité sur ton père.
Je n'arrive plus à respirer.
Tout se bouscule. Mes souvenirs, mes doutes, mes manques.
Et cette voix dans ma tête :
"La vérité... est-elle un soulagement ou un poison ?"