Chapitre 2 LE PASSÉ RESSURGIR

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« Le passé, c'est un fantôme qui nous suit. Et parfois, il frappe à la porte. »

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Je reste figé.

Ce mot, "oncle", il résonne dans ma tête comme un écho, mais chaque seconde qui passe rend tout ça encore plus absurde.

Pourquoi, maintenant ? Pourquoi ne m'a-t-il pas parlé avant ?

Je me force à respirer.

L'homme - l'oncle, si on veut bien y croire - me fixe toujours, comme s'il attendait que je comprenne quelque chose qu'il a déjà accepté depuis longtemps.

- Je suis sérieux, Fabrice, dit-il, les mains légèrement tremblantes. Tu as le droit de savoir. Je ne peux pas te laisser dans l'ignorance.

Je serre les poings. Je veux lui demander pourquoi il a pris tout ce temps pour me parler. Pourquoi ma mère ne m'a jamais dit un mot de lui. Pourquoi maintenant, de tous les moments possibles, il a décidé d'entrer dans ma vie.

Mais les mots restent bloqués.

Je ne sais pas pourquoi. Je n'arrive pas à parler.

- Tu sais qui est ton père ?

Sa question me frappe de plein fouet.

- Oui, je réponds, sans vraiment savoir pourquoi. Je ment. Je me dis que c'est plus facile comme ça.

Il me regarde. Il a vu la fausse certitude dans mes yeux.

Il secoue la tête lentement.

- Tu ne sais pas. Personne ne te l'a jamais dit ?

Je sens un froid glacial courir sur ma peau.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il soupire, comme s'il portait un poids énorme. Et là, il fait quelque chose que je ne m'attendais pas à voir.

Il me tend une photo.

Une vieille photo. Jaunie, abîmée par le temps.

Sur cette photo... un homme.

C'est lui.

Ce n'est pas mon père.

C'est l'homme sur la moto.

L'homme qui me regardait hier.

Mon cœur bat plus fort.

Je déglutis. Et je le fixe.

Je n'arrive pas à détourner les yeux.

Puis je relève la tête. Il m'observe toujours. Attendant une réaction.

- C'est ton père, dit-il enfin, avec des mots lourds, comme des pierres qui tombent.

Je n'entends plus rien.

Juste le bruit de mon cœur, qui explose dans ma poitrine.

Je serre les dents.

- C'est... c'est pas possible...

- C'est vrai. Il insiste. Il était ton père, avant...

Je veux lui crier dessus. Demander pourquoi il n'a pas été là. Pourquoi il ne m'a jamais dit qu'il était mon père. Pourquoi il a disparu. Pourquoi tout ça reste un mystère.

Mais aucune parole ne sort.

Je me sens pris au piège. Dans cette vérité. Dans ce mensonge qui m'a été servi toute ma vie.

- Pourquoi il est parti ? Pourquoi il ne m'a jamais contacté ? Pourquoi il m'a laissé dans ce vide ? Je souffle, la voix tremblante.

L'homme me regarde avec des yeux tristes, presque comme s'il avait déjà vu des milliers de jeunes comme moi, se faire briser par la vérité.

- Il a été contraint de partir. Ce n'était pas une décision qu'il a prise de son propre chef. Il marque une pause. Mais il a regretté... chaque jour, chaque minute, qu'il ne soit pas là.

Je secoue la tête, encore plus perdu qu'avant.

- Et toi, pourquoi tu viens me parler maintenant ? Je lève les yeux, désespéré. Pourquoi maintenant ?

Il me fixe intensément.

- Parce qu'il est temps. Parce que le passé te rattrape. Et... parce qu'il est toujours là. Mais pas comme tu le crois.

Je me sens englouti. Le poids de ses paroles m'étouffe. Je ne comprends rien. Je n'arrive pas à y croire. Mais au fond de moi... quelque chose me dit que ce n'est que le début.

La vérité qui éclate en morceaux, m'avalant tout entier.

Je jette un dernier coup d'œil à la photo. Le visage de cet homme me hante déjà. Je me sens prêt à tout, sauf à l'accepter.

- Mais où il est maintenant ? ma voix tremble.

- Il est plus proche de toi que tu ne le penses. Son regard est perçant. Mais c'est à toi de choisir ce que tu veux savoir...

Je suis perdu.

Et je sens que tout ce que je savais jusqu'à maintenant est sur le point de s'effondrer.

Tout.

Mon père.

Ma mère.

Ma vie.

Il se tourne et monte sur sa moto.

- On se revoit bientôt, Fabrice. Prépare-toi.

Et sans un mot de plus, il s'éloigne, me laissant seul avec mes doutes, mes questions et ce fardeau lourd à porter.

Je n'arrive toujours pas à digérer ce que l'homme m'a dit. Il est parti. Une simple disparition. Et l'absence de réponses à toutes mes questions me ronge.

Le visage de cet homme, son regard perçant, son silence lourd, je n'arrive pas à m'en défaire. Je me tourne dans mon lit, les yeux ouverts, fixant le plafond, avec pour seule compagnie, le poids de mes pensées.

Le vide. Le même vide que j'ai toujours ressenti, mais qui aujourd'hui se fait bien plus lourd. Il ne s'agit plus seulement du vide d'un père inexistant, mais du vide d'une vie entière bâtie sur des non-dits. Pourquoi est-ce qu'on m'a menti ? Pourquoi ne m'a-t-on jamais dit la vérité ?

Ce fardeau que je porte aujourd'hui, il a été placé là, sans mon consentement, il y a des années.

Le bruit de mon téléphone me tire de mes pensées. Un message. C'est Noël.

« T'es là ce soir ? Jessy organise une petite réunion. Ça va te faire du bien de sortir un peu. »

Je secoue la tête, n'ayant absolument aucune envie de sortir. Mais il a raison. Il faut que je respire. Si je reste enfermé ici, je vais m'étouffer.

Je réponds rapidement, tout en me levant de mon lit.

« Ouais, je viens. »

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Quelques heures plus tard, je me retrouve à l'intérieur de la chambre de Jessy, entouré de mes deux meilleurs amis. Le lieu est familier. Le parfum du café, la lumière tamisée qui baigne la pièce. C'est chez Jessy qu'on se réfugie depuis des années, quand la vie devient trop lourde à supporter. Il sait toujours comment nous détendre.

Mais ce soir, l'air est différent. Il est tendu, presque électrique.

Je peux voir dans les yeux de Noël et Jessy qu'ils ressentent la même chose que moi. Il y a cette tension. Quelque chose d'inexpliqué. Quelque chose que personne ne peut mettre en mots, mais qui flotte dans l'air. Et c'est à moi qu'on doit cette lourdeur.

- Alors, comment ça va, mon vieux ? demande Noël en s'affalant sur le canapé, un sourire un peu trop large sur le visage.

Je me contente de soupirer, mais je ne réponds pas tout de suite. Je laisse le silence entre nous s'installer, comme une sorte de pause, un moment de répit où je peux analyser mes propres pensées sans être pressé.

- Tu veux parler de ce que t'as appris aujourd'hui ? Jessy est plus direct. Elle connaît ma manière de fuir. Mais ce soir, je sais qu'elle n'aura pas de réponse facile.

Je laisse un silence s'étirer. Un silence lourd de mille mots non dits.

Et puis, je me lance.

- Je ne sais même pas par où commencer. Je m'affale sur le fauteuil, les bras croisés, sentant la frustration m'envahir. Il m'a dit qu'il était mon oncle. Mon père est un fantôme, il m'a laissé avec des réponses floues, et je suis là à chercher un sens à tout ça, mais je trouve rien. Rien du tout.

Noël et Jessy échangent un regard. Ils ne savent pas quoi dire.

Ils ne savent même pas comment me consoler. Parce qu'il n'y a rien à dire.

Il n'y a que l'absence, celle qui ronge, qui fait mal et qui nous isole.

- T'as pas l'impression que t'es en train de creuser un trou sans fin ? Noël brise enfin le silence. Tu cherches des réponses, mais peut-être qu'elles te conduiront juste à plus de questions. Peut-être qu'il vaut mieux laisser tomber...

Je tourne la tête brusquement, le regard furieux.

- Tu crois vraiment que je vais laisser ça passer comme ça ? Mon cœur bat plus vite. Il a raison, mais je refuse de l'admettre. Tu crois vraiment que je vais ignorer la vérité juste pour rester tranquille ?

Jessy intervient, posant une main sur mon épaule.

- Fabrice, je sais que t'as besoin de réponses. Mais parfois, certaines vérités sont des bombes. Et une fois qu'elles explosent... tu peux plus revenir en arrière. Elle s'arrête un instant, pesant chaque mot. Peut-être que tu n'es pas prêt à ça. Peut-être que la vérité va changer ta vie d'une manière que tu n'imagines même pas.

Je me recule brusquement dans mon siège, les yeux fixés sur le sol. Il y a cette petite voix dans ma tête qui me dit que Jessy a raison.

Mais il y a aussi cette rage qui bouillonne en moi, cette soif de savoir qui m'empêche de rester tranquille.

La vérité.

La vérité que j'ai toujours recherchée, mais qui m'effraie de plus en plus à chaque instant.

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Le reste de la soirée se passe en silence. Chacun est dans ses pensées, chacun dans ses propres démons. La chaleur de la pièce me fait presque suffoquer. Il est trop tôt pour tout savoir. Trop tôt pour tout comprendre. Mais chaque minute qui passe, je sens que le vide en moi devient de plus en plus difficile à supporter.

Lorsque je rentre chez moi, ma mère est dans la cuisine. Elle me regarde sans dire un mot, comme si elle savait que quelque chose s'était passé. Mais elle ne me demande rien. Elle attend. Peut-être que dans son regard, elle attend que je lui pose la question. Mais je n'arrive pas à parler.

Je me contente de passer devant elle, de m'éclipser dans ma chambre.

La vérité me hante.

Elle est là. Mais je suis prêt à la découvrir ?

            
            

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