Chapitre 5 LES MENSONGES QUI NOUS ONT FAITS

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« Ce ne sont pas toujours les vérités qu'on ignore qui nous brisent... parfois, ce sont les mensonges qu'on a crus. »

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Je ne dors pas.

Depuis que Jessy m'a tendu cette photo, quelque chose en moi s'est fissuré. Comme une vitre qu'on croyait solide, et qui se brise lentement sous le poids d'un trop-plein de silences.

Le visage de l'homme sur la photo me hante. Ce regard. Ce sourire. Ce timbre de voix qui, maintenant que j'y pense, ressemblait au mien quand je suis en colère. Tout concorde. Trop bien, même. Et si c'est vrai... alors ma vie entière est bâtie sur un mensonge.

Je suis dans ma chambre. Il est 3h14. Je relis l'article encore et encore. Un vieux journal. On y parle de lui comme d'un homme d'affaires influent, revenu s'installer au pays. Marié. Deux enfants. Respecté.

Et moi, dans tout ça ?

Juste un oubli ?

Un secret ?

Une erreur de jeunesse qu'on a camouflée sous un drap de honte ?

Je descends au salon, pieds nus. L'air est lourd, comme si la nuit elle-même retenait son souffle. Ma mère est là. Assise dans l'obscurité. Elle fume. Ce qui est rare. Elle n'a jamais aimé la fumée.

- Tu ne dors pas ? je demande, la voix à moitié éteinte.

- Toi non plus, répond-elle sans même se retourner.

Silence.

- Tu savais ? je finis par lâcher, sans détour.

Elle écrase sa cigarette. Lentement.

- Qu'est-ce que tu veux dire, Fabrice ?

Je lui tends la feuille. Elle la prend. La regarde. Fige.

Son visage se ferme. Une fraction de seconde. Puis elle soupire.

- Ce n'est pas ce que tu crois.

Cette phrase-là... elle l'a sortie trop vite. Trop facilement.

- Alors explique-moi ce que je suis censé croire. Que cet homme est juste un inconnu ? Un sosie ?

Elle se lève. Elle veut fuir. Je la retiens.

- Maman. Dis-moi la vérité. Est-ce que c'est lui, mon père ?

Son regard se noie. Et elle dit enfin ce que je redoutais :

- Oui. C'est lui.

Le monde s'effondre. Pas avec fracas. Mais doucement. Silencieusement. Comme un cœur qui s'arrête.

- Pourquoi tu m'as rien dit ? Pourquoi tu m'as menti ?

- Parce que je voulais te protéger. Parce que j'avais honte. Parce qu'il m'a tourné le dos quand j'ai dit que j'étais enceinte. Il m'a suppliée de me taire. M'a donné de l'argent. Et il est parti.

Mon cœur saigne.

- Tu voulais me protéger de quoi ? De lui ? Ou de moi-même ?

Elle pleure. Moi aussi.

- Tu as grandi, Fabrice. Et j'avais peur qu'un jour tu veuilles savoir. Mais maintenant que c'est fait... je t'en supplie, fais attention. Ce monde-là n'est pas le tien. Il ne l'a jamais été. Et s'il apprend que tu existes... il peut tout faire pour t'effacer encore.

Je n'écoute plus. Je ne ressens plus.

Je suis ce vide qu'elle m'a offert en héritage.

Je monte dans ma chambre. Jessy m'écrit :

"Tout va bien ? Je pense à toi."

Et Amélie, de son côté, m'a envoyé un audio que je n'ai pas encore osé ouvrir.

Je suis seul. Vraiment seul.

Et pourtant, au fond de moi, une rage se lève.

Pas contre lui. Pas contre ma mère.

Mais contre ce monde hypocrite, tordu, où les adultes cachent leurs erreurs sous des tapis de silence.

Alors j'ouvre mon carnet.

Et j'écris :

"Je vais le rencontrer. Je vais lui dire qui je suis. Même s'il me rejette. Même s'il nie. Je veux qu'il sache que j'existe."

J'appelle Jessy.

- Aide-moi à le retrouver.

Sa réponse est simple.

- Je suis prête.

Voici donc le Chapitre 8 de La Vie d'Ado - plus dense, plus émotionnel, et avec de nouveaux rebondissements.

La nuit a été longue. Et le jour, lui, tarde à faire le ménage dans mes pensées. Jessy est restée au téléphone avec moi presque jusqu'à l'aube. Elle n'a pas beaucoup parlé. Juste écouté. Et ça m'a fait du bien. Une présence silencieuse, mais précieuse.

Ce matin, les choses n'ont pas changé, mais moi si.

Je marche dans les couloirs du lycée comme un zombie. Mes potes me lancent des regards. Certains rigolent, d'autres chuchotent. Mais je m'en fous. J'ai la tête ailleurs. À cent lieues de ces murs.

Jessy m'attend près du terrain de basket, ses cheveux attachés, son regard inquiet. Elle sait que je suis déterminé. Et elle aussi, visiblement. On s'assoit à l'ombre d'un vieux manguier.

- Tu veux vraiment le voir ? me demande-t-elle.

- Ouais. J'ai besoin de le regarder dans les yeux. Juste une fois.

Elle me tend une adresse griffonnée à la hâte sur un papier plié. C'est là qu'il travaille, d'après ses recherches. Un grand cabinet de conseils en finances. Autrement dit, un monde où je ne suis qu'un point d'interrogation.

- On y va après les cours ? dis-je, plus comme un ordre que comme une demande.

Elle hoche la tête. Aucun sourire. Juste du sérieux. De la gravité.

Mais alors qu'on s'apprête à se lever, Amélie apparaît.

Et d'un coup, tout devient flou.

Elle me regarde avec un mélange de colère et de douleur dans les yeux.

- Fabrice, je peux te parler ? dit-elle, les bras croisés.

- Là, tout de suite ?

- Oui. Là. Tout de suite.

Jessy comprend. Elle s'éloigne sans rien dire. Mais je sens son regard dans mon dos. Ce genre de regard qui dit : « Débrouille-toi, mais fais pas n'importe quoi. »

Je suis seul avec Amélie. Et ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vue comme ça : blessée, tremblante.

- Pourquoi tu m'as ignorée hier ? Pourquoi tu réponds plus à mes messages ? attaque-t-elle.

- J'avais juste besoin de... temps. J'ai appris un truc. Un gros truc.

- Tu peux pas juste disparaître comme ça, Fabrice. Je suis pas un plan B. Je suis pas ta roue de secours quand t'as besoin de parler ou de vider ton sac.

Son ton monte. Des gens regardent. J'ai honte. Pas d'elle. Mais de moi. De ne pas savoir gérer tout ça.

- C'est pas ce que je veux dire... Je suis juste paumé. Et Jessy... elle m'aide. C'est tout.

- Jessy ? répète-t-elle, avec une pointe de jalousie tranchante. Elle est toujours là quand ça va pas, hein ? Mais moi, je sers à quoi, alors ?

Silence.

- Tu veux qu'on arrête ? me demande-t-elle, la voix plus douce.

Et là, j'ai envie de hurler non.

Mais je dis rien. Parce que je sais plus ce que je ressens.

Je suis entre deux mondes. Celui où je veux comprendre qui je suis. Et celui où je suis en train de blesser quelqu'un qui m'aime.

- Je t'aime, Fabrice, dit-elle en retenant ses larmes. Mais je me sens invisible depuis un moment. Et j'ai besoin de savoir si tu veux encore de moi. Ou pas.

Je baisse les yeux.

Je suis lâche.

Je suis confus.

Elle tourne les talons et s'en va.

Et moi, je reste là, planté, seul, à regarder le monde s'effondrer autour de moi... encore une fois.

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Ce soir-là, je suis devant le cabinet. L'endroit où travaille l'homme qui pourrait être mon père.

Jessy est là. Silencieuse. On regarde les grandes vitres, les hommes en costard qui vont et viennent.

Et soudain... il sort.

Lui.

Ce visage. Cette démarche.

C'est lui.

Je m'avance d'un pas. Mon cœur bat comme jamais.

- Fabrice... attends, murmure Jessy en m'attrapant le bras.

Mais il m'a déjà vu.

Il me fixe.

Et son visage se fige.

                         

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