Chapitre 4 DES VÉRITÉS ENTRE LES LIGNES

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« Le silence est parfois un cri que l'on n'entend pas, mais qu'on ressent jusque dans les os. »

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Il est 19h43. Je suis devant la porte d'Amélie. Mes doigts tremblent. Je ne sais pas si c'est à cause du froid, ou à cause de ce que je m'apprête à entendre. Mon cœur cogne comme un tambour, et j'ai cette étrange impression que quelque chose va changer ce soir. Que les pièces de mon puzzle intérieur vont soit s'assembler... soit exploser.

Elle m'ouvre. Elle n'a pas l'air surprise de me voir. Au contraire, c'est comme si elle m'attendait depuis toujours.

- Entre, Fabrice.

Elle est habillée simplement, mais élégamment. Un pull beige, un jean noir, les cheveux attachés. Ses yeux brillent, mais ce n'est pas de joie. C'est autre chose. Une inquiétude, peut-être même une peur... ou un chagrin contenu.

- Assieds-toi, dit-elle en désignant le petit canapé de son salon.

Il y a une odeur de cannelle dans l'air. Un parfum doux, rassurant. Et pourtant, mon estomac se tord.

Le silence dure. Elle joue avec ses doigts. Moi, je fixe le sol. Puis elle parle.

- Fabrice, je sais ce que tu ressens. Tu crois être seul, n'est-ce pas ?

Je ne réponds pas. Elle continue.

- Je le sais parce que moi aussi, j'ai grandi avec un vide. Une absence. Un mensonge.

Je relève la tête. Son regard me transperce.

- Tu n'as jamais vraiment parlé de ton père. Mais je sens que ça te bouffe de l'intérieur. Et moi... j'ai grandi sans mère. Du moins, c'est ce qu'on m'a toujours dit. Mais l'année dernière, j'ai appris qu'elle est en vie. Qu'elle vit dans un autre pays. Qu'on me l'a cachée...

Son souffle est court. Sa voix tremble légèrement.

- Je comprends ta colère, ta confusion. Mais tu dois savoir que parfois... les réponses font plus de mal que le silence.

Je suis figé. Sa confession me touche. Me renverse.

Je murmure :

- Pourquoi tu m'as jamais rien dit ?

- Parce que j'attendais que tu sois prêt. Parce que moi-même, je n'étais pas prête.

Un silence.

Puis elle ajoute :

- Et parce que je t'aime, Fabrice.

Cette fois, c'est mon souffle qui s'arrête.

- Je t'aime, même si tu ne le vois pas. Même si tu passes ton temps à te refermer, à fuir ce que tu ressens. Même si tu souris rarement... moi, je vois ce que les autres ne regardent pas.

Je ne sais pas quoi dire. Mon cœur bat si fort qu'il me fait mal. Mon regard fuit, mais mes larmes montent.

- Et je veux t'aider à retrouver ton père. Même si je dois marcher avec toi dans les pires ténèbres. Même si je dois affronter des choses que je ne comprends pas. Je suis là. Si tu veux bien de moi.

Je suis en apnée. Ses mots... ses mots sont des flèches douces, violentes, vraies. Je n'ai jamais su recevoir l'amour. J'ai appris à survivre, pas à aimer.

Je souffle enfin :

- Amélie... je... je ne sais pas aimer comme toi. Mais si tu restes... peut-être que je peux apprendre.

Elle sourit. Un sourire timide, fragile, mais sincère.

Et c'est à ce moment-là que la sonnette retentit.

- Tu attends quelqu'un ? je demande, instinctivement.

Elle fronce les sourcils, secoue la tête.

Elle se lève, va ouvrir. Et là, mon cœur se glace.

C'est Jessy.

Son regard va de moi à Amélie, puis revient sur moi.

- Fabrice, faut qu'on parle. Maintenant.

Son ton est grave. Très grave.

Amélie me regarde, interdite.

- Qu'est-ce qu'il se passe ?

Jessy entre sans qu'on l'invite. Elle ferme la porte. Son visage est tendu.

- Le type sur la photo. Celui que Noël a vu. On a découvert qui c'est vraiment.

Elle sort une feuille pliée de sa poche et me la tend.

Je la prends.

Une photo. Un article de presse. Un nom.

Et là... mon monde s'effondre.

Je connais cet homme. Je l'ai vu. Pas en rêve. En vrai.

C'est le mari de ma mère. Celui qu'elle a toujours présenté comme un oncle. Celui qui vivait à l'étranger et qui venait une fois par an. Celui qui me regardait toujours bizarrement.

- C'est lui, Fabrice. C'est ton père. Mais il a une autre famille. Un autre fils. Une autre vie. Et ton existence... pourrait tout faire exploser.

Je suis figé. Gelé. Hébété.

Le sol sous mes pieds disparaît.

Amélie me saisit la main. Jessy me fixe.

Et moi, je ne ressens plus rien.

Juste un vide. Immense. Profond.

Et une question qui s'impose dans mon esprit, comme un orage :

Suis-je prêt à affronter tout ça ?

            
            

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