Chapitre 5 Chapitre 5

**** De l'autre côté de la ville ****

**** Kylian DOUYA ****

Je sors de la salle de sport en retirant mon débardeur. La brise matinale qui m'accueille me fait un bien fou. Je ferme les yeux un instant, savourant cette sensation de fraîcheur. Après quelques exercices de respiration, je reprends mon chemin vers la maison. J'entre directement dans la salle de bain et en ressors une quinzaine de minutes plus tard, propre et revigoré. Enfilant un ensemble décontracté, je quitte ma chambre et me dirige vers la cuisine, où ma cuisinière m'observe avec un sourire.

- Inutile de m'aider, je te le répète à chaque fois.

- Je veux juste apprendre de vous.

- D'accord.

- Quand je vous vois cuisiner chaque matin, je me demande parfois à quoi je sers ici.

- Tu prends le relais quand je manque de temps, comme tu viens de le dire.

- Pourquoi commencez-vous toujours par faire revenir les oignons ?

Je soupire et commence à lui expliquer les subtilités de la préparation. Je tends la main pour saisir la boîte de sel, mais elle est introuvable.

- Où est-elle passée ?

- C'est sûrement Madame qui l'a déplacée, répond-elle en reculant prudemment.

Je ferme les yeux et inspire profondément. Cette femme a un don pour me mettre les nerfs à vif.

- Tenez.

- Merci, dis-je en prenant la boîte de ses mains.

Je termine d'assaisonner et repose la boîte à sa place habituelle. J'étends la main pour attraper ma louche préférée, mais je ne la trouve pas.

- C'est mémé qui a cuisiné hier, s'empresse telle de notifier pour sa défense.

- Et tu n'as pas pu ranger après elle ?

- Désolée, monsieur. Pardon, patron.

Je déteste le désordre. J'aime que tout soit impeccablement rangé. Dans ma maison, je connais l'emplacement exact de chaque objet. Même les yeux fermés, je peux saisir ce dont j'ai besoin. Quand ma main rate sa cible, comme à l'instant, mon humeur s'assombrit aussitôt.

- Bonjour ici !

- Non, ne pose pas ça là !

- Si je ne mets pas mes courses sur le plan de travail, je les mets où ? réplique-t-elle avec agacement.

- Maman ? dis-je en la voyant vider son sac de courses en désordre sur le plan de travail.

- Bien réveillé ? demande-t-elle sans me regarder.

Je me concentre sur mon petit déjeuner qui risque de brûler. Soudain, une tomate s'écrase contre le carrelage.

- Sérieusement, maman ? Tu es venue m'énerver ce matin ?

- Tu me tournes le dos comme ça ? Je suis ton égale maintenant ? Tu m'as répondu au moins ?

- Et c'est pour ça que tu salis ma cuisine ?

- Je repose ma question : bien réveillé ?

- Qu'est-ce que tu me fais depuis la semaine dernière ?

- Tes neveux et nièces reviennent ce week-end.

- Hors de question. C'est un non définitif.

- C'est pour eux que j'ai fait ces courses. Toi, range le reste. Le travail m'attend.

- Maman, attends !

- Passe une belle journée, mon chéri, dit-elle en pinçant ma joue avant de m'embrasser de force.

**** Maman Kylian ****

Oui, c'est intentionnel. Mon fils doit s'habituer à voir ses règles bousculées. Il vieillit et il est temps qu'il fonde une famille, qu'il me donne des petits-enfants. Les enfants, ça salit tout sur leur passage, et il doit relativiser. Je refuse qu'il impose ses manies de rangement et de propreté à mes petits-enfants. Ils doivent s'amuser, semer la pagaille, vivre leur enfance sans contrainte. Voilà pourquoi, deux week-ends sur quatre, ses neveux et nièces viendront chez lui. Il y a deux semaines, ils étaient là, et il a failli perdre la tête. Il finira par s'y faire. J'ai réussi à changer son père, je réussirai avec lui. Après tout, il est sorti de mes entrailles. Il changera, c'est certain.

                         

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