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Carène SABA
Je regarde ma petite sœur fulminer contre notre père et un sourire m'échappe. Comme je la comprends !
Si elle savait à quel point Saraï et moi avons traversé les mêmes épreuves avant elle !
- Calme-toi. Avec le temps, tu comprendras qu'il veut seulement ton bien.
- Arrêtez de me sortir cette phrase ! Cet homme ne m'aime pas et ne nous a jamais aimées. Ouvrez les yeux, bon sang !
- J'ai dit exactement la même chose que toi. Mais aujourd'hui, je le remercie en secret de m'avoir poussée hors de la maison.
- Il me demande de me débrouiller pour trouver un emploi, je m'y efforce, mais c'est lui qui me met des bâtons dans les roues ! Quel père aimant agirait ainsi ?
- Tu t'énerves pour rien. Calme-toi et raconte-moi où tu en es dans tes recherches de stages ou de boulot.
J'ai tenu le même discours qu'elle, il y a quelques années. J'ai jugé mon père, je l'ai même détesté à un moment donné. Mais aujourd'hui, je le remercie pour la femme forte que ses méthodes m'ont permis de devenir. En cherchant à le défier, à lui prouver que je pouvais réussir seule, j'ai accompli des choses dont je ne me serais jamais crue capable. Ma sœur finira par comprendre la technique du vieux : elle n'est pas idéale, mais elle nous pousse à nous révéler.
Irène SABA
- Prends soin d'elle pour moi, s'il te plaît.
- Ne t'inquiète pas, maman. Ta poussine est entre de bonnes mains.
- Si Jeffrey appelle ton mari pour lui demander de faire sortir Carène, prends ton téléphone et appelle-moi immédiatement.
- Maman, je n'aime pas cette colère et cette agressivité dans tes paroles. Ce n'est pas la première fois que papa traite tes enfants différemment des autres.
- Seulement, cette fois, nous allons régler ça autrement.
- Tu connais papa. Laisse tomber.
- Pas cette fois. Toute la famille SABA entendra parler de moi.
- Qu'est-ce que tu veux faire ?
- Vous le saurez bientôt.
- Maman, reviens ici !
- J'ai des affaires urgentes à régler.
Je quitte le salon sous son regard inquiet. Il est peut-être tard, mais Jeffrey va me sentir passer. Cette fois-ci, c'est moi qui gagnerai cette bataille.
En tant que mère, je connais les forces et les faiblesses de chacun de mes enfants. Saraï et Carène sont très différentes de leur petite sœur.
Ma cadette ne supporte pas la pression. Elle ne survivra pas à ce que son père s'apprête à lui imposer.
Si je suis restée silencieuse pour les deux aînées, c'est parce que je savais, au fond de moi, qu'elles relèveraient le défi, même si l'angoisse de les savoir hors de la maison, loin de moi, me dévorait.
Saraï a dû habiter chez ma sœur pendant des mois avant de prendre un appartement. Il m'interdisait de les aider financièrement. Mon mari est autoritaire : sa décision est toujours la dernière.
Quand il a exigé que Shelby quitte la maison à ses 22 ans, je me suis opposée. Je l'ai installée dans la chambre d'amis, juste en face de la nôtre, persuadée qu'il ne s'en apercevrait pas. Mais je me trompais.
S'il n'interdisait pas aux recruteurs d'embaucher nos enfants, elles n'auraient pas à quitter la maison, en pleurs, avec ce sentiment de n'avoir pour père que le plus insensible des hommes.
Il les force à enchaîner les petits boulots, attendant des mois avant de permettre à une entreprise de leur offrir un poste stable.
Je comprends qu'il veuille les endurcir, comme il me le répète sans cesse, mais il pourrait le faire autrement.
Aujourd'hui, ma fille est hors de la maison. Aucun SABA ne vivra plus sous mon toit. Ils sortiront tous, ou c'est moi qui partirai.
Il m'a toujours interdit de travailler, un conflit permanent entre nous. Je n'ai jamais manqué de rien ; mes comptes en banque sont bien garnis, mais j'ai toujours obéi. Incapable d'aider financièrement mes filles dans leurs moments de détresse, je respectais ses règles à la lettre.
Mais cette fois, je soutiendrai ma fille jusqu'à ce que son père lui accorde enfin ce qu'elle mérite : un emploi stable.
Carène SABA
- Ma chérie, aide-moi à lui trouver un travail.
- Tout ce que j'ai sous la main, c'est un poste de cuisinière. Mais elle ne pourra pas le faire.
- Pourquoi ? Tu sais bien qu'elle cuisine très bien.
- Mon patron est un maniaque de la propreté, et Shelby est plutôt désordonnée.
- C'est ton patron qui a besoin d'une cuisinière ou le restaurant ?
- Le restaurant.
- D'après ce que tu m'as dit, il n'est pas souvent présent.
- Oui, c'est vrai. C'est un homme très occupé, mais il peut débarquer à tout moment. Embaucher ta sœur, que je considère comme ma propre petite sœur d'ailleurs, pourrait me coûter mon poste.
- Elle s'améliorera. Tu la connais.
- Honnêtement, je préfère éviter les problèmes. J'ai vraiment travaillé dur pour obtenir cette promotion.
- Je comprends, mais elle a besoin d'un coup de pouce. Le vieux lui a encore fermé toutes les portes, comme à son habitude.
- Parfois, je me demande quel genre de père vous avez.
- Le meilleur du monde.
- Rien que ça !
- Elle doit prouver qu'elle peut se débrouiller seule. Elle doit faire ses preuves, et tu sais bien que le vieux observe toujours de loin.
- Je ne sais pas comment tu arrives à accepter son comportement si positivement.
- Parce que je suis passée par là et je comprends maintenant ses raisons.
- Hmmm...
- Tu lui donnes le poste, s'il te plaît ? Juste pour un essai.
- D'accord, je verrai ce que je peux faire.
- Merci, ma chérie.
- Mais tu lui expliques bien les règles dès le départ.
- Je lui en parle ce soir.
- Elle peut passer me voir demain matin au bureau.
- Merci, ma chérie. Tu es la meilleure.
Cela fait déjà une semaine que Shelby vit chez moi. Hier, j'ai reçu un appel du vieux, qui m'a accusée de l'encourager à mener une vie facile sous mon toit.
Il faut absolument que je lui trouve quelque chose à faire, et la meilleure personne pour l'aider reste mon amie Alicia.
Shelby adore cuisiner. L'été dernier, elle a suivi une formation auprès d'un chef renommé qu'Alicia lui avait recommandé. Elles s'entendent très bien, notamment grâce à leur passion commune : la cuisine. Alicia travaille dans la restauration. Nous sommes devenues amies grâce à la nourriture : j'adore manger, mais je déteste cuisiner, tandis qu'elle adore ça. Je vais souvent chez elle pour me régaler dès que l'envie me prend.
Chez moi, Shelby s'occupe toujours des repas lors des grandes occasions, donc je ne m'inquiète pas pour le poste qu'Alicia pourrait lui trouver. Mon seul souci, c'est sa paresse maladive pour le rangement. Shelby est soignée dans ce qu'elle fait, mais ranger après elle est un véritable défi. C'est le reproche que tout le monde lui fait.