Elle commença par observer. Écouter. Lire les silences de ceux qui l'entouraient. Elle fit discrètement l'inventaire des noms, des alliances, des trahisons camouflées dans les sourires polis. Même les domestiques n'étaient pas épargnés par son regard aiguisé. Giuliana voulait savoir tout ce qui se disait, tout ce qui se taisait.
Et surtout... elle voulait comprendre Leonardo.
Il n'était plus l'homme distant et implacable qu'elle avait rencontré. Il était un labyrinthe. Tantôt glacial, tantôt presque tendre. Tantôt cruel, tantôt protecteur. Il ne cherchait plus à la dominer - il semblait plutôt la tester, comme s'il attendait qu'elle se révèle à lui.
Elle finit par le confronter dans la salle d'armes, là où les Vitale conservaient les vestiges guerriers de leur histoire. Épées anciennes, dagues gravées, pistolets plaqués d'or. Une pièce qui sentait la mémoire et la menace.
Leonardo s'y trouvait, en train de fixer une vieille lame espagnole suspendue au mur.
« Tu sais que l'ironie est violente ? » dit-elle en entrant. « On célèbre notre union dans une pièce remplie d'armes. »
Il tourna la tête, un léger sourire au coin des lèvres. « Ce n'est pas une union, Giuliana. C'est une alliance militaire. »
Elle s'avança jusqu'à lui. « Alors dis-moi ce que je dois savoir. Qui sont nos ennemis ? »
Il la dévisagea. Longtemps. Puis, lentement, il répondit :
« Ton père a fait un pacte avec moi parce qu'il n'avait pas le choix. Ce que tu ignores, c'est que les Mariani sont surveillés. Deux familles rivales attendent leur chute. Si l'une d'elles s'allie avec les Taddei... tout s'effondre. »
Elle fronça les sourcils. « Les Taddei ? »
« Une vieille branche, oubliée pendant des décennies. Mais ils sont revenus. Avec de l'argent, des armes... et des hommes prêts à mourir pour se venger. Ils pensent que ton père leur a volé des terres dans les années 80. Ils ont déjà infiltré plusieurs cercles. »
Elle sentit une sueur froide lui parcourir l'échine. « Et tu penses que je peux t'aider à les arrêter ? »
Leonardo secoua la tête. « Non. Je pense que tu peux les devancer. Parce que tu n'es pas comme ton père. Et parce que tu comprends qu'un sourire bien placé vaut parfois plus qu'une balle. »
Giuliana s'approcha d'un vieux poignard exposé dans une vitrine. Elle effleura le verre.
« Tu veux que je charme les traîtres. Que je joue la belle pour attraper les serpents. »
« Je veux que tu deviennes le serpent. »
Leurs regards se croisèrent à nouveau. Elle comprenait, maintenant. Il ne cherchait pas une épouse. Il cherchait une arme. Et elle... elle n'avait plus envie d'être une victime.
« Très bien, » murmura-t-elle. « Apprends-moi. »
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Quelques jours plus tard, dans un club privé du centre de Florence, Giuliana fit sa première apparition en tant que future Vitale. Robe noire vertigineuse, regard acéré, sourire savamment dosé. Elle s'assit à la table d'un certain Alessandro Moretti, financier influent aux intérêts douteux.
Il avait des yeux d'ombre et des mains trop curieuses. Elle laissa faire. Jusqu'à un certain point.
« J'entends dire que les Taddei cherchent un visage féminin pour les représenter. Une voix douce pour leur nouvelle fondation, » glissa-t-il en servant son vin.
Elle joua l'innocente. « Quelle jolie idée. Mais les fondations, c'est tellement ennuyeux... »
Il rit. Et à ce moment-là, elle sut.
Il était avec eux.
Alors elle planta ses yeux dans les siens, baissa légèrement la voix et ajouta :
« Vous savez, monsieur Moretti... je suis une Mariani. Et bientôt une Vitale. Si vous me regardez comme une jolie distraction... vous allez perdre beaucoup plus que du vin. »
Son ton était calme, presque sensuel. Mais glacé.
Il se figea. Juste une seconde. Mais c'était suffisant.
Le poison était injecté.
Et Giuliana venait de faire sa première morsure.
Les jours qui suivirent furent une valse orchestrée avec une précision chirurgicale. Giuliana s'enfonçait dans son rôle de future Vitale comme on s'enfonce dans un costume taillé sur mesure. Chaque sourire qu'elle offrait cachait une information récoltée, chaque silence devenait une arme.
Dans les couloirs de la villa, on commençait à la craindre. Les domestiques se taisaient quand elle entrait, les conseillers de Leonardo baissaient les yeux avec une forme de respect mêlé de prudence. Même les membres de sa propre famille, habitués à la voir douce et effacée, la découvraient sous un jour nouveau.
Mais s'il y en avait un qui ne la perdait pas de vue, c'était Noah.
Il n'était pas parti. Il n'avait pas cédé à l'humiliation ou à l'orgueil. Il était resté dans Florence, en retrait, tapi dans l'ombre de ses convictions. Et lorsque Giuliana reçut une lettre sans signature, glissée sous sa porte, elle sut immédiatement que c'était lui.
Elle l'ouvrit avec des gestes rapides, fébriles.
« Je ne t'abandonnerai pas. Même si tu choisis cette guerre, je serai là. Tu ne dois pas devenir comme eux. Je te connais. Je sais ce qu'il y a en toi. »
Il n'avait pas signé. Il n'avait pas eu besoin. Son écriture, nerveuse et précise, suffisait.
Elle plia le papier. Le glissa dans la doublure de sa robe. Et sortit.
Ce soir-là, elle devait dîner chez les Franchetti, alliés des Vitale depuis trois générations. Un repas en apparence informel, mais tout était politique désormais. Tout se jaugeait, se pesait. Et Giuliana était attendue comme une pièce maîtresse.
Dans la voiture, Leonardo était silencieux. Il fixait le paysage nocturne à travers la vitre teintée.
Elle tourna la tête vers lui. « Tu sais qu'ils vont me tester. Ils veulent voir si je suis docile. »
Il hocha la tête. « Laisse-les croire ce qu'ils veulent. Puis choisis celui que tu veux mordre. »
Elle esquissa un sourire. Un vrai. Léger. Inattendu.
« Et si je te mordais, toi ? »
Il la regarda enfin. « Alors j'espère que tu vises juste. »
La soirée se déroula dans une villa nichée sur les hauteurs. Giuliana entra la tête haute, le menton levé, escortée par un Leonardo à l'allure létale. Les Franchetti les accueillirent avec chaleur feinte, comme on accueille des rois dont on redoute la puissance.
Autour de la table, les jeux commencèrent.
On évoqua des souvenirs. On échangea des rires. Puis, au détour d'un toast, Camilla Franchetti, la nièce du patriarche, glissa une phrase à voix basse, mais que tous entendirent :
« Il paraît que la belle Giuliana a brisé un cœur avant de venir. Un certain Ventura... C'est vrai ? »
Un silence s'installa.
Giuliana releva lentement les yeux. Un sourire paisible aux lèvres.
« Non. Je n'ai brisé aucun cœur. J'ai juste refusé de mourir pour quelqu'un qui ne voulait pas me sauver. »
Leonardo, à côté d'elle, pinça les lèvres. Juste assez pour trahir une admiration contenue.
Camilla haussa les sourcils, surprise par la réponse. Elle n'insista pas.
Mais l'ambiance avait changé.
Plus tard, alors que les conversations s'étaient déplacées vers le salon, Giuliana s'isola sur la terrasse. Elle avait besoin d'air. De distance. De reprendre le contrôle de son propre rythme.
Leonardo la rejoignit quelques instants plus tard. Il resta silencieux à côté d'elle.
Puis, au bout d'un moment : « Tu étais parfaite. »
Elle ne répondit pas tout de suite.
« Tu sais ce qui me terrifie, Leonardo ? » murmura-t-elle finalement.
« Dis-le. »
« Que je commence à aimer ça. »
Il la fixa. Longtemps.
« Alors tu es exactement là où je voulais que tu sois. »