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Laurenne GBÊDAN épouse AKUÊNU
- Où est Qadmiel ? je questionne Iris.
- Il ne viendra pas.
- Et pourquoi donc ?
- Parce que je lui ai dit de ne pas venir.
- Iris, tu sais que jouer les dures avec moi ne réglera rien ? Venir d'une bonne famille ne signifie pas forcément être quelqu'un de bien ou de fréquentable.
- Tu n'as donc pas confiance en moi ? Tu doutes de l'éducation que tu m'as donnée ? Tu penses vraiment que je suis assez stupide, inconsciente et tête en l'air pour laisser entrer dans ma vie quelqu'un de moralement douteux ?
- Je veux simplement connaître l'homme avec qui tu sors.
- Ton mari, le "FBI", ne t'a-t-il pas déjà dit qu'il a remué ciel et terre pour enquêter sur lui et qu'il est irréprochable ?
- Si tu veux le prendre ainsi, parfait. Justine, tout est prêt là-bas ? je m'adresse à ma cuisinière depuis le séjour.
- Oui, madame. La table est en train d'être dressée.
- Très bien. Préviens-moi dès que c'est prêt.
- D'accord, madame.
- Bonjour tout le monde ! salut Jade, ma fille aînée en entrant dans le salon.
- Bonjour ! Mais qui voilà ?
Je tends les bras à mon petit-fils qui court vers moi.
- Bonjour Jade. Où est Gift ?
- Elle arrive avec sa nounou.
Ma fille aînée, Jade, a deux enfants : son fils aîné Yann et la petite dernière, Gift. Jade est directrice adjointe de l'entreprise familiale basée ici au pays. Quand mon mari et moi sommes absents, c'est elle qui dirige l'entreprise.
- Toc, toc, toc ! Il y a quelqu'un ? crie Anaïs depuis la cour.
- Noooon ! répondons lui en cœur depuis le salon.
- Bonjour, bonjour ! elle salut en entrant dans le séjour avec sa fille dans les bras.
À peine a-t-elle posé un pied dans le salon que sa fille s'agite, prête à se jeter dans les bras de sa tante Iris. Ces deux-là s'adorent.
- Mais c'est ma petite fille adorée, ça ! Mon bébé !
Elle se lève pour prendre Joanna des bras de sa mère.
Ma famille est enfin réunie. Je les observe, le cœur gonflé d'amour et de fierté. C'est exactement comme ça que j'avais rêvé ma vie : une famille heureuse et unie autour de moi. Mon rêve d'adolescente s'est réalisé. Mes enfants s'entendent bien et sont soudés.
- Qu'est-ce j'ai faim ! Le repas n'est pas encore prêt ? questionne Jade.
- Mes bébés sont là ? questionne leur père en descendent les escaliers.
- Oui, nous sommes là, papounet ! répondent-elles en cœur.
Dès qu'elles l'aperçoivent, ses petites-filles se précipitent pour se jeter dans ses bras.
- Comment va mon premier amour ?
- Je pète la forme, comme vous dites, vous les jeunes.
- Donc, tu admets enfin que tu es vieux ?
- Chérie, tu entends ça ? Moi vieux ?
- Jade, méfie-toi ! Laisse mon mari en paix.
- Rectification : notre mari.
- Notre mari est encore dans la fleur de l'âge.
- C'est pour ça qu'il a perdu tous ses cheveux ? taquine son fils.
Tous éclatent de rire.
- Toi, tu ne comptes pas te trouver du travail pour quitter ma maison ? Le jour où je te mettrai dehors arrive à grands pas !
- C'est parce que vous vous ressemblez comme deux gouttes d'eau que vous vous entendez si bien ?
- Tu ne vois pas que c'est lui qui m'agresse tout le temps ? Je subis des attaques permanentes dans la maison de mon propre père ! Monsieur Akuênu, si ma façon de dépenser l'argent de mon père t'agace, va habiter chez pépé !
Joshua lui lance un trousseau de clés qu'Hervé esquive en se baissant.
- Ton PAPA ! dit-il en guise d'injure.
Les filles éclatent de rire.
- Qui est son père ? Ton fils te fatigue tellement que tu finis par t'insulter toi-même !
- Un conseil, les enfants : ne laissez jamais votre femme élever votre fils unique. Il finira paresseux, comme Hervé ici, éduqué par sa mère.
- Ce conseil, c'est à Hervé que tu dois le donner.
- Quand c'est bon, c'est toi. Quand c'est mauvais, c'est moi, c'est ça ?
- Madame, le déjeuner est prêt. Vous pouvez passer à table, m'infiorme ma cuisinière.
- Allez, debout ! Tout le monde à table ! je les invite en me levant en premier.
Ils me suivent, s'installent et commencent à se servir.
- Maman, tu te rappelles du pasteur de Tante Corine ?
- Oui.
- Tu as entendu dire qu'il est gay ?
- C'est une des raisons pour lesquelles je ne vais plus à l'église. Ces histoires-là... J'adore mon Dieu chez moi, tranquillement, dans mon cœur.
- Ces histoires de gays et de lesbiennes sont partout aujourd'hui.
- Hervé, tu n'es pas dans le lot, j'espère ?
- Tu es gay ?
- Oh oh oh ! Doucement, les filles. Mon anus ne sert qu'à évacuer les déchets de mon organisme et pas à autre chose.
Il n'a pas fini sa phrase que je lui lance la fourchette que j'ai en main.
- On est à table ! C'est quoi ces manières vulgaires ? Tu es tombé sur la tête ?
- C'est elles qui ont commencé !
- Je te tue si tu ramènes un homme ici. Jade, ne dis plus ce genre de bêtises sur mon fils !
- Ne t'inquiète pas, papa, moi j'aime les femmes. Le genre de la benjamine de Tantie Corine, par exemple... Seigneur, cette fille a un de ces derrières qui peut damner un saint.
Joshua avale de travers et commence à tousser violemment.
- Doucement, chéri. Bois un peu d'eau.
Jade, proche de lui, lui tend un verre d'eau.
- Hervé, ne me dis pas que tu fantasmes sur ta cousine ? il lui demande en reprenant son souffle. Je n'ose même pas prononcer le mot. Hervé, quel esprit te possède ?
- Je la trouve jolie, c'est tout. D'ailleurs, ça se fait dans certaines familles, non ?
Exaspéré, son père se tourne vers moi.
- Laurenne, ton enfant est stupide ou il cherche vraiment à me rendre fou ? Après avoir passé toutes les filles de cette ville et les domestiques de ta mère à la casserole, c'est au tour de tes cousines ?
- Maman, j'espère que tu as assez de pagne. Tu vas bientôt devoir attacher un enfant au dos, taquine Anaïs en riant sous cape.
- Hervé, si tu ouvres encore la bouche avant la fin de ce déjeuner, tu vas voir ! Enfant insupportable !
Ce garçon me fatigue sérieusement. Un vrai coureur de jupons. Je ne sais pas de qui il tient ce comportement. Son père n'est pas un saint, mais il n'a jamais été un homme volage. À cause de lui, je n'embauche plus de jeunes filles. Toutes celles qui travaillent pour moi aujourd'hui sont des femmes mariées et d'un certain âge.
Joshua me reproche que son fils soit un paresseux et un coureur de jupons. Il a déjà couché avec plus de la moitié de la ville. Je ne sais pas par quel miracle il n'a pas encore attrapé l'une de ces terribles maladies sexuellement transmissibles. Je remercie Dieu pour cela, d'ailleurs.
Je suis épuisée de lui parler. Il a obtenu sa licence l'année dernière et refuse de faire un stage ou de travailler. Il prétend vouloir monter son entreprise, mais chaque fois qu'on lui demande où en est son projet, il répond qu'il est encore en train de mûrir son idée de business.
C'est l'âge qui le joue. Il finira par se ressaisir, j'en suis sûre.
- Sérieusement, maman, tu ne trouves pas que tu protèges trop Hervé ?
- Nous, à peine notre diplôme en poche, un stage nous attendait. Et après le stage, on a commencé à travailler directement.
- Et moi alors ? rajoute Iris. Quand je suis rentrée au pays, une semaine plus tard, ta mère m'a trouvée allongée sur le canapé, en train de pianoter sur mon téléphone. Vous savez ce qu'elle m'a dit ?
- J'ai ma petite idée, murmure Anaïs.
- Elle m'a dit que personne ne paresse dans sa maison et que le lundi suivant, je partais travailler avec elle à l'entreprise.
- Vous avez fini ? Leur demandé-je fatigué d'une énième remontrance de leur part.
- Tu nous as donné la meilleure éducation qui soit, maman, et nous en récoltons les fruits aujourd'hui. Mais Hervé a fini sa licence depuis un an, et il ne fait rien à part se pavaner en ville, exhibant les dernières collections de chaussures et de montres, courant après les filles de bonne famille.
- Dernières collections de chaussures et de montres seulement ? Va jeter un œil dans son dressing ou parcours sa galerie sur les réseaux sociaux. Ton petit frère ne s'habille qu'avec les dernières collections de Gucci et autres grandes marques.
- Hervé, demain matin, je veux te voir habillé correctement à 7 heures, et tu m'attends dans mon salon.
- C'est pour aller où ?
- Tu viens de décrocher ton premier emploi. À partir de demain, tu deviens mon assistant.
- Quoi ? Mais j'ai besoin de temps pour mûrir mon idée de business. Dis-lui, maman !
- Ne la mêle pas à ça, s'il te plaît. Lui intime Jade. Tu es un homme maintenant, plus un gamin. Grandis un peu. Tu crois qu'elle sera toujours là pour te protéger ?
- Tu as intérêt à ne vraiment pas t'en mêler, me met en garde son père en me lançant un regard qui ne laisse place à aucun doute sur sa détermination.
C'est aussi ça, nos retrouvailles mensuelles. On lave notre linge sale en famille à chaque rencontre. Je sais qu'ils ont raison de dire que je protège trop Hervé. Peut-être parce que j'ai tant désiré donner un fils à mon mari que, lorsqu'il est finalement arrivé, je l'ai élevé comme un trésor fragile. Je l'aime tellement que mon amour m'aveugle et m'empêche de le réprimander comme je le devrais. Aujourd'hui, je laisse son père le recadrer, avant qu'il ne soit trop tard. Je veux le meilleur pour mon fils. C'est mon unique garçon.
- J'aimerais aborder un sujet.
- Vas-y, on t'écoute.
- J'aimerais que vous m'aidiez à faire entendre raison à maman. Je suis majeure et capable de vivre en dehors du cocon familial. Je veux prendre un appartement et y emménager, mais elle s'y oppose farouchement.
- Seul papa peut t'aider sur ce coup-là, ma chérie.
- Pourquoi ne vois-tu pas le bon côté des choses ? Tu as tout ici : une aile rien qu'à toi dans ce grand domaine, tu n'as pas à faire les courses, tu as un personnel aux petits soins. Tu as tout ce dont n'importe quelle jeune fille de ton âge pourrait rêver. Pourquoi te créer des soucis inutiles ?
- C'est mon choix.
- Au lieu de louer un appartement, pourquoi ne prends-tu pas une chambre dans le nouvel immeuble de Papa ?
- Personne ne quittera cette maison pour aller vivre selon son bon plaisir.
- Mais papa !
- Tais-toi et écoute-moi. Toutes les décisions que ta mère et moi prenons à votre sujet visent à vous protéger. Vous savez combien d'ennemis j'ai dehors, tapis dans l'ombre, attendant la moindre occasion de s'en prendre à moi ? En vous touchant, ils m'atteindraient. Ils nous atteindraient, ta mère et moi. Je te croyais assez intelligente pour comprendre ça.
- Papa a raison, intervient Anaïs. D'ailleurs, pourquoi veux-tu vivre seule ? Quelqu'un te rend la vie insupportable ici ?
- Je n'en peux plus que maman et papa ne respectent pas mon intimité, ma vie privée, et qu'on me traite constamment comme une enfant. J'ai besoin de mon propre espace. Ne plus être obligée de déjeuner à table tous les jours avec mon crétin de frère et mes parents comme si j'avais encore huit ans. Je veux pouvoir sortir déjeuner avec des amies ou des collègues, organiser mes journées à ma guise, sans devoir suivre les ordres de maman comme si j'étais en prison.
- Donc tu te sens prisonnière dans cette maison ? lui demandé-je.
- Pendant que d'autres rêveraient d'avoir ne serait-ce que 1 % de ce que tu as, toi, tu veux tout laisser tomber. Si elle se croit assez grande pour se débrouiller seule, protéger ses arrières sans l'aide de personne, alors laissez-la partir. Elle a déjà un salaire, elle peut en faire ce qu'elle veut.
- Personne ne quittera cette maison. Fin de la discussion. On n'en reparle plus.
- Non, chéri. Si Iris est si gênée de partager les repas avec nous, si c'est une torture pour elle de nous côtoyer au quotidien, alors laissons-la partir. Nous avons toujours voulu le meilleur pour nos enfants, pas qu'ils se sentent mal à l'aise ou opprimés chez eux. Cette maison doit être leur havre de paix, un lieu où ils se sentent en sécurité et épanouis. Iris, tu peux partir quand tu voudras.
- Merci, maman.
Si seulement elle comprenait que cette fermeté n'est que pour son bien et celui de la famille, elle nous en serait reconnaissante. Sa réaction ne m'étonne pas ; déjà petite, elle voulait toujours tout faire seule, prendre ses propres décisions. Être née dans une famille riche, exposée en permanence aux regards extérieurs, a ses avantages et ses inconvénients. Ce n'est pas facile pour nous non plus, en tant que parents.
Ce qui compte avant tout, c'est l'épanouissement de mes enfants. Si partir la rendra heureuse et accomplie, alors qu'elle parte. Son bonheur et son bien-être sont mes priorités.
Après le déjeuner et les discussions, je me retire dans mon salon privé avec Anaïs pour parler d'un projet d'affaires que nous souhaitons lancer ensemble. Elle a le goût du commerce, tout comme moi, et nous faisons régulièrement des affaires en commun. Anaïs a refusé de travailler dans l'entreprise familiale ou ailleurs. Après de longues études, elle a choisi de se lancer dans le commerce, et je l'ai soutenue avec enthousiasme. Je suis moi-même commerçante, je connais bien ce milieu.
On dit que Dieu ne donne pas tout à tout le monde, mais ceux qui disent ça n'ont sans doute jamais connu mon bonheur actuel. J'ai l'argent, la paix, la santé, et toutes nos affaires familiales prospèrent. Mes filles sont épanouies dans leurs foyers. Que puis-je demander de plus ? Dieu m'a tout donné, et je lui en suis infiniment reconnaissante.
C'est dans la joie, la bonne humeur et la paix du cœur que je passe ce dimanche après-midi avec mes enfants et petits-enfants, jusqu'à ce que chacune regagne son foyer respectif en fin de journée.