Chapitre 5 Chapitre 5

Lucian n'avait pas cessé de penser à Lyra depuis leur rencontre, mais c'était l'enfant qui occupait désormais ses pensées. Chaque détail de ce moment, chaque parole échangée entre eux, s'était imprimé dans son esprit, sans qu'il puisse s'en débarrasser. Le garçon. Ses yeux dorés. Il n'avait pas vu un enfant aussi étrange depuis... longtemps. Mais l'orgueil, ce poison insidieux qui coulait dans ses veines, l'empêchait de poser la question qu'il brûlait de poser.

Il savait qu'il aurait dû demander immédiatement à Lyra ce qu'il en était, mais quelque chose le retenait. Peut-être la peur de découvrir ce qu'il redoutait. Peut-être la reconnaissance d'un lien plus fort, plus ancien, qu'il ne voulait pas admettre. Le petit garçon n'était pas normal. Lucian le savait, il le sentait dans chaque fibre de son être. Mais comment était-il lié à Lyra ? Et pourquoi les yeux de cet enfant brillaient comme ceux des loups ? Il secoua la tête, comme s'il pouvait chasser cette pensée absurde. Après tout, il n'était pas un simple curieux. Il était l'Alpha. Rien ne devait l'ébranler.

Mais le souvenir du regard du garçon, ses yeux d'or, restait avec lui. La douleur qui en émanait était nouvelle, incertaine, déstabilisante. Lucian n'aimait pas ça. Il n'aimait pas avoir des questions sans réponses. Mais il savait aussi que les réponses ne viendraient pas facilement. Pas de Lyra. Pas d'un autre.

Il s'était rendu au marché tôt ce matin-là, espérant un peu de calme avant la tempête. Mais à peine son regard avait-il traversé la foule qu'il l'aperçut. L'enfant. Seul. Sa petite silhouette marchait entre les étals, en silence, comme s'il n'était qu'un simple spectateur du monde qui l'entourait. Ses yeux d'or brillaient dans la lumière du matin, un éclat étrange, hypnotique. Lucian n'eut pas besoin de s'approcher pour le sentir : ce garçon n'était pas un enfant comme les autres. Ce n'était pas un hasard. Aucun doute là-dessus.

Les yeux du garçon croisèrent les siens. Lucian sentit un frisson glacer son échine. Il ne bougea pas, ne fit pas un geste, mais une sorte de compréhension muette s'établit entre eux. L'enfant savait qu'il était observé. Et Lucian savait qu'il devait faire quelque chose. Mais la fierté, cette vieille ennemie, l'empêchait d'agir. Il attendait que le garçon fasse le premier pas. Qu'il parle. Qu'il révèle ce qu'il savait. Mais rien ne vint. Le petit garçon détourna les yeux, comme s'il n'avait même pas remarqué l'Alpha qui le fixait avec tant d'intensité.

Lucian prit une profonde inspiration. Il ne pouvait pas simplement laisser les choses en suspens, il ne pouvait pas l'ignorer comme ça. Ce garçon... il était un mystère qu'il n'avait pas encore résolu, et il détestait cette sensation. Il n'aimait pas être dans l'ombre des autres, surtout pas lorsqu'il s'agissait de questions aussi cruciales.

Il s'avança lentement, son regard fixé sur l'enfant qui continuait son chemin. Le marché était encore calme, les vendeurs peu nombreux, et la lumière tamisée du matin éclairait la scène comme dans un rêve lointain. Le petit garçon marchait sans se presser, ses yeux d'or brillant d'une clarté inquiétante. Lucian s'arrêta devant lui, bloquant son chemin. L'enfant leva les yeux, et une expression énigmatique se dessina sur son visage.

Lucian ne savait pas par où commencer. Il aurait voulu le secouer, lui demander ce qu'il savait, ce qu'il était, mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Au lieu de cela, il observa l'enfant dans un silence lourd, comme si la réponse à ses questions se trouvait dans ces yeux étranges, dorés comme des joyaux. Il ne posa aucune question, il attendit simplement. Attendre. C'était une méthode qu'il connaissait bien, mais elle ne le satisfaisait pas cette fois.

Les secondes s'étiraient, interminables, et pourtant, Lucian n'osait toujours pas briser le silence. Il s'était confronté à tant d'ennemis, tant de situations périlleuses, mais il n'avait jamais ressenti une telle tension en face de quelque chose d'aussi... inexplicable. La fierté, la combativité, tout cela faisait de lui un homme d'action. Mais là, face à cet enfant, il se retrouvait démuni. Il n'était pas habitué à être déstabilisé. Il n'était pas habitué à ressentir une telle... hésitation.

Finalement, c'est l'enfant qui parla. Pas d'un ton menaçant, ni même particulièrement audacieux. Juste une simple question qui sembla flotter dans l'air, lourde de sens.

« Pourquoi tu me fixes comme ça ? »

Lucian sursauta, mais ne répondit pas tout de suite. Cette question, si simple, l'avait pris au dépourvu. Il n'était pas habitué à être vu à travers cette lentille enfantine. Mais il savait que la réponse n'était pas dans le regard du garçon. Non, il la trouvait en lui-même, dans cette interrogation qui brûlait son esprit. Il avait l'impression que ce petit être savait des choses qu'il ne pourrait jamais comprendre. Et il avait raison.

« Tu n'es pas un enfant ordinaire, » finit-il par dire, sa voix basse et dure. « Dis-moi ce que tu sais. »

L'enfant ne sembla pas du tout perturbé par l'intensité de ses paroles. Au contraire, un sourire discret se dessina sur son visage. Il était calme, peut-être même plus que ce qu'un enfant de son âge devrait l'être. Ses yeux dorés se posèrent sur Lucian, comme s'il mesurait l'homme devant lui. Lucian se sentit plus vulnérable que jamais sous ce regard. Il attendait quelque chose, il attendait une réponse, mais il n'était pas sûr de ce qu'il cherchait réellement.

« Tu as les mêmes yeux que lui, » dit l'enfant soudainement. Sa voix était douce, mais ses mots lourds de sens. « C'est pour ça que tu as peur. »

Lucian déglutit. Les mêmes yeux que lui. Ce n'était pas possible. Il avait à peine conscience de ce que cela signifiait, mais le simple fait que l'enfant ait mentionné cela le déstabilisa davantage. Il secoua la tête, chassant l'idée. Non, il ne pouvait pas penser comme ça. Pas maintenant. Pas avec cet enfant.

« Je n'ai pas peur, » dit-il, plus pour lui-même que pour l'enfant.

« Tu mens, » répliqua le garçon, sans animosité, juste un fait. « Tu as peur parce que tu sais ce que tu as fait. Et tu sais que ce que tu as laissé derrière te rattrape toujours. »

Lucian ferma les yeux, une vague d'émotions mêlées envahissant son esprit. Il n'aimait pas la direction que prenaient les choses. Mais ce garçon... il savait. Il savait plus que ce qu'il aurait dû savoir. Lucian serra les poings, mais il n'agissait pas. Il n'agirait pas.

« Va-t'en, » ordonna-t-il finalement, sa voix tremblant légèrement, trahissant son désir de fuir.

Mais l'enfant ne bougea pas. Il ne le quitterait pas si facilement. « Tu ne peux pas fuir. Pas cette fois. » Il tourna les talons et commença à s'éloigner, comme s'il savait déjà que Lucian n'allait pas le suivre. Mais il laissa derrière lui une question non répondue, qui tourna encore et encore dans l'esprit de l'Alpha : Que savait-il réellement, ce petit garçon ?

Lyra avait vu Lucian s'approcher, ses pas lourds sur le sol, sa silhouette imposante se découpant lentement à travers la lumière qui pénétrait par les fenêtres. Elle savait qu'il était là avant même qu'il ne franchisse la porte. C'était une sensation inexplicable, une espèce d'alarme silencieuse qui se déclenchait à chaque fois qu'il se trouvait à proximité. Ce n'était pas de la peur, non. Ce n'était pas la panique qui la saisissait. C'était quelque chose de plus ancien, de plus viscéral. Un avertissement, un rappel de ce qu'il avait été pour elle et ce qu'il avait brisé.

Son fils était dans la pièce à côté, la porte à moitié ouverte, ses rires légers résonnant comme une mélodie innocente. Lyra serra les poings, son regard se durcissant. Il n'avait aucune idée de ce qu'il risquait en approchant. Il n'avait aucune idée de ce qu'il était en train de provoquer.

Elle se leva d'un geste brusque, se plaçant entre Lucian et la porte. Son corps, tendu, laissait échapper une aura d'avertissement qu'il connaissait trop bien. Elle le scruta, son visage marqué par la froideur et la méfiance, et croisa les bras sur sa poitrine dans un geste protecteur, presque instinctif. Tout en elle criait de le repousser, de lui faire comprendre qu'il n'était pas le bienvenu, qu'il n'avait pas de place ici.

« Il ne viendra pas vers toi, » dit-elle d'une voix ferme, sans lui accorder une once de douceur.

Lucian s'arrêta à quelques pas d'elle, son regard perçant fixé sur elle, une lueur de compréhension dans ses yeux, mais aussi une pointe de défi. Il n'avait pas changé. Son arrogance était toujours aussi présente, toujours aussi envahissante. Il était là, comme s'il n'avait jamais quitté sa vie, comme si tout ce qui s'était passé n'avait pas été un instant de folie.

« Je ne veux pas de mal à ton fils, Lyra, » dit-il, sa voix basse, mais pleine de cette gravité qui, elle le savait, dissimulait souvent un sous-texte bien plus lourd. « Je ne veux rien de plus que de m'assurer qu'il va bien. »

Elle ferma les yeux un instant, un souffle lourd traversant ses lèvres. Il se permettait de lui parler comme ça, de faire comme si la moindre de ses paroles ne trahissait pas une intention plus profonde. Il se permettait de franchir cette limite, d'agir comme si tout cela n'avait pas d'importance. Comment pouvait-il être aussi sûr de lui, aussi insensible à ce qu'il avait brisé en elle ? À ce qu'il avait brisé dans leur vie ?

Elle secoua la tête. "Tu ne comprends toujours pas, n'est-ce pas ? » Elle haussait la voix, une colère sourde s'éveillant en elle, mais il n'était pas là pour l'entendre. Elle le savait, il n'était jamais là pour écouter. »Tu n'as pas de place dans la vie de mon fils, Lucian. Ni dans la mienne. »

Les mots s'échappaient avec une force qu'elle n'avait pas anticipée, mais c'était nécessaire. Il fallait qu'il comprenne. Il n'y avait pas de place pour lui dans ce monde qu'elle avait bâti seule, dans ce futur qu'elle avait forgé sans lui. Il n'y avait rien qu'il puisse offrir à ce garçon. Rien de plus que des promesses vides et des mensonges, rien d'autre que des souvenirs d'un passé révolu.

Il la regarda, ses yeux sombres plissés de perplexité. Lucian ne s'attendait pas à cette réponse, à cette froideur. Cela le frappa, et pour la première fois depuis qu'il l'avait retrouvée, il sentit une distance qu'il ne pouvait franchir. Cette barrière entre eux était plus grande que n'importe quelle querelle, plus grande que les années qui les séparaient. Il avait toujours cru qu'il pourrait rattraper le temps perdu, qu'il pourrait se frayer un chemin à travers la colère et la douleur qu'il avait laissées derrière lui. Mais cette fois-ci, quelque chose semblait se dérober sous ses pieds.

« Je ne veux pas m'impliquer dans ton passé, Lyra, » dit-il, ses mots choisis avec une lenteur réfléchie. « Je veux simplement m'assurer qu'il est en sécurité. Tu sais bien que je peux protéger ton fils mieux que quiconque. »

Le regard de Lyra se durcit davantage. Ce n'était pas le problème. Il n'était pas là pour la protéger. Il n'avait jamais été là pour la protéger. Tout ce qu'il avait fait, tout ce qu'il avait laissé derrière lui, ne parlait pas de sécurité. Cela ne parlait que de trahison, de blessures mal cicatrisées. Ses gestes étaient calculés, ses paroles trop lisses, trop soigneusement adaptées à la situation. Elle en avait assez de ces promesses en l'air.

« Tu veux l'aider ? » répondit-elle froidement. « Alors reste loin de lui. Reste loin de nous tous. C'est tout ce que tu peux faire. »

Il la fixa, un silence tendu entre eux. La colère qu'elle avait contenue si longtemps s'épanouissait maintenant en lui, non pas sous la forme d'une explosion de rage, mais comme un poison lent, une réflexion amère. Comment avait-elle pu oublier ? Comment avait-elle pu se laisser entraîner dans ce piège une fois de plus ? Elle ne voulait pas se souvenir de ce qu'il représentait, de ce qu'il avait été, de ce qu'ils avaient été. Et pourtant, il était là, tout près, comme une ombre prête à engloutir tout ce qu'elle avait construit.

« Lyra... » La voix de Lucian se fit plus basse, plus pressante, comme s'il luttait contre un flot d'émotions qui ne pouvaient plus être contenues. Il s'avança d'un pas, un geste lent, comme pour tendre la main vers elle, vers le futur, vers ce qu'ils auraient pu être. « Je n'ai pas changé. Je sais que tu penses que je suis encore ce que j'étais. Mais je t'assure, ce n'est plus le cas. J'ai... changé. »

Elle secoua la tête, un geste simple, mais catégorique. Il ne comprenait pas. Il ne pouvait pas comprendre. Elle n'avait pas changé, elle. Elle avait appris à se défendre, à protéger ce qui lui appartenait. Et lui... il était toujours cet homme qu'elle avait cru connaître. Il ne savait pas à quel point il était lointain désormais.

« Je n'ai pas besoin de toi pour me protéger, » dit-elle d'un ton sec, presque cruel. « Je n'ai jamais eu besoin de toi. »

Les mots frappèrent Lucian avec plus de force qu'il ne l'avait anticipé. C'était comme une gifle invisible, mais bien plus douloureuse. La vérité de ses paroles, la froideur de ses sentiments, déchirait quelque chose en lui, quelque chose de profondément enfoui. Ses propres sentiments se heurtaient à un mur qu'il n'avait pas vu venir, et il ne savait plus comment avancer. Comment briser cette distance entre eux, comment réparer ce qu'il avait brisé en elle ?

« Tu n'as pas le choix, Lyra, » dit-il enfin, le regard sombre, marqué par une intensité qu'elle n'avait pas vue chez lui depuis longtemps. « Tu ne peux pas faire ça seule. Tu n'es pas toute-puissante. Et ton fils... il mérite mieux. »

Elle le regarda, le visage impassible, mais au fond d'elle, quelque chose se brisait. Elle savait ce qu'il voulait dire, elle savait qu'il avait raison d'une certaine manière. Mais il y avait trop de douleur, trop de passé entre eux pour qu'elle puisse accepter ses mots. Trop de trahison. Elle n'était pas prête à revivre ça. Pas prête à laisser Lucian revenir dans leur vie. Il avait perdu son droit à être là, dans cette petite bulle de sécurité qu'elle s'était construite.

« Tu as tort, » répondit-elle, sa voix plus basse, mais toujours aussi ferme. « Je suis bien plus capable que tu ne le penses. Et mon fils... il a tout ce dont il a besoin. Sans toi. »

Lucian s'arrêta net. Ce n'était pas ce qu'il attendait, et pourtant, il n'eut pas le courage de la contredire. Elle avait raison. Peut-être. Mais à cet instant, il ne savait plus si c'était la colère ou la douleur qui parlait en lui.

« Alors sois prudente, » murmura-t-il, avant de se tourner, la silhouette de l'Alpha disparaissant lentement dans l'ombre de la porte.

Lyra resta là, figée, ses mains tremblantes, son cœur battant plus fort. Elle avait repoussé la tempête, mais elle savait qu'elle reviendrait, plus forte, plus dévastatrice encore.

                         

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