Rejetée par les siens
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Chapitre 2 02

Le chemin que Raeden emprunta la mena à travers un dédale de couloirs sombres et imposants, où la pierre brute semblait emprisonner le moindre écho de leurs pas. L'air était plus frais ici, chargé d'une aura de tension latente, comme si ces murs avaient été témoins de trop de secrets, de trop de décisions dictées par la nécessité plutôt que par la clémence.

Elara avançait d'un pas mesuré, dissimulant la crainte sourde qui lui nouait l'estomac. Elle savait qu'elle ne pouvait se permettre aucune faiblesse face à l'Alpha de la Meute des Cendres. Kael n'était pas un homme que l'on pouvait impressionner par de vaines protestations ou de la résignation. Si elle voulait survivre ici, elle devait comprendre les règles de ce nouveau monde et trouver sa place avant que d'autres ne la lui imposent.

Raeden s'arrêta devant une large porte de bois renforcée de ferrures sombres. Il n'échangea pas un regard avec elle, se contentant de frapper une seule fois avant d'ouvrir sans attendre de réponse.

Elara inspira profondément avant d'entrer.

La pièce dans laquelle elle pénétra contrastait avec le reste du bastion. Plus spacieuse, plus lumineuse, mais toujours empreinte de cette rigueur presque militaire. Une large table en bois massif occupait le centre de la salle, encombrée de cartes, de documents et d'objets métalliques dont elle ne pouvait discerner la nature. Contre les murs, des étagères remplies de parchemins et d'armes soigneusement entretenues témoignaient du rôle de ce lieu : une salle de guerre.

Et au fond, devant une large fenêtre dont les rideaux avaient été laissés ouverts, se tenait Kael.

Son dos large et droit, tendu sous le poids d'une posture trop rigide, trahissait une vigilance constante. Il ne tourna pas immédiatement la tête vers elle, comme s'il pesait encore la nécessité de lui accorder son attention. Puis, enfin, il pivota légèrement, ses yeux d'un bleu froid venant se poser sur elle avec une intensité qui la cloua sur place.

Elara s'obligea à soutenir son regard, refusant d'être la première à céder sous cette pression silencieuse.

- Tu es levée tôt, finit-il par dire d'une voix calme, dénuée de toute inflexion d'émotion.

Elle ne répondit pas immédiatement. Que devait-elle dire ? Qu'elle n'avait pas trouvé le sommeil ? Qu'elle se sentait comme une étrangère dans sa propre vie ? Non. Rien de tout cela ne le concernait.

- Je n'avais aucune raison de rester enfermée, répondit-elle simplement.

Un éclat fugace traversa le regard de Kael, difficile à interpréter. Il s'approcha lentement, sans précipitation, chaque mouvement calculé et empreint d'une autorité naturelle qui ne nécessitait aucun artifice. Lorsqu'il s'arrêta devant elle, elle dut lutter contre l'envie de reculer. Il était plus grand qu'elle ne l'avait perçu la veille, son ombre la recouvrant presque entièrement.

- Tu es ici en tant que ma compagne, reprit-il d'un ton qui n'invitait à aucune contestation. Mais ne t'y trompe pas, Elara. Ce titre ne t'octroie ni privilège, ni statut. Tu n'es pas encore l'Alpha-femelle de cette meute.

Le message était clair. Elle n'était rien d'autre qu'un pion dans un jeu dont elle ignorait encore les règles.

- Alors que suis-je ? demanda-t-elle sans détour, sa voix maîtrisée malgré la tension qui montait en elle.

Kael la toisa un instant, comme s'il jaugeait le degré de défiance qu'elle osait lui opposer. Puis, lentement, il esquissa un léger mouvement de tête.

- Cela dépendra de toi.

Il recula, mettant fin à cette confrontation silencieuse.

- Raeden t'expliquera ce que j'attends de toi ici. Suis ses instructions.

Tout en lui indiquait que l'entretien était terminé. Il ne cherchait ni à la comprendre, ni à instaurer un semblant de dialogue. Il imposait, elle devait obéir.

Mais Elara n'était pas certaine d'être prête à endosser ce rôle docile qu'il semblait attendre d'elle.

Les heures qui suivirent furent un tourbillon de découvertes et d'instructions. Raeden, fidèle à son rôle, ne la ménagea pas. Il ne s'adressait à elle ni avec mépris ni avec bienveillance, mais avec une neutralité implacable, comme s'il lui revenait de prouver seule sa valeur.

Elara dut d'abord apprendre la structure de la Meute des Cendres. Contrairement à la Meute de l'Ombre, où l'Alpha régnait avec une autorité absolue et distante, ici, la hiérarchie reposait sur une discipline stricte et une implication constante de Kael dans chaque décision. Il ne se contentait pas d'ordonner : il était présent, sur le terrain, toujours à l'affût, toujours en action.

- Nous ne suivons pas Kael par peur, mais par choix, expliqua Raeden alors qu'ils parcouraient l'enceinte principale du bastion. Il ne s'agit pas d'une loyauté aveugle, mais d'une certitude : il ne nous abandonnera jamais.

Une façon subtile de lui rappeler qu'ici, elle n'aurait aucun passe-droit. Elle n'était pas une intruse tolérée par obligation, mais une présence qui devait encore mériter sa place.

Les bâtiments de pierre qui formaient le cœur du bastion étaient conçus pour l'efficacité, non pour le confort. Chaque pièce semblait avoir une utilité précise : forge, salle d'entraînement, entrepôts d'armes, quartiers des guerriers. Rien d'inutile, rien de superflu.

Les loups qu'elle croisa portaient sur elle un regard mitigé. Certains se contentaient d'un coup d'œil furtif, d'autres la détaillaient plus longuement, jaugeant son allure, son port de tête. Quelques murmures s'élevèrent sur son passage, vite étouffés par la présence de Raeden à ses côtés.

- Ne t'attends pas à être acceptée facilement, lança-t-il en remarquant son malaise. Ils ont entendu parler de toi. De ton absence de don.

Elle serra les poings.

- Et ils me voient comme un poids inutile.

Raeden ne confirma pas, mais il ne démentit pas non plus.

- Ils attendent de voir ce que tu vas faire.

Elara savait que la seule façon d'imposer son existence dans cet univers hostile était de prouver qu'elle valait plus que son absence de lien avec sa louve. Mais comment le faire quand tout, ici, reposait sur une force qu'elle ne possédait pas ?

La matinée se poursuivit dans un rythme infernal. Raeden ne lui laissa aucun répit, lui montrant les lieux, l'initiant aux règles strictes qui régissaient la meute, lui imposant des exercices physiques dont elle sortit trempée de sueur et les muscles en feu.

Elle n'était pas faible. Mais elle n'était pas comme eux.

Et cela ne cesserait jamais d'être un problème.

Quand enfin Raeden lui accorda une pause, elle se réfugia sur un balcon de pierre, dominant une vaste cour où s'entraînaient plusieurs guerriers. Elle les observa en silence, notant la précision de leurs mouvements, la coordination parfaite entre eux.

Et au centre de ce chaos organisé, Kael.

Il ne portait pas sa chemise, révélant une musculature sculptée par des années d'un entraînement rigoureux. Son corps était marqué de cicatrices, vestiges de batailles anciennes, mais loin d'être un rappel de faiblesses passées, elles semblaient n'être que des preuves de sa résilience.

Il affrontait trois adversaires à la fois, se mouvant avec une aisance déconcertante, chaque geste exécuté avec une maîtrise froide. Ses coups n'étaient ni précipités ni brutaux : ils étaient précis, calculés.

Elara retint son souffle lorsqu'il esquiva une attaque en pivotant, désarma son assaillant en un éclair avant de lui asséner un coup qui l'envoya rouler au sol. Les deux autres tentèrent de l'encercler, mais il se glissa entre eux avec une rapidité qui défiait toute logique, frappant là où il fallait, neutralisant sans blesser inutilement.

Il était une force de la nature.

Elle détourna les yeux, troublée par ce qu'elle venait d'observer. Ce n'était pas seulement de la puissance brute. C'était une maîtrise absolue de soi et de son environnement.

Une maîtrise qu'elle n'aurait jamais.

- Impressionnant, n'est-ce pas ?

Elara sursauta en entendant cette voix douce mais teintée d'amusement.

Elle se retourna pour faire face à une femme qu'elle n'avait encore jamais vue. De longs cheveux noirs encadraient un visage aux traits fins, et ses yeux dorés brillaient d'une intelligence vive. Contrairement aux autres loups qu'Elara avait croisés, elle ne portait pas une tenue militaire, mais une robe simple, fluide, d'un bleu profond.

- Je suis Nyssa, se présenta-t-elle en inclinant légèrement la tête.

Elara hésita avant de répondre.

- Elara.

- Je sais, sourit Nyssa. Tout le monde sait.

Elle se rapprocha, posant ses mains sur la rambarde, observant à son tour Kael en contrebas.

- Il n'a jamais perdu un duel, murmura-t-elle. C'est sa façon de montrer qu'il est digne de mener cette meute. La force, ici, ne se prouve pas avec des mots.

Elara sentit le poids de ces paroles.

- Alors que suis-je censée prouver, moi ? demanda-t-elle à mi-voix.

Nyssa la fixa un instant avant de répondre, un léger sourire aux lèvres.

- Peut-être que ta force ne réside pas là où ils l'attendent.

Puis, sans un mot de plus, elle s'éloigna, la laissant seule face à ses doutes.

Les jours qui suivirent s'écoulèrent dans une routine éreintante. Chaque matin, Raeden venait la chercher à l'aube pour l'entraîner sans relâche. Les épreuves physiques la laissaient brisée, ses muscles hurlant de douleur, mais elle serrait les dents et poursuivait, refusant d'être perçue comme un fardeau.

Elle apprit à manier les armes, à esquiver, à anticiper les attaques. Mais malgré ses efforts, elle ne pouvait égaler la vitesse et la force brute des loups de la meute. Elle n'était pas l'une des leurs. Elle ne le serait jamais.

Les regards méfiants ne s'étaient pas adoucis. Les guerriers l'observaient avec la même indifférence distante, comme s'ils attendaient encore une preuve qu'elle n'apporterait pas le chaos à leur équilibre fragile.

Même Kael restait une énigme. Il ne lui adressait la parole que lorsqu'il le jugeait nécessaire, et lorsqu'il le faisait, c'était avec cette neutralité inflexible qui lui donnait l'impression d'être une inconnue à ses yeux. Il n'avait ni froideur ni bienveillance à son égard. Juste une attente silencieuse.

Et cette attente, justement, était la plus grande des épreuves.

Une nuit, incapable de trouver le sommeil, Elara se leva et sortit du bâtiment principal. Le bastion était plongé dans l'obscurité, mais la lumière de la lune révélait les silhouettes des murs de pierre, les sentinelles postées en hauteur, les feux mourants dans la cour centrale.

Elle marcha jusqu'à la lisière des bois, là où les arbres se dressaient comme des ombres menaçantes. Un frisson lui parcourut l'échine. Dans son ancienne meute, elle évitait de s'aventurer trop loin la nuit, consciente qu'elle n'aurait jamais l'instinct aiguisé des siens pour détecter le danger.

Mais ici... Ici, elle n'avait rien à perdre.

Elle s'enfonça lentement entre les troncs massifs, inspirant l'odeur de la terre humide, écoutant le silence ponctué de bruits furtifs. Un craquement derrière elle la fit tressaillir. Elle se retourna vivement, scrutant les ténèbres.

Une silhouette se détacha de l'ombre.

Kael.

Il se tenait là, torse nu, le pantalon sombre épousant la ligne de ses hanches. Ses cheveux noirs étaient en bataille, comme s'il venait à peine de sortir d'un combat, et ses yeux brillaient d'une intensité étrange sous la lueur lunaire.

- Tu n'aurais pas dû venir ici seule, dit-il d'une voix basse, presque rauque.

Elara retint son souffle.

- Je ne crains pas la forêt, murmura-t-elle.

Un éclat indéfinissable passa dans son regard. Il s'approcha lentement, son pas souple et contrôlé, comme un fauve rôdant autour de sa proie. Lorsqu'il fut assez près, il leva la main et effleura une mèche de ses cheveux du bout des doigts.

- Ce n'est pas la forêt que tu devrais craindre, Elara.

Son murmure était à peine audible, mais il résonna en elle comme une menace voilée.

Ou un avertissement.

Avant qu'elle ne puisse répondre, un hurlement retentit au loin, brisant le silence nocturne. Un cri de loup, long et déchirant.

Kael se figea. Ses traits se durcirent instantanément.

- Rentre au bastion, ordonna-t-il. Maintenant.

Puis il disparut dans l'obscurité, laissant Elara seule face à l'écho de ce hurlement.

Un hurlement qui portait en lui un message glaçant.

La guerre n'était peut-être pas aussi loin qu'ils l'avaient espéré.

            
            

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