Chapitre 4 Chapitre 4- la brisure des illusions

Pierre se réveilla, encore sonné par la nuit agitée. Les bruits de la maison semblaient plus vifs que d'habitude ce matin-là, peut-être à cause de l'angoisse qui nouait son estomac. Le jour de la confrontation était enfin arrivé. Le jour où il allait découvrir ce qu'il devait faire face à cette situation, un mariage forcé dont il n'avait encore que peu d'informations.

La porte de sa chambre s'ouvrit brusquement. Claude se tenait dans l'embrasure de la porte, une expression impassible sur le visage. "Réveille-toi, Pierre. On part dans une heure," dit-il d'un ton sec et autoritaire, comme s'il ne s'agissait que d'une simple formalité.

Pierre, les yeux à moitié fermés, se leva lentement. Il n'avait pas le choix. Il allait devoir y faire face. Mais avant cela, il devait mettre les choses à plat, affronter l'homme qui avait été sa figure paternelle pendant des années. Il avait besoin de comprendre. Parce qu'il ne pouvait plus continuer à vivre dans l'ombre de ce qu'il ressentait.

"Tu sais, Claude," dit Pierre en s'habillant d'un ton qui trahissait un mélange de fatigue et de colère, "Je t'ai toujours aimé comme un père. J'ai cherché à te plaire, à m'intégrer, à être à la hauteur de tes attentes. Mais toi, toi tu ne m'as jamais vu comme un fils. Tu m'as toujours traité comme un étranger, comme un poids. Et c'est ça qui m'a fait mal."

Claude le regarda, un sourire narquois se dessinant sur ses lèvres. Il se tourna légèrement, haussant les épaules. "C'est drôle, parce que je t'ai toujours vu comme un fardeau. Tu n'es qu'un incapable, un être voué à l'échec. Tu penses que je suis censé t'aimer ? Que je devrais t'accepter ? Non. Tu n'as jamais été à la hauteur, Pierre, et tu ne le seras jamais."

Les mots frappèrent Pierre comme un coup de poing. Il avait beau se préparer à cette confrontation, il n'avait pas imaginé que la douleur serait aussi cruelle, aussi dévastatrice. Tout ce qu'il avait toujours espéré de cette relation, tout l'amour qu'il avait cherché à donner à Claude, semblait n'avoir été qu'une illusion. Un fantasme dans lequel il s'était laissé engloutir.

Pierre se leva, la colère bouillonnant en lui. "Tu ne me vois pas comme un fils, c'est évident. Et c'est ça qui me fait mal. Parce que moi, je t'ai vu comme un père. J'ai voulu être là pour toi, te prouver que j'étais digne de ton respect. Mais tout ce que tu as fait, c'est me rabaisser. Me montrer à quel point je ne comptais pas pour toi."

Claude, implacable, le fixa dans les yeux. "T'as raison, t'es qu'un fardeau, Pierre. Et ça me va très bien comme ça. Si tu crois que je vais te pleurer, tu te trompes. Mais tu sais quoi ? Si t'es si malheureux, si tu crois que t'es un échec, alors dégage ! Va foutre le camp et arrête de finir toute la nourriture qu'on doit même acheter avec notre propre argent. Si t'es incapable de faire quoi que ce soit de ta vie, tu peux aussi t'en aller."

Les mots de Claude résonnèrent dans l'esprit de Pierre, comme un écho qui ne voulait pas s'éteindre. Il était à bout de forces, mais quelque chose en lui se leva, une dernière étincelle de dignité. "Je vais partir, tu sais. Je vais finir par partir, mais je ne vais pas rester ici à me faire traiter comme ça."

Il tourna le dos à Claude, son cœur lourd, mais sa décision prise. Il n'était plus ce garçon vulnérable qui cherchait l'approbation de son beau-père. Il était enfin prêt à affronter la réalité de sa situation.

Claude, cependant, ne semblait pas être affecté par ses paroles. "Fais comme tu veux," répliqua-t-il, son ton froid et dénué de toute émotion. "Tu finiras juste par prouver une chose : t'es qu'un raté, et t'as toujours été un poids."

Pierre se dirigea vers la salle de bain, s'aspergea le visage d'eau froide pour tenter de faire disparaître la brûlure des paroles de Claude. Mais au fond de lui, il savait que ce n'était pas de la colère qu'il ressentait. C'était de la tristesse. Tristesse de n'avoir jamais eu la chance de vivre une relation père-fils véritable. Tristesse de voir que tout ce qu'il avait donné à Claude n'avait jamais été suffisant.

Il retourna dans sa chambre, se préparant mentalement à affronter ce qui allait suivre. La journée ne faisait que commencer, et déjà, il sentait le poids de tout ce qu'il avait perdu, de tout ce qu'il n'aurait jamais.

Demain, il rencontrerait Damien. Mais pour l'instant, il devait d'abord faire face à son propre passé, et à la vérité qu'il avait longtemps ignorée.

Pierre était dans la voiture avec son père, silencieux, perdu dans ses pensées. Les paroles de Claude résonnaient encore dans sa tête, mais il savait que ce n'était pas le moment de se laisser submerger par la colère. Il avait une mission à accomplir aujourd'hui, une rencontre qui allait, il l'espérait, éclaircir certaines zones d'ombre de son existence. Son père avait insisté pour l'accompagner chez Damien, son cousin. Un mariage arrangé, une vie bouleversée. La vérité l'attendait, là-bas.

Le trajet sembla interminable. Les rues défilaient sous leurs yeux, et Pierre se sentait de plus en plus distant de tout ce qu'il avait connu jusqu'ici. Quand ils tournèrent dans une rue à la périphérie de la ville, Pierre remarqua qu'ils s'éloignaient des quartiers familiers, se dirigeant vers des zones plus résidentielles, plus huppées. Il s'étonna de la façon dont la route semblait s'élargir, les maisons devenant de plus en plus imposantes à chaque coin de rue.

Puis, finalement, ils arrivèrent.

Devant lui se dressait une villa gigantesque, bien plus imposante que tout ce qu'il avait pu imaginer. Pierre se figea, les yeux écarquillés. C'était un véritable palais. Des colonnes majestueuses, des murs blancs immaculés, une grande porte en bois sculpté, encadrée par des fenêtres gigantesques. Le jardin était parfaitement entretenu, avec une fontaine en marbre qui jetait de l'eau dans une petite piscine artificielle. Des statues de bronze ornaient l'entrée, et l'architecture semblait tout droit sortie d'un film hollywoodien. Il n'arrivait pas à en croire ses yeux.

Le silence qui s'installa entre lui et son père était lourd, presque oppressant. Pierre n'avait jamais vu son cousin dans un cadre aussi luxueux. Bien qu'il ait entendu parler de sa réussite, il n'avait pas imaginé qu'il en était arrivé à un tel point. Le contraste avec la vie qu'il avait eue jusque-là était saisissant. Pierre, qui avait grandi dans des quartiers moins prestigieux, ne pouvait s'empêcher de se demander ce que Damien faisait pour avoir une maison aussi grandiose, aussi... irréelle. Un frisson d'incompréhension et de curiosité le traversa.

"Je... je ne savais pas qu'il avait autant de succès," murmura-t-il, presque pour lui-même, en observant la villa.

Son père, qui conduisait sans vraiment le regarder, répondit distraitement. "Damien a toujours eu un flair pour les affaires. C'est un homme intelligent, il a su saisir les bonnes opportunités. Son domaine est... particulier. Mais il est fort, il sait ce qu'il fait."

Pierre n'en était pas convaincu. Il n'avait pas d'indices concrets, mais quelque chose dans le ton de son père, son manque de précision sur les "affaires" de Damien, lui donnait une étrange impression de flou. Il n'était pas idiot, il savait bien que le succès rapide de quelqu'un pouvait avoir des côtés sombres.

La voiture s'arrêta devant la grande porte en bois de la villa. Le chauffeur descendit rapidement, et Pierre se retrouva face à cette demeure imposante, l'esprit en ébullition. Un sentiment étrange de malaise montait en lui, comme si quelque chose ne tournait pas rond. Mais il était trop tard pour reculer. Il allait devoir affronter cette réalité, ce cousin qui ne lui avait jamais vraiment parlé, ce mariage auquel il n'avait pas consenti.

Ils montèrent les marches et entrèrent dans la villa, accueillis par un majordome en costume impeccable. L'intérieur était tout aussi impressionnant que l'extérieur, avec de grandes baies vitrées, des lustres en cristal et des meubles en bois sculpté, d'une élégance froide, presque excessive. Pierre avait l'impression de pénétrer dans un univers parallèle, un monde qu'il ne connaissait pas, un monde où il n'avait pas sa place.

"Damien est dans son bureau. Suivez-moi," dit le majordome d'une voix calme et mesurée.

Pierre suivit son père, son regard balayant la pièce, absorbant chaque détail, comme pour tenter de comprendre ce qui l'entourait. Le contraste était encore plus frappant : cette maison, ce luxe, tout cela semblait tellement éloigné de sa réalité.

Enfin, ils arrivèrent devant une porte en bois massif, décorée de gravures délicates. Le majordome frappa légèrement et entra, annonçant leur arrivée.

"Damien, voici Pierre," dit-il simplement.

Pierre entra à son tour dans le bureau, le regardant se poser sur Damien pour la première fois dans ce cadre si particulier. Son cousin, bien plus âgé que lui, le regarda d'un air tranquille, un sourire aux lèvres. Il se leva de son fauteuil et s'avança vers lui.

"Bienvenue, Pierre. Je vois que tu t'es fait une idée de mon petit chez-moi," dit Damien, un sourire mystérieux sur les lèvres. "Je suis ravi de te rencontrer enfin."

Pierre n'eut pas de mots tout de suite. Il avait beaucoup de questions, mais il se sentait submergé par l'imposant décor et la froideur de l'accueil. "C'est... c'est impressionnant," réussit-il à dire, la voix hésitante. Il se demandait toujours quel genre de travail pouvait rapporter une telle fortune.

Claude n'avait pas traîné. À peine arrivé, il avait échangé quelques mots avec Damien avant de repartir, laissant Pierre seul avec cet homme qu'il n'avait pas vu depuis des années. La porte se referma dans un silence pesant, et une tension invisible envahit la pièce.

Pierre resta debout quelques secondes, hésitant, scrutant son cousin assis derrière son immense bureau en acajou. Damien ne disait rien. Il le fixait seulement, une lueur énigmatique dans le regard, comme un fauve qui observe sa proie avant de bondir.

"Assieds-toi."

Ce n'était pas une demande. C'était un ordre.

Une autorité glaciale émanait de Damien, une aura oppressante qui faisait comprendre à Pierre qu'il n'avait pas vraiment le choix. Il obéit malgré lui, s'installant lentement dans le fauteuil en face du bureau. Son cœur battait fort, et une étrange sensation s'emparait de lui.

Un silence pesant s'installa avant que Pierre ne prenne la parole, tentant de briser cette atmosphère étouffante.

"Écoute, Damien... Je suis sûr que tout ça est une plaisanterie, hein ?" Il tenta un rire nerveux. "Ce mariage... c'est une blague, pas vrai ?"

Damien ne répondit pas tout de suite. Il le regardait, amusé, presque attendri, comme si Pierre venait de dire quelque chose d'adorable. Puis, il laissa échapper un rire bas et grave, un son qui fit frissonner Pierre jusqu'à la moelle.

"Une blague ?" Damien se leva lentement, contournant son bureau avec une nonchalance inquiétante.

Pierre sentit son estomac se nouer en voyant son cousin s'approcher, chaque pas résonnant dans la pièce silencieuse. Il voulut reculer, mais il était déjà au fond de son fauteuil. Damien s'arrêta juste derrière lui, se penchant légèrement pour murmurer à son oreille d'une voix suave, presque douce.

"Non, Pierre... Ce n'est pas une blague. C'est la vérité. Tu es à moi maintenant."

Un frisson parcourut l'échine de Pierre. L'air lui sembla soudainement plus lourd, comme si une main invisible s'était refermée sur lui. Ce n'était pas une mauvaise blague. Ce n'était pas un cauchemar.

C'était bien réel.

            
            

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