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Chapitre 4
Les regards se concentraient sur eux dès que les premières paroles furent prononcées, comme si chaque mot pouvait sculpter leur destin. Gabriel avait décidé de prendre le contrôle de la situation, et il le faisait avec une assurance implacable. Son ton, froid et déterminé, imposait une autorité qui ne laissait aucune marge pour la contestation. L'annonce officielle n'était pas une simple formalité pour lui, c'était une déclaration de principes.
« Mesdames et messieurs, merci d'être présents. Nous avons une nouvelle à partager qui, j'en suis convaincu, retiendra toute votre attention. » Sa voix, bien que calme, vibrait d'une intensité presque palpable, et chaque phrase semblait soigneusement calibrée pour écarter toute dérive indésirable.
Lina, quant à elle, se tenait là, à côté de lui, ressentant chaque seconde comme une éternité. Les yeux rivés sur la multitude de visages, elle voyait dans chaque flash un reflet de sa propre angoisse. Les questions qu'on devinait déjà dans les murmures se transformaient en un flot incessant dès que le micro était cédé.
Un journaliste, dont le ton se voulait provocateur, lança presque aussitôt : « Qu'est-ce qui vous a poussés à conclure un tel accord ? Un mariage qui, de prime abord, semble purement transactionnel... »
Lina sentit ses mains devenir moites. Son cœur battait à tout rompre, non seulement à cause des interrogations, mais aussi face à l'implacable regard de Gabriel qui balayait la salle d'un œil de fer. Avant qu'elle ne puisse rassembler ses pensées pour tenter une réponse, il intervint d'une voix aussi tranchante qu'un couperet.
« Les raisons qui nous motivent sont d'une nature bien pragmatique. Les choix difficiles, lorsqu'ils s'imposent, ne sauraient être jugés par des questions aussi simplistes. Je vous demande de respecter la vie privée de Madame Blackwell et de ne plus insister sur ce sujet. »
Un silence lourd s'installa, suspendu dans l'air comme une sentence. Pour Lina, chaque mot prononcé par Gabriel était à la fois une armure et une épée. Elle se rappelait encore, quelques instants plus tôt, la lourdeur de son engagement et la crainte que cette façade publique ne la réduise à un simple objet d'échange. Maintenant, devant le regard scrutateur des journalistes, elle se sentait dépossédée de sa propre identité, réduite à un accessoire d'une transaction qui la dépassait.
Un autre intervenant tenta alors de reprendre la parole, insistant sur le côté émotionnel du geste : « Madame Blackwell, avez-vous vraiment accepté d'entrer dans cette union sans que des sentiments n'en soient affectés ? »
Les mots résonnèrent comme une gifle dans l'esprit de Lina. Elle cligna des yeux, le souffle court, incapable de formuler une réponse. Dans ce moment de vulnérabilité, Gabriel leva à nouveau la voix, son ton devenant encore plus froid, implacable :
« Nous ne sommes pas ici pour discuter de sentiments personnels, qui ne sont en aucun cas pertinents à l'objet de notre engagement. La décision a été mûrement réfléchie et prise pour des raisons qui me regardent, ainsi que Madame Blackwell. Nous vous demandons, une fois de plus, de cesser toute intrusion dans notre affaire. »
Le regard de Gabriel s'attarda un instant sur Lina, lui transmettant, sans un mot, la nécessité de rester discrète et de laisser parler l'ordre des choses. Les journalistes, bien que toujours curieux, se virent momentanément refoulés par l'autorité qui se dégageait de lui.
Lina se sentait déchirée entre l'envie de défendre son honneur et l'impérieux besoin de se protéger derrière l'autorité de Gabriel. Une voix intérieure lui soufflait que, malgré la froideur apparente de l'annonce, il y avait en lui une force capable de la soutenir. Mais à l'instant précis où un nouveau journaliste osait poser la question suivante, son cœur se serra davantage :
« Pouvez-vous nous expliquer, Madame Blackwell, comment ce contrat va réellement influencer votre vie personnelle ? »
La question flétrit ses lèvres, éveillant en elle un tourbillon d'émotions. Elle voulut répondre, pour expliquer la pression qui pesait sur elle, le désarroi que lui inspirait cette situation imposée, mais avant qu'elle ne puisse trouver les mots, Gabriel s'interposa avec une froideur qui glaça l'assemblée.
« Les détails de notre arrangement relèvent de notre sphère privée, et toute spéculation à ce sujet ne ferait que nuire à la compréhension de la réalité qui nous anime. Je vous prie donc de vous en tenir aux faits tels qu'ils ont été annoncés. »
La salle se figea dans un silence presque cérémonial. Lina, le regard fuyant, tenta de recueillir ses esprits tandis que les questions, bien que toujours présentes dans les murmures, s'amenuisaient sous le poids de l'autorité affichée par Gabriel.
Lors d'un bref répit, elle échangea un regard chargé d'inquiétude avec lui. « Je ne sais pas si je tiendrai le coup, » murmura-t-elle, sa voix à peine audible parmi les échos des applaudissements polis.
Il s'approcha légèrement, son regard se radoucissant pour un instant avant de reprendre sa posture impénétrable. « Tu es plus forte que tu ne le crois, » répondit-il avec un calme qui trahissait une compréhension intime de ses doutes. « Reste concentrée. Nous sommes ici pour assurer notre avenir, pas pour satisfaire la curiosité malsaine de quelques observateurs. »
Mais à peine eut-il achevé sa phrase qu'un journaliste, poussé par une audace renouvelée, lança : « Monsieur Blackwell, comment réagissez-vous face aux critiques qui accusent ce mariage de n'être qu'un stratagème pour des gains financiers ? »
Le silence retomba, plus lourd encore que le précédent, et le regard de Gabriel se durcit immédiatement. D'une voix tranchante, il répondit :
« Les faits sont les faits. Ce mariage est une réponse à une nécessité, et toute critique qui ne prend pas en compte la réalité des sacrifices consentis est vaine. Il n'est pas question ici de gains financiers ou d'opportunisme, mais de la survie et du bien-être de ceux que nous aimons. »
Chaque mot semblait mesurer la distance entre ce qu'on aurait pu qualifier de froideur calculée et une détermination indomptable. Pour Lina, ces paroles étaient à la fois une bénédiction et une malédiction. Elle comprenait la logique implacable qui régissait ce choix, mais ressentait intensément le poids de ce sacrifice sur sa propre vie.
Alors que le flot des questions semblait se tarir sous l'impact de ces répliques, un silence inhabituel s'installa, comme si le temps lui-même s'était arrêté pour contempler la scène. La tension s'enroulait autour d'elle, chaque seconde marquant une bataille intérieure entre la volonté de se défendre et celle de se résigner à l'inévitable.
Un autre journaliste, dont la question se voulait presque complice, s'avança : « Madame Blackwell, pensez-vous qu'il soit possible, au fil du temps, que ce contrat prenne une tournure plus personnelle ? Y a-t-il une chance que... »
Avant qu'il ne puisse achever sa question, Gabriel, d'un geste brusque, reprit le contrôle. « Assez ! » Sa voix claqua comme un glas, imposant le silence de manière définitive. Le regard perçant qu'il adressa à la salle laissait transparaître qu'il n'accepterait aucune autre digression sur ce sujet.
Le silence se fit, lourd et définitif. Lina sentit son cœur se serrer, mêlant à la fois la peur d'être jugée et la colère de devoir subir un tel interrogatoire public. La confrontation avec ces questions intrusives l'avait épuisée, mais dans le regard de Gabriel, elle trouvait une force qu'elle ne se reconnaissait plus totalement.
Une fois la poussière retombée, un murmure presque imperceptible s'éleva dans le vague retour des journalistes qui, à leur insu, semblaient désormais respectueux, sinon soumis, à cette autorité froide et inébranlable. Les derniers flashs des appareils photo et les derniers chuchotements se transformèrent en un bruit de fond lointain, laissant à Lina l'impression de n'avoir jamais été plus seule, ni plus exposée.
Alors que l'événement touchait à sa fin, quelques instants d'intimité permirent à Lina de se retirer discrètement du devant de la scène. Les émotions se bousculaient en elle : l'angoisse, la colère, mais aussi, dans un recoin de son esprit, l'espoir ténu d'un changement. Elle ne savait pas comment ou quand, mais quelque part, elle espérait que ce masque imposé par le contrat finirait par révéler une vérité plus profonde, peut-être même une part d'amour authentique cachée derrière la froideur de l'arrangement.
Gabriel, lui, demeurait à la fois le gardien de cet engagement et le rempart contre toute intrusion. Alors qu'il s'approchait d'elle, dans le secret d'un couloir moins exposé, ses paroles se firent plus douces, presque hésitantes :
« Tu as été admirable, Lina. Je sais combien tout cela te pèse, et je ne prétends pas que ce n'est pas difficile pour toi. Mais nous avons choisi ce chemin pour une raison. »
Elle baissa les yeux, ses mains encore tremblantes. « Je ne savais pas que cela deviendrait aussi... intense, » avoua-t-elle, la voix brisée par l'émotion contenue.
Il la regarda avec une intensité qui mêlait compassion et rigueur. « Chaque choix a ses conséquences. Tu as accepté ce contrat pour protéger ta famille. Tu n'as pas à répondre aux questions de ces gens. Leur curiosité n'a rien à voir avec ta valeur ou avec ce que tu es. »
Dans ce bref moment, les échos de la conférence s'atténuèrent, remplacés par une intimité fragile où seul comptait leur engagement mutuel, aussi contraint soit-il. Pour Lina, la journée avait été une épreuve, un examen brutal de sa résilience face aux exigences du monde extérieur. Mais quelque part, elle entrevoyait déjà que ce parcours, semé de doutes et de confrontations, était le début d'un voyage dont l'issue restait à écrire.
Les derniers instants de l'annonce officielle s'écoulèrent dans une sorte de torpeur, alors que les journalistes commençaient à quitter la scène, leurs murmures s'estompant peu à peu. Le sentiment d'abandon et d'exposition persistait en elle, mais il se mêlait désormais à la certitude que, malgré tout, elle ne serait pas seule. L'image de Gabriel, impassible et déterminé, resterait gravée dans sa mémoire, comme celle d'un protecteur dont la froide autorité était, en réalité, le reflet d'une volonté de préserver ce qui leur était cher.
Dans les heures qui suivirent, alors que le tumulte de l'événement laissait place à un calme relatif, Lina se retrouva seule avec ses pensées. Elle se rappela chaque question, chaque regard insistant, et sentit en elle la douleur d'une exposition forcée. Pourtant, cette douleur était aussi le signe d'une vérité qu'elle avait trop longtemps enfouie : celle de sa propre force intérieure. Même si le monde extérieur ne comprenait pas ses choix, elle savait qu'ils étaient nécessaires pour sauver ce qui lui était le plus précieux.
Gabriel, de son côté, ne cessa de répéter intérieurement que la route serait longue et semée d'embûches. Mais il voyait aussi en Lina une lumière fragile, une étincelle capable de transformer ce qui paraissait être un simple accord en quelque chose de plus authentique. Dans le silence retrouvé après l'orage des questions, il se promit de veiller sur elle, de l'aider à traverser cette épreuve publique, aussi difficile soit-elle.
Alors que le jour touchait à sa fin, la lourde impression laissée par la conférence commençait à se dissiper doucement. La force imposée par Gabriel, la froideur de ses réponses, et la détermination avec laquelle il avait balayé toute tentative d'intimité, avaient laissé une marque indélébile dans l'esprit de Lina. Elle se demandait si, au-delà de la façade rigide du contrat, il existait une possibilité de trouver une voie qui lui appartiendrait vraiment.
« Nous continuerons, » lui murmura-t-il alors qu'ils s'apprêtaient à quitter la scène, « et nous trouverons un moyen de faire de cet arrangement non pas une contrainte, mais une chance de redéfinir ce que signifie vraiment s'engager l'un envers l'autre. »
Ces mots, bien que prononcés avec la même froideur calculée qui avait animé toute la journée, portaient en eux une lueur d'espoir. Pour Lina, ils étaient à la fois une promesse et un défi. Un défi de surmonter la peur du jugement, de transformer l'obligation en une force intérieure, et peut-être, au fil du temps, de découvrir ce qui se cachait derrière les apparences rigides d'un accord imposé.
La conférence officielle s'était achevée, mais son impact se faisait déjà sentir dans chaque pensée, chaque soupir de Lina. La réalité de ce contrat, et la manière dont elle avait été exposée au monde entier, était désormais indissociable d'elle. Pourtant, au cœur de cette épreuve, une conviction s'était enracinée : celle de ne jamais laisser le regard des autres définir sa propre valeur. Malgré la froideur des questions et la dureté des réponses, elle était déterminée à forger son propre chemin, à trouver dans cette union imposée le moyen de protéger ceux qu'elle aimait et, peut-être, de révéler une vérité plus profonde sur elle-même.
Ainsi, dans le tumulte d'un événement orchestré pour masquer la douleur d'un choix difficile, la force d'un engagement naissait, fragile mais tenace. Gabriel et Lina, unis par des circonstances qui échappaient à leur contrôle, s'apprêtaient à affronter ensemble un avenir où chaque regard, chaque question, serait le prélude à une lutte pour la dignité et l'espoir. La scène se refermait, mais en eux résonnait déjà l'écho d'un pacte silencieux, celui d'un futur à bâtir, malgré les épreuves, dans l'ombre des regards scrutateurs et des interrogations implacables.