Chapitre 1
L'air vibrait d'une tension sourde, comme si la pièce elle-même retenait son souffle. Un silence oppressant s'étira, alourdi par le poids de ce qui venait d'être dit. Lina cligna des yeux, cherchant à comprendre si elle avait bien entendu.
- Un contrat de mariage ? répéta-t-elle, la voix plus étranglée qu'elle ne l'aurait voulu.
De l'autre côté du bureau massif, Gabriel la fixait, imperturbable. Son regard, d'un gris acier, ne cillait pas. Il attendait. Lina ouvrit la bouche, puis la referma aussitôt. Qu'était-elle censée répondre à une telle absurdité ?
- J'espère que c'est une blague.
- Je ne plaisante jamais avec ce genre de choses.
Sa voix était calme, posée, presque détachée, et pourtant, elle sentait la tension qui émanait de lui, comme un prédateur prêt à bondir. Elle croisa les bras sur sa poitrine, comme pour se protéger de l'aura écrasante qu'il dégageait.
- C'est ridicule.
- C'est une opportunité.
- Une opportunité pour qui ? Certainement pas pour moi.
Un léger rictus releva le coin de ses lèvres. Pas un sourire. Juste un tressaillement, à peine perceptible.
- Oh, mais au contraire. Vous avez tout à y gagner.
Lina sentit un frisson lui courir sur l'échine. Il n'avait pas élevé la voix, et pourtant, il venait de balayer ses protestations avec une facilité déconcertante. Elle secoua la tête, essayant de reprendre le contrôle de la conversation, de la situation.
- Pourquoi moi ?
- Parce que vous êtes là. Parce que vous êtes discrète. Parce que vous ne cherchiez pas cela, ce qui me garantit votre sincérité.
Elle serra les poings. Il la jaugeait, la disséquait du regard, comme s'il pouvait anticiper chacun de ses mouvements avant même qu'elle ne les fasse.
- Je ne suis pas un objet que l'on choisit par défaut.
- Ce n'est pas ce que j'ai dit.
- C'est tout comme.
Elle recula d'un pas, croisant son regard avec défi. Gabriel Blackwell pouvait être puissant, impitoyable, il ne la ferait pas plier avec une simple offre déguisée en proposition d'affaire.
- La réponse est non.
Elle fit demi-tour, prête à sortir, mais sa voix la retint.
- Votre famille croule sous les dettes.
Son pas se suspendit dans le vide, juste un instant.
- Ce n'est pas votre problème.
- Ça pourrait l'être.
Elle se retourna lentement. L'air avait changé. Ce n'était plus un simple échange, c'était un jeu où les enjeux dépassaient largement ce qu'elle avait imaginé. Gabriel se leva, contournant son bureau avec une lenteur calculée.
- Vous pensez pouvoir les aider seule ?
Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais il la devança.
- Une mère malade. Un frère qui a abandonné ses études pour travailler. Un père endetté jusqu'au cou, incapable de rembourser ce qu'il doit.
Chaque mot était une lame affûtée qui s'enfonçait un peu plus. Lina sentit sa gorge se nouer. Comment savait-il tout cela ?
- Qui vous a donné ces informations ?
Il haussa un sourcil, comme si la réponse était évidente.
- Je ne fais jamais d'offre sans avoir évalué toutes les variables.
Une colère sourde s'empara d'elle.
- Vous avez enquêté sur moi.
- Bien sûr.
L'arrogance tranquille avec laquelle il prononçait ces mots la fit bouillonner.
- C'est une violation de ma vie privée.
- C'est une précaution.
- Et qu'est-ce que ça change, au fond ? Vous pensez que parce que ma famille a des dettes, je vais sauter sur votre proposition ?
Il croisa les bras, l'observant un instant avant de répondre.
- Non. Mais je pense que vous êtes une femme intelligente. Et qu'une femme intelligente sait reconnaître une opportunité quand elle en voit une.
Lina inspira profondément, tentant de faire taire le tumulte dans son esprit. Elle ne pouvait pas ignorer la vérité. Sa famille était au bord du gouffre. Elle se tuait à la tâche pour un salaire misérable, essayant de colmater les brèches d'un navire qui sombrait inexorablement.
- Qu'est-ce que vous y gagnez ? murmura-t-elle.
Un sourire effleura à peine ses lèvres.
- Ce n'est pas votre préoccupation.
- Vous attendez vraiment que j'accepte un mariage sans même savoir pourquoi vous me le proposez ?
- C'est une affaire, Lina. Pas une romance.
Elle sentit une étrange frustration poindre en elle. Il parlait comme s'il ne s'agissait que d'un simple contrat. Comme si ce qu'il lui demandait n'avait rien d'exceptionnel.
- Et si je refuse ?
- C'est votre choix. Mais soyez honnête avec vous-même. Pouvez-vous vraiment vous le permettre ?
Elle serra les mâchoires. Ce n'était pas un chantage direct, mais cela y ressemblait. Gabriel Blackwell ne menaçait pas. Il exposait simplement les faits, froidement, méthodiquement.
Elle pensa à sa mère, à l'inquiétude permanente qui marquait ses traits. À son père, usé par le poids des erreurs du passé. À son frère, qui méritait mieux que de sacrifier son avenir pour les leurs.
- Six mois, dit-il, sa voix brisant le silence.
Elle releva la tête.
- Quoi ?
- Le mariage. Il durera six mois.
Un vertige la prit. Six mois de sa vie. Avec lui.
- Après quoi ?
- Nous divorçons. Vous repartez libre, avec suffisamment d'argent pour assurer l'avenir de votre famille.
Son cœur battait à tout rompre.
- Et en échange ?
- Vous jouez votre rôle.
Lina déglutit. C'était insensé. Complètement insensé.
- Vous voulez vraiment m'épouser ?
- Ce que je veux, Lina, c'est une épouse temporaire. Pas un engagement sentimental.
Elle passa une main tremblante dans ses cheveux. Son instinct lui hurlait de fuir, mais la logique s'imposait. Ce n'était pas un piège. Pas un mensonge. Juste une proposition brute, calculée.
Elle croisa son regard, cherchant une faille, une hésitation. Il n'y en avait aucune.
- Six mois ? souffla-t-elle.
- Six mois.
Elle ferma les yeux une seconde, cherchant une échappatoire. Il n'y en avait aucune.
Lorsqu'elle les rouvrit, elle savait déjà que sa vie ne serait plus jamais la même.