Chapitre 5 Chapitre 5

Chapitre 5

Elle avait laissé la lettre sur la table, soigneusement pliée, les mots écrits avec calme et détermination. Une lettre qu'il ne lirait pas tout de suite, ou peut-être jamais. Elle ne s'en inquiétait pas. La seule chose qui comptait, c'était qu'elle parte. Qu'elle s'éloigne de cette vie, de cette maison qui n'avait jamais été la sienne, même quand elle y était. Elle n'avait plus de place, plus d'illusion.

La porte s'était refermée derrière elle dans un silence lourd, comme un dernier adieu sans espoir de retour. Ses pas l'avaient menée droit vers la rue, vers un ailleurs. Un ailleurs qu'elle n'avait pas encore dessiné, mais qui ne pouvait pas être pire que ce qu'elle avait quitté.

Antoine n'avait pas posé de questions. Il avait vu son visage, ces yeux qui refusaient de s'exprimer, mais qu'il comprenait trop bien. Il n'avait pas besoin de savoir les détails pour savoir qu'elle avait franchi la ligne de non-retour. Sans un mot, il l'avait prise dans ses bras, comme si cela pouvait réparer tout ce qui s'était brisé. Comme si tout le soutien qu'il lui offrait pouvait combler ce gouffre d'incertitudes, de craintes, et de colère qu'elle portait en elle.

Il ne lui demanda pas pourquoi elle ne revenait pas chez elle. Ni pourquoi elle semblait aussi ferme, aussi décidée. Il savait que les raisons étaient nombreuses, que chaque minute de silence, chaque geste qu'elle avait fait, avait suffi à lui donner des réponses.

Marianne se laissa faire. Elle s'installa sur le canapé, chercha à se perdre dans l'agitation de la maison, à se faire oublier de son propre esprit. Mais, dans le fond, c'était impossible. Ce qui la hantait, ce n'était pas le départ en soi, ni la colère, ni la tristesse, mais l'idée qu'il ne viendrait pas la chercher. Pas maintenant. Peut-être jamais. Il ne l'avait pas retenue, et de toute façon, elle n'aurait pas voulu qu'il le fasse. Il n'avait jamais su comment la tenir, comment l'aimer comme il aurait dû.

Antoine passa et repassa, apportant un verre d'eau, une couverture, un repas qu'elle n'arrivait pas à toucher. Mais il n'insista pas. C'était une question de temps. Elle finirait par se remettre. Il le savait, même s'il ne le disait pas à voix haute.

Le lendemain matin, Marianne se leva tard. Le calme régnait. Pas de bruits de pas précipités dans la maison, pas de voix familières venant lui rappeler qu'un monde l'attendait encore dehors. Il y avait juste le silence et ce vide, lourd et oppressant. Elle se sentait bien, mais vide. C'était un paradoxe qu'elle avait appris à accepter.

Les heures passèrent lentement. Antoine était sorti pour une réunion, laissant Marianne seule avec ses pensées. C'était dans ces moments-là qu'elle ressentait la solitude d'une manière plus cruelle. Elle avait laissé une partie d'elle-même dans cette maison, et maintenant, elle se retrouvait à la chercher dans le vide de son propre esprit.

Ce n'est que plus tard dans l'après-midi que le téléphone sonna. C'était lui. Léonard.

Le son de sa voix sur le répondeur la fit tressaillir. « Marianne, où es-tu ? » Il n'avait même pas pris la peine de dire « bonjour ». Sa voix était froide, comme s'il cherchait juste à savoir où elle était, sans comprendre l'urgence de la question. « Tu peux me rappeler quand tu auras le temps. » La fin de son message était presque indifférente.

Elle coupa immédiatement. C'était la première fois qu'il ne lui parlait pas avec cette tendresse qu'il ne lui avait jamais donnée. C'était la première fois qu'il semblait vraiment la laisser partir.

Les minutes s'égrenaient lentement, et, pour la première fois depuis longtemps, Marianne se sentit en paix. Il était parti. Elle était partie. Et même si cela ne faisait pas disparaître la douleur, cela la rendait supportable.

Léonard, lui, ne remarqua son absence que le lendemain matin. Il se leva comme chaque jour, traîna ses pieds dans la grande pièce silencieuse de la maison, cherchant un écho dans le vide. Il passa devant la porte de leur chambre, s'arrêta une seconde, puis tourna le dos à l'angoisse qui montait en lui. Il se rendit dans la cuisine, espérant la voir préparer un café, un sourire prêt à l'accueillir comme tous les matins. Mais il n'y avait rien.

Il ouvrit l'armoire et chercha son manteau, mais il n'y avait rien non plus. Rien qui trahisse la présence de Marianne, rien qui lui fasse comprendre qu'elle avait pris la décision de partir.

Il prit un moment pour comprendre. Puis, lentement, il alla jusqu'à la table du salon, là où la lettre était toujours posée. Il la lut, et ses yeux se durcirent en parcourant les mots qu'elle avait soigneusement écrits. Elle ne l'avait pas accusé, pas directement. Elle n'avait pas cherché à le blesser, mais à le libérer. Et dans ce silence, elle avait pris une décision qu'il n'avait jamais pu voir venir. Qu'il n'avait jamais voulu voir venir.

« Je suis partie. Parce que tu n'as jamais su me choisir. » Il s'arrêta sur ces mots. Puis, il relut la phrase. Encore et encore.

Il était seul. Comme il l'avait toujours été.

Marianne n'était plus là. Elle ne reviendrait pas. Et il ne savait même pas s'il en avait envie. Pas maintenant. Pas après tout ce qu'il avait laissé passer.

Dans le fond, il savait qu'il n'aurait pas agi autrement, que l'histoire entre eux était écrite dans l'inéluctable. Mais ça ne changeait rien. Elle avait disparu. Et il ne savait même pas si ça le perturbait plus qu'il ne l'admettait. Il se leva et se dirigea vers la porte, cherchant encore une fois un moyen de changer la situation. Mais une voix intérieure lui disait que c'était trop tard.

Elle n'était plus là. Et il n'aurait pas de réponse à ses questions. Pas cette fois.

                         

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