/0/23296/coverbig.jpg?v=953f1282722632c6d6c23d5a7a643bef)
Chapitre 3
Marianne n'avait pas prévu d'écouter. Elle n'avait même pas l'intention de tendre l'oreille. Mais le bruit des voix, faibles au début, attirèrent son attention. Un éclat de rire qu'elle reconnut immédiatement. Juliette. Il n'y avait pas d'autre rires comme celui-là, un rire plein de cette intimité qu'elle n'avait jamais partagée avec Léonard. C'était un son qui la hantait. Elle s'arrêta, discrète, juste à côté de la porte qui menait à la bibliothèque, et attendit. Un simple instant. Un moment de curiosité, d'espoir, et puis la vérité, froide, tranchante.
Elle ne savait pas pourquoi elle restait là. Peut-être qu'au fond, elle cherchait à se rassurer, à entendre quelque chose qui ferait taire les doutes qui grondaient en elle. Mais au lieu de cela, elle entendit des mots qui firent éclater son cœur, et elle n'eut pas la force de partir. Pas tout de suite.
« Tu te souviens de cette nuit à Venise ? » La voix de Léonard était douce, presque nostalgique. « C'était... c'était parfait, tu ne trouves pas ? »
Marianne sentit un nœud se former dans sa gorge. Elle ferma les yeux un instant, prenant une profonde inspiration, mais les mots continuèrent à résonner dans son esprit.
« Tu me manques, » ajouta Juliette d'une voix basse, presque murmurée, mais Marianne entendit chaque syllabe. « Tu sais, on pourrait retrouver ce qu'on avait. Ce ne serait pas difficile. »
Marianne se sentit brûler de l'intérieur, comme si quelqu'un venait de lui enfoncer un poignard dans le cœur. Elle aurait voulu partir, s'enfuir, ignorer ce qu'elle venait d'entendre. Mais quelque chose la cloua sur place. Elle n'avait pas besoin de plus de preuves, elle connaissait déjà la réponse. Pourtant, elle écouta encore, comme si son corps avait besoin de ces derniers éclats de vérité.
« Je ne sais pas... On a tous les deux changé. » La voix de Léonard était plus grave maintenant, mais il n'y avait aucune fermeté dans ses mots, juste cette hésitation qu'elle reconnaissait bien trop. « Marianne est... elle est enceinte, Juliette. Tu sais ce que ça implique, n'est-ce pas ? »
Le prénom, lancé si simplement, fit l'effet d'une gifle. Elle aurait voulu reculer, mais ses pieds semblaient cloués au sol.
Juliette se tut un instant, mais Marianne sentit son regard peser sur elle, invisible mais intense. « Tu ne crois pas que tu pourrais avoir ce que tu veux des deux côtés ? Tu l'aimes encore, non ? »
Léonard répondit par un silence lourd, et Marianne sentit son cœur s'accélérer, une douleur aiguë à chaque battement. Ces mots, ces doutes, cette attirance persistante pour Juliette... Il ne l'avait jamais quittée. Elle le savait maintenant.
Le temps sembla se suspendre. Marianne ne savait pas combien de temps elle resta là, écoutant chaque mot avec une intensité qu'elle n'avait jamais éprouvée. Elle n'avait pas besoin de plus pour comprendre. Il n'y avait plus d'ambiguïté. La question de savoir s'il l'avait vraiment aimée, elle, ou si elle n'était qu'une part de l'histoire qu'il avait décidée de vivre par obligation, s'effaçait lentement. Elle était juste un chapitre parmi tant d'autres, et le retour de Juliette semblait réécrire tout ce qu'elle avait cru être leur histoire.
Le silence qui suivit la conversation était assourdissant. Marianne se détourna et s'éloigna aussi silencieusement qu'elle était venue. Les jambes lui semblaient lourdes, comme si la réalité, aussi brutale soit-elle, avait définitivement scellé son sort. Le visage de Léonard se dessina dans son esprit, et cette image de lui, hésitant entre elle et Juliette, la détruisait lentement, morceau par morceau.
Elle ne savait pas combien de temps elle resta là, dans l'ombre, se battant contre les larmes qui menaçaient de la submerger. Ses pensées se bousculaient, rapides et incontrôlables. Ce n'était pas de la jalousie. Pas simplement ça. C'était bien plus profond. C'était une trahison, une confirmation qu'elle n'avait jamais été le centre de son monde, qu'elle n'avait été qu'un choix parmi d'autres.
Les heures suivantes furent floues, comme si une brume épaisse s'était abattue sur ses sens. Marianne savait qu'elle devait affronter Léonard, mais l'idée de lui parler après ce qu'elle avait entendu la paralysait. Elle s'assit dans le salon, les mains tremblantes, son esprit en ébullition. Chaque pensée semblait lui échapper, chaque souvenir devenait flou, comme une vieille photo qui se décolore avec le temps. La douleur, quant à elle, restait vive, ancrée dans sa poitrine.
Léonard finit par revenir, tard dans la soirée. Il entra dans la pièce sans un mot, comme si de rien n'était. Mais son regard, furtif, trahissait une certaine anxiété, comme s'il savait que quelque chose n'allait pas.
Marianne le fixa, son cœur battant dans sa poitrine, chaque battement plus lourd que le précédent. Elle n'avait pas besoin de lui poser de questions. Elle n'avait pas besoin d'attendre des excuses qui ne viendraient jamais. Tout était dit, tout était compris.
Elle ne s'était pas levée. Elle ne bougea même pas. Juste des yeux, fixant Léonard, attendant qu'il prenne la parole. Ses mains restaient dans son giron, serrées avec une telle force qu'elles commençaient à lui faire mal. Elle n'avait pas l'intention de parler de ce qu'elle avait entendu. Elle n'en avait pas besoin. Elle avait trop vu, trop entendu. La vérité était là, plus claire que jamais.
Il s'arrêta devant elle, visiblement mal à l'aise. "Marianne, je..."
« Non, » l'interrompit-elle d'une voix calme, mais ferme. « Il n'y a rien à dire. Tu as déjà tout dit. » Elle baissa la tête, le regard fixé sur ses mains, avant de les ouvrir lentement, comme pour montrer qu'elle avait compris. « Je sais tout. Ce que tu as avec Juliette... »
Léonard s'abaissa à son niveau, essayant de capter son regard, mais elle ne lui en laissa pas l'occasion. « Marianne, c'est compliqué... »
« Non, » dit-elle en levant les yeux, une expression froide sur le visage. « C'est simple. Tu as choisi ton passé, Léonard. Et je ne fais plus partie de ce tableau. »
Il sembla vouloir protester, mais il n'en eut pas le temps. Marianne se leva, ses jambes fermes malgré la douleur qui lui labourait l'âme. « J'aurais voulu que ce soit différent, » souffla-t-elle. « Mais je ne peux pas continuer à vivre dans l'ombre de quelqu'un d'autre. » Elle lui tourna le dos, le laissant là, figé. Les mots étaient inutiles. Tout était dit.