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Chapitre 4
Un silence pesant s'étira entre eux. Léonard, debout face à elle, les traits tendus, fixait Marianne comme si elle était une étrangère. Comme si elle était une énigme qu'il ne comprenait plus. Elle, de son côté, le regardait sans ciller, les bras croisés, chaque muscle de son corps tendu à l'extrême.
Il n'allait pas parler. Pas tout de suite. Il cherchait ses mots. Ou peut-être qu'il attendait qu'elle abandonne, qu'elle détourne les yeux, qu'elle laisse couler une fois de plus. Mais il ne savait pas. Il ne savait pas qu'elle était arrivée à ce point de rupture où plus rien ne pouvait être rattrapé.
Enfin, il soupira. « Marianne, tu es en train d'imaginer des choses. »
Un rire sec lui échappa, amer. « Imaginer ? » Elle secoua lentement la tête. « Tu crois que je suis folle ? »
Il eut ce tic, ce léger froncement de sourcils qu'elle connaissait bien. L'expression d'un homme agacé d'être accusé de quelque chose qu'il ne comptait pas reconnaître.
« Je n'ai jamais dit ça. »
« Mais tu le penses. »
Il passa une main dans ses cheveux, un geste nerveux qu'il essayait de masquer sous une apparence détachée. « Ce que tu as entendu... Ce n'est pas ce que tu crois. »
« Alors explique-moi. » Elle croisa les bras, attendant.
Un instant, il sembla sur le point de parler. Puis il détourna les yeux.
Et c'est à ce moment-là qu'elle sut.
Pas besoin de mots. Pas besoin de longues justifications. Il n'y avait que son silence, son incapacité à affronter la vérité en face.
« Tu ne peux même pas me regarder et me dire que c'est faux. » Sa voix était calme, presque lasse. « Parce que tu sais que j'ai raison. »
« Juliette n'a jamais compté. »
« Alors pourquoi es-tu incapable de la laisser dans le passé ? »
Il ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. L'évidence était là, et elle était brutale.
Marianne sentit un frisson lui parcourir l'échine. Pas un frisson de peur. Un frisson de certitude.
Elle était en train de perdre son temps.
Elle avait passé des années à se convaincre qu'elle était celle qu'il voulait. À croire que l'amour suffisait à combler les absences, les silences, les hésitations. Elle s'était accrochée à des souvenirs, à des promesses murmurées dans le noir, à ces instants volés où il semblait être pleinement avec elle. Mais ce n'étaient que des fragments. Des morceaux d'un tout qui n'existait pas vraiment.
« Je suis enceinte. »
Les mots tombèrent entre eux comme une pierre dans un lac. Un impact brutal, profond.
Il releva la tête, enfin. Son regard, d'abord surpris, se durcit presque aussitôt. « Je sais. »
« Et ça ne change rien pour toi ? »
Il sembla hésiter, comme si la bonne réponse lui échappait. Puis il haussa légèrement les épaules. « Je suis prêt à assumer mes responsabilités. »
Ses doigts se crispèrent contre ses bras. « Je ne veux pas de tes responsabilités, Léonard. »
Il tressaillit, pris de court. « Alors qu'est-ce que tu veux ? »
Elle prit une inspiration tremblante. « Que tu me choisisses. »
Un silence. Une éternité.
Puis, il détourna les yeux.
Ce fut le dernier coup.
Elle sentit quelque chose se briser en elle. Pas une explosion, pas un cri. Juste un craquement discret, presque inaudible. Un fil qui lâche, un pont qui s'effondre sous son propre poids.
« Je vois. »
Elle se retourna.
Il fit un pas vers elle. « Marianne-«
« Non. » Elle s'arrêta, mais ne le regarda pas. « Il n'y a plus rien à dire. »
L'air devint lourd autour d'eux.
« Tu fais une erreur, » souffla-t-il.
Elle eut un sourire triste. « Non, Léonard. L'erreur, c'était de croire que tu finirais par m'aimer autant que je t'ai aimé. »
Elle quitta la pièce sans un regard en arrière.
Dans leur chambre, elle ouvrit l'armoire et attrapa une valise. Pas de gestes précipités. Pas de rage aveugle. Juste une froide détermination. Une chemise, une robe, quelques vêtements qu'elle glissa mécaniquement dans le sac. Un bruit derrière elle la fit se figer.
« Tu vas où ? »
Elle ne se retourna pas. « Loin d'ici. »
« Ne fais pas ça. »
Elle ferma la valise, remonta la fermeture éclair dans un bruit tranchant. « Pourquoi ? »
« Parce que ce n'est pas ce que tu veux. »
Elle prit une seconde pour fermer les yeux, pour calmer la tempête en elle. Puis elle se retourna enfin.
« Tu as raison. »
Son regard se planta dans le sien, sans la moindre hésitation.
« Ce n'est pas ce que je veux. Mais c'est ce dont j'ai besoin. »
Il la fixa, et pour la première fois, elle crut voir une ombre de panique dans ses yeux. Une fraction de seconde où il sembla comprendre qu'elle n'allait pas céder cette fois. Qu'elle ne reviendrait pas.
Elle attrapa la valise et passa à côté de lui.
Léonard tendit la main, frôla son bras, mais elle s'écarta avant qu'il ne puisse la retenir.
« Marianne, je-«
Elle ne lui laissa pas finir. Elle ouvrit la porte, franchit le seuil.
L'air nocturne était plus froid qu'elle ne l'avait imaginé. Un vent léger lui mordit la peau, soulevant une mèche de cheveux qu'elle ne prit même pas la peine de replacer.
Derrière elle, Léonard restait figé, une main à moitié levée comme s'il hésitait encore entre la retenir et la laisser partir.
Mais il ne bougea pas.
Il ne fit rien.
Et c'est ainsi qu'elle sut qu'elle avait pris la bonne décision.
Elle descendit les marches. Un pas après l'autre.
Et elle disparut dans la nuit.