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Elena s'agenouilla lentement à côté du canapé, le verre d'eau tremblant légèrement entre ses doigts. Son regard ne quittait pas le loup allongé devant elle, conscient du danger latent que représentait cette créature à la fois blessée et mystérieuse.
Le loup, ou plutôt l'homme emprisonné dans ce corps animal, la fixait toujours de ses yeux dorés. L'intelligence qui y brillait était indéniable, et malgré sa faiblesse apparente, Elena sentait qu'il restait sur ses gardes, analysant le moindre de ses mouvements.
Elle hésita un instant. Comment était-elle censée lui donner à boire ?
- Approche le verre de sa gueule, murmura Martha derrière elle. Il saura quoi faire.
Elena déglutit, puis s'exécuta avec prudence.
À sa grande surprise, le loup bougea légèrement, relevant sa tête avec difficulté pour poser son museau contre le rebord du verre. Sa langue effleura l'eau, et il but lentement, comme si chaque gorgée lui demandait un effort considérable.
Elena sentit un frisson lui parcourir l'échine.
Elle était en train de donner à boire à un loup-garou.
Une créature qu'elle n'aurait jamais cru réelle avant cette nuit.
Lorsque le verre fut vide, le loup laissa retomber sa tête sur le canapé, un soupir rauque s'échappant de sa gorge. Ses paupières papillonnèrent légèrement, comme s'il luttait contre l'épuisement.
Elena, toujours figée près de lui, osa enfin poser la question qui la brûlait depuis le début.
- Qui es-tu ?
Un silence s'installa.
Le loup ne répondit pas immédiatement, son souffle lourd résonnant dans la pièce.
Puis, d'une voix rauque, éraillée comme si elle n'avait pas servi depuis longtemps, il murmura :
- Tobias.
Un frisson glacé remonta le long du dos d'Elena.
Un nom.
Ce loup, cet homme, n'était pas une bête sauvage. Il avait un nom. Une identité.
Elle ouvrit la bouche pour poser une autre question, mais Martha l'arrêta d'un simple regard.
- Il a besoin de repos, dit-elle d'un ton calme. Nous aurons le temps de parler plus tard.
Elena hésita encore un instant, puis se releva lentement, ses pensées en pleine ébullition.
Elle ne savait pas encore qui était vraiment Tobias.
Mais une chose était sûre : rien, absolument rien, ne serait plus jamais comme avant.
Elena tourna en rond dans la cuisine, ses bras croisés sur sa poitrine, son esprit assailli par un flot de questions sans réponse. De l'autre côté de la pièce, Martha préparait une infusion aux herbes, ses gestes lents et mesurés trahissant une habitude ancrée depuis des années. L'odeur apaisante du thym et de la camomille se répandait doucement dans l'air, mais Elena n'arrivait pas à se détendre.
Tobias.
Le loup avait un nom.
Et il avait parlé.
Elle s'arrêta près de la table, posant une main nerveuse sur le bois usé.
- Grand-mère... qu'est-ce que c'est que ce bordel ? lâcha-t-elle enfin, sa voix tremblante d'un mélange d'incrédulité et de peur contenue.
Martha ne répondit pas immédiatement. Elle versa son infusion dans une tasse, puis se retourna lentement pour croiser le regard de sa petite-fille.
- Il y a certaines vérités que l'on ne peut pas ignorer éternellement, Elena, dit-elle d'un ton posé.
Elena fronça les sourcils.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
Martha prit une gorgée de sa tisane, puis posa délicatement la tasse sur la table avant de s'asseoir.
- Ce monde est bien plus vaste et bien plus ancien que ce que tu crois.
Elena sentit un frisson lui parcourir la nuque.
- Tu savais, n'est-ce pas ? murmura-t-elle.
Martha soupira légèrement, avant d'acquiescer.
- Je savais que les loups-garous existaient, oui.
Le souffle d'Elena se coupa net.
Elle recula d'un pas, secouant la tête comme si elle refusait d'entendre ces mots.
- Et tu ne m'as jamais rien dit ?!
- Parce que je voulais te protéger.
Le ton de Martha était calme, mais ferme.
Elena sentit son cœur battre plus vite.
- Me protéger... de quoi ? De ce loup dans notre salon ?
- De ce qui arrive, répondit Martha, son regard devenant grave.
Un silence pesant tomba sur la cuisine.
Elena sentit la panique la gagner.
- Ce qui arrive ? Mais de quoi tu parles ?
Martha soupira, puis se leva pour aller vers un vieux buffet en bois, ouvrant l'un des tiroirs du bas. Après quelques secondes, elle en sortit une vieille boîte en fer qu'elle posa sur la table.
- Ce que nous avons connu jusqu'à présent... ce monde sans loups-garous, sans transformation... c'était une anomalie.
Elena fixa la boîte, la gorge nouée.
- Une anomalie ?
Martha hocha la tête.
- Quelque chose a brisé l'équilibre il y a quinze ans. Les loups ont perdu leur capacité à se transformer. Mais aujourd'hui, ils commencent à la retrouver.
Elena sentit sa respiration s'accélérer.
- Pourquoi maintenant ?
Martha ouvrit lentement la boîte. À l'intérieur, un vieux journal jauni par le temps et couvert de symboles étranges.
- Parce que la malédiction est en train de se briser, murmura-t-elle.
Elena s'assit brutalement sur la chaise, le souffle court.
Tout cela dépassait l'entendement.
Elle voulait croire que ce n'était qu'un cauchemar, qu'elle allait se réveiller dans son appartement en ville, loin de ces histoires insensées.
Mais elle savait.
Au fond d'elle, elle savait que c'était réel.
Et que sa vie venait de basculer dans un monde dont elle ne connaissait encore rien.
Elena fixait le vieux journal posé devant elle, son cœur battant à un rythme désordonné. Ses doigts tremblaient légèrement lorsqu'elle effleura la couverture en cuir usé, sentant sous ses paumes la rugosité du temps. Les symboles gravés semblaient presque vivants sous la lueur vacillante de la lampe.
- Ce journal... c'est quoi ? demanda-t-elle d'une voix incertaine.
Martha s'installa en face d'elle, ses mains jointes sur la table.
- Il appartenait à ton arrière-grand-mère, Evelyn Carter.
Elena releva brusquement la tête.
- Je croyais qu'elle était juste une guérisseuse ?
- Elle l'était. Mais elle était aussi bien plus que cela.
Martha ouvrit lentement le journal, dévoilant des pages couvertes d'une écriture fine et serrée, entrecoupée de symboles qu'Elena ne reconnaissait pas.
- Evelyn connaissait l'existence des loups-garous. Mieux encore... elle savait qu'un jour, ils retrouveraient leur véritable nature.
Elena sentit un frisson lui parcourir l'échine.
- Tu es en train de me dire qu'elle avait... prévu tout ça ?
Martha secoua lentement la tête.
- Elle n'a pas prédit l'avenir. Mais elle comprenait les cycles de ce monde mieux que personne. Elle savait qu'un déséquilibre aussi grand que celui qui a frappé les loups-garous ne pouvait pas durer éternellement.
Elena baissa les yeux sur les pages jaunies, cherchant à donner un sens aux mots inscrits sous ses yeux. Des phrases en latin, des incantations, des avertissements...
- Qu'est-ce que ça veut dire ? murmura-t-elle.
Martha tourna quelques pages, s'arrêtant sur un passage souligné plusieurs fois à l'encre noire.
- "Lorsque la lune refusera sa bénédiction et que les crocs seront liés à la terre, l'ombre d'un serment brisé étendra son joug sur les fils d'Argent. Mais le sang mêlé portera l'aube d'une nouvelle ère."
Elena sentit un poids s'abattre sur sa poitrine.
- Ça n'a aucun sens...
Martha posa une main sur la sienne.
- C'est ce que nous devons comprendre.
Un bruit sourd retentit alors depuis le salon, les faisant sursauter.
Tobias.
Elena bondit sur ses pieds, son cœur cognant violemment contre sa cage thoracique.
Elle se précipita dans la pièce voisine, trouvant l'homme assis sur le canapé, la respiration lourde, des gouttes de sueur perlant sur son front. Son corps tremblait légèrement, comme s'il luttait contre quelque chose d'invisible.
- Tobias ?
Il releva lentement la tête, et Elena recula d'un pas.
Ses yeux n'étaient plus tout à fait humains.
Ils brillaient d'un éclat doré perçant, presque fauve, et un instant, elle crut voir ses canines s'allonger légèrement avant de disparaître.
- Il... il y a quelque chose qui ne va pas, murmura-t-il d'une voix rauque.
Elena échangea un regard inquiet avec Martha.
- Qu'est-ce qui t'arrive ?
Tobias passa une main tremblante sur son visage.
- Je ressens... un appel. Comme si... quelque chose essayait de réveiller la bête en moi.
Elena sentit son souffle se bloquer.
Le journal d'Evelyn.
Le retour des transformations.
Et maintenant, Tobias qui semblait perdre le contrôle.
Ce n'était pas une coïncidence.
Quelque chose était en train de changer.
Et ce changement pourrait bien tout détruire.
Elena s'approcha de Tobias, son regard se durcissant, comme si chaque mot, chaque geste avait désormais une importance capitale. Elle posa une main douce sur son épaule, mais son toucher n'eut aucun effet pour apaiser la tension qui émanait de lui. La chaleur de son corps semblait décuplée, comme si la fièvre le dévorait de l'intérieur.
- Tobias, respire. Tu dois te calmer.
Il tourna la tête vers elle, les yeux toujours brillants de cette lueur étrange, et pour un instant, Elena sentit une vague de peur la submerger. Mais elle se maîtrisa. Elle ne pouvait pas céder à la panique. Pas maintenant.
- Je ne peux pas... souffla-t-il, sa voix rauque. Il y a quelque chose qui m'appelle, Elena. Quelque chose que je ne peux ignorer.
Elena frissonna. Les paroles de Martha résonnaient dans son esprit : "L'ombre d'un serment brisé". Elle comprenait maintenant qu'ils étaient liés à bien plus qu'une simple quête de réponses. Cette transformation... cette résurgence des loups-garous, cela faisait partie de quelque chose de bien plus grand. Un plan vieux de plusieurs siècles, apparemment, un cycle qui se réactivait à cause d'un événement ou d'une force qui les dépassait tous.
- Tu as besoin de te reposer, dit-elle doucement, essayant de détourner son esprit de l'intensité de ce qu'il traversait. Nous allons trouver un moyen de comprendre ce qui t'arrive.
Tobias secoua la tête violemment, se levant d'un bond, les mains serrées en poings. La lutte à l'intérieur de lui était palpable, comme s'il luttait contre quelque chose de plus fort que sa volonté. Une souffrance muette envahissait ses traits, tandis qu'il balbutiait des mots incompréhensibles.
Elena fit un pas en arrière. Chaque geste de Tobias, chaque tremblement, chaque éclat dans ses yeux semblait plus puissant, plus dangereux. Elle ne savait pas comment l'aider. Mais elle savait une chose : elle ne pouvait pas le laisser sombrer dans cette folie.
- Tobias, écoute-moi. Elle s'approcha lentement, ses bras tendus vers lui. Tu n'es pas seul. Nous allons trouver un moyen de tout maîtriser. Mais nous devons rester calmes, d'accord ?
Il la regarda, un éclat de douleur passant dans son regard. Un instant, il sembla hésiter, puis, avec un effort visible, il ferma les yeux et inspira profondément. Lentement, les couleurs dorées de ses yeux se dissipèrent, remplacées par la brume d'un vert plus calme. Son corps se détendit, mais il restait épuisé, comme si un fardeau invisible venait d'être déposé.
- Désolé... je... je ne sais pas ce qui m'a pris. Sa voix était redevenue plus calme, mais il y avait un vide, comme s'il avait perdu une partie de lui-même dans cette lutte intérieure. Je suis... je suis perdu, Elena.
Elle s'approcha encore, posant une main sur son bras, sentant la chaleur de sa peau, sa détresse palpable. C'était à ce moment-là que tout prit un sens dans son esprit. Ils n'étaient pas juste des témoins de ce changement. Ils en faisaient partie.
- Tu n'es pas perdu, murmura-t-elle. Nous allons comprendre pourquoi tout cela se produit. Ensemble.
Mais au fond d'elle, une part d'Elena savait que le chemin qui s'ouvrait devant eux serait tout sauf facile. Leurs vies venaient de basculer dans un tourbillon de mystère et de danger, et il n'y avait aucun retour en arrière possible.
Un bruit sourd retentit alors, comme une porte qui s'ouvrait brusquement dans la pièce voisine. Elena tourna la tête, son cœur battant la chamade. Tobias, lui, se tendit immédiatement, comme un animal prêt à se défendre.
Ils n'étaient pas seuls.