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Lors de leur rencontre secrète, la lueur dans les yeux d'Althea ne cessait de briller, comme si elle portait en elle un savoir que le monde ignorait. Les mots qu'elle prononçait étaient soigneusement choisis, pesés, et pourtant, il était impossible de détourner son attention. Le prince Eryan, qui d'ordinaire aurait écarté ce genre de discours comme une simple folie, se sentait irrésistiblement attiré par ses révélations. Ce qu'elle lui disait n'était pas simplement une histoire, une fable pour l'initier à un univers qu'il ne comprenait pas encore. Non, c'était un fait : il possédait un don.
Un don qui se rattachait à une lignée ancienne, presque mythologique, dont il ignorait jusqu'à l'existence.
Elle lui expliqua en termes simples, mais profonds, que le sang des Arkaïens n'était pas ordinaire. Si la famille royale semblait gouverner Arkaï d'une main ferme, un autre pouvoir résidait en eux, caché sous des couches de tradition et d'obscurité. Les lignées anciennes, oubliées des siècles passés, détenaient des capacités qui dépassaient l'entendement, et le prince, apparemment sans le savoir, en faisait partie. C'était comme si l'histoire de son peuple avait été volontairement occultée par ceux qui avaient tout intérêt à maintenir l'illusion d'un pouvoir simple et rationnel. Le roi Almar, son père, en avait lui-même souffert, ignorant qu'une partie de ses propres origines était bien plus complexe qu'il n'aurait jamais cru.
Eryan, d'abord sceptique, sentit pourtant une étrange vibration à chaque mot qu'Althea prononçait. Il n'était pas homme à se laisser emporter par des idées farfelues, mais quelque chose en lui se réveillait, comme un instinct qui lui murmurait qu'il y avait de la vérité dans ses paroles. Il l'interrogea avec une intensité qu'il ne se connaissait pas, un mélange de curiosité et de doutes. Ce don dont elle parlait, était-il vraiment sien ? Était-il lié à ses ancêtres, à sa propre lignée ? Pourquoi ses parents ne lui en avaient-ils jamais parlé ? Pourquoi n'avaient-ils pas fait mention de cette puissante capacité qui, apparemment, sommeillait en lui depuis sa naissance ?
Althea ne répondit pas tout de suite. Elle laissa un silence s'étirer, comme si elle pesait ses mots avant de les laisser s'échapper. Enfin, elle brisa le silence. Elle lui expliqua qu'il n'était pas simplement un prince comme les autres. Le pouvoir qui résidait en lui était plus ancien que la couronne, plus ancien même que le royaume d'Arkaï lui-même. Les ancêtres d'Eryan avaient été les premiers à fouler la surface de cette planète, des explorateurs venus d'un autre monde, avec une mission que seul le temps permettrait de comprendre. Ce pouvoir, ce don, lui permettait de manipuler les éléments autour de lui, de percevoir des vérités cachées et d'entrer en communion avec des forces invisibles. Mais cela ne s'arrêtait pas là. Il pouvait, s'il en avait conscience, contrôler des technologies avancées, des artefacts issus des premières colonisations, des instruments qu'il ne pouvait même pas imaginer.
L'idée qu'il portait un tel héritage le troublait profondément. Il était prince, oui, mais ce qu'elle lui révélait semblait aller bien au-delà de son rôle sur Arkaï. Était-il destiné à être autre chose qu'un simple héritier ? Était-il un agent de quelque chose de plus vaste, d'une force qu'il ne comprenait pas encore ? Althea le pressa de ne pas se laisser abuser par le système en place, de ne pas se contenter de la version simplifiée de l'histoire qu'on lui avait toujours enseignée. Le royaume était plus vaste que ce qu'il croyait, et son rôle, son véritable rôle, restait à découvrir.
Les doutes s'installèrent dans l'esprit d'Eryan, qui n'était pourtant pas un homme facilement influençable. Mais la révélation d'Althea faisait écho à quelque chose qu'il ressentait depuis longtemps, une dissonance entre ce qu'on attendait de lui et ce qu'il percevait au plus profond de lui-même. La politique, les guerres, la couronne – tout cela lui paraissait, à présent, étranger, comme un fardeau qu'il devait porter sans en comprendre la raison. N'avait-il pas été éduqué dans le seul but de régner, de suivre les traces de son père, d'assurer l'avenir d'Arkaï et d'étouffer les menaces extérieures ? Et pourtant, tout semblait si réducteur face à ce qu'on lui révélait. L'idée de se contenter d'une vie prédestinée, de rester dans cette sphère de pouvoir rigide, lui apparaissait désormais comme une cage.
Les tensions internes s'accentuèrent. Il commença à remettre en question tout ce qu'il avait appris. Les conseils de son père, le rôle de la famille royale dans la gouvernance du royaume, les rapports qu'il entretenait avec les nobles et les militaires – tout lui semblait soudainement teinté d'une hypocrisie qu'il n'avait pas remarquée auparavant. L'histoire du royaume, l'histoire de sa famille, se révélait à lui sous un jour nouveau, et il ne savait plus quoi en faire.
Au fur et à mesure que les jours passaient, Eryan se retrouvait tiraillé entre deux mondes. D'une part, il y avait les obligations qui lui incombaient en tant qu'héritier, son devoir envers le royaume, son peuple. De l'autre, il y avait cette révélation bouleversante d'Althea, qui le poussait à se libérer de ce carcan et à découvrir sa véritable nature. Une nature qu'il n'avait pas choisie, mais qui semblait désormais s'imposer à lui.
Il se rendit compte qu'il n'était plus le jeune prince insouciant qu'il avait été. Il n'était plus un simple spectateur dans ce jeu de pouvoir où des siècles d'histoire se jouaient à chaque mouvement. Il était au centre de quelque chose de bien plus vaste, et il n'était plus en mesure de rester inerte. Mais comment concilier cette prise de conscience avec son rôle de prince héritier, la position qu'on attendait de lui ?
Ses doutes se transformèrent en une confusion qui le rendait nerveux et indécis. Chaque conversation, chaque rencontre avec ses conseillers, ses généraux, ou même sa sœur Lira, devenait plus difficile. Il sentait qu'il ne pouvait plus leur mentir, qu'il ne pouvait plus leur parler comme avant, avec la certitude d'être à la hauteur de ce qu'ils attendaient de lui. Il n'était plus seulement un prince. Il était un homme qui portait en lui un secret dont il n'avait pas encore saisi toute la portée.
Il retourna plusieurs fois dans la salle du trône, observant son père, Almar, sans pouvoir vraiment le voir. Le vieux roi, sage et implacable, avait toujours été l'incarnation du pouvoir absolu. Mais à présent, Eryan percevait une faiblesse sous cette façade. Et cette faiblesse, il la ressentait profondément, comme si elle avait été toujours là, dissimulée dans l'ombre.
Althea avait réussi à planter une graine de doute dans son esprit, mais c'était une graine qu'il ne pouvait ignorer. Une graine qui, lentement mais sûrement, allait commencer à germer et à transformer son destin. Eryan savait que ce qu'elle lui avait révélé ne ferait que commencer. Son propre pouvoir, le pouvoir de son sang, de son héritage, allait inévitablement le pousser à prendre des décisions qui bouleverseraient tout ce qu'il connaissait. Le prince héritier d'Arkaï n'était plus un simple héritier. Il était devenu l'élément d'un puzzle bien plus grand, et le destin qui se tissait autour de lui était bien plus vaste que le trône.
Lira observait son frère avec une attention grandissante, un sentiment étrange tordant son estomac chaque fois qu'elle croisait son regard. Eryan, qui avait toujours été un modèle de certitude et de calme, semblait désormais plongé dans des pensées lointaines. Ses mouvements, ses décisions, tout avait changé. Là où il était autrefois prompt à prendre la parole avec une autorité naturelle, il se contentait maintenant de silence, comme si un voile invisible avait obscurci son esprit.
Elle avait d'abord cru qu'il s'agissait d'une simple phase de doute, un passage inévitable dans la vie d'un héritier du trône. Mais plus les jours passaient, plus son inquiétude grandissait. Ce n'était pas un simple malaise, c'était une transformation. Ses yeux, d'ordinaire brillants et pleins de cette énergie qui faisait de lui un prince charismatique, étaient désormais fuyants, comme s'il cherchait à éviter quelque chose qu'il ne pouvait nommer. Ses gestes étaient devenus plus lents, moins assurés. Ses conversations avec elle, bien que polies, manquaient d'une sincérité qui l'avait toujours marquée. Il semblait lui échapper, se détournant d'elle à chaque occasion, et lorsqu'il se décidait enfin à l'écouter, il avait l'air d'être ailleurs, comme absorbé dans une réalité parallèle.
Lira, par instinct, chercha à percer ce mystère. Elle savait que les liens entre jumeaux étaient puissants, souvent plus que ce que l'on voulait admettre. Elle n'avait jamais cru aux superstitions, mais le sentiment qui naissait en elle chaque fois qu'elle observait Eryan la poussait à remettre en question ses certitudes. Il y avait quelque chose de sombre dans son comportement, quelque chose de caché, et elle n'allait pas laisser cette part d'ombre grandir sans y mettre un terme. Mais comment pouvait-elle l'aider si lui-même semblait si perdu dans ses propres pensées ?
Elle n'eut pas longtemps à attendre avant de comprendre que ce n'était pas seulement un changement de caractère. Ce n'était pas une simple phase de doute ou une remise en question de son rôle. Ce qui se passait dans l'esprit de son frère allait bien au-delà de ce qu'elle avait imaginé. Lira surprit une conversation entre Eryan et Althea, un échange furtif mais suffisamment évocateur pour qu'elle puisse saisir une vérité qui la fit frissonner. Althea n'était pas simplement une conseillère ou une amie de confiance. Non, il y avait plus entre eux. Quelque chose d'indéfinissable, de dangereux même.
Mais Lira, bien qu'éprouvant une vive inquiétude pour son frère, savait qu'elle ne pouvait pas se précipiter. Elle ne devait pas interférer avant de comprendre l'ampleur du problème. Les liens entre les membres de la famille royale étaient complexes et parfois trompeurs. Elle devait d'abord rassembler des preuves, des indices qui pourraient expliquer le changement de comportement de son frère. Elle s'enfonça donc dans ses propres recherches, accumulant des informations sans éveiller les soupçons de quiconque. Les discussions avec les conseillers, les gardes du palais, tout était scruté avec une précision redoutable.
Parallèlement, dans l'ombre, Althea était elle-même surveillée par une présence invisible. Quelque chose de plus sinistre que l'ordinaire planait autour d'elle, comme une ombre imperceptible. Althea, avec son regard perçant et son esprit d'une rare acuité, savait qu'elle était suivie. Elle pouvait le sentir dans l'air, la façon dont l'atmosphère se tendait chaque fois qu'elle se trouvait seule, chaque fois qu'elle se rendait dans une pièce isolée. Il y avait des signes, des indices presque imperceptibles, mais indéniables. Des bruits étranges, des ombres qui semblaient se mouvoir juste à la périphérie de sa vision, des objets déplacés sans raison. Mais plus inquiétant encore était le fait que la surveillance était bien plus organisée qu'elle ne l'avait imaginé. Ce n'était pas l'œuvre d'un seul espion ou d'un simple informateur. Non, il y avait une coordination derrière, des manœuvres qui semblaient provenir de plus haut.
Elle comprit rapidement que quelqu'un, au sein même de la cour d'Arkaï, cherchait à l'observer, à découvrir ce qu'elle savait. Althea n'était pas simplement une personne aux pouvoirs mystérieux. Elle était devenue un danger, une menace, et elle savait que ceux qui tiraient les ficelles du royaume ne se laisseraient pas facilement déstabiliser par une simple outsider. Elle se sentait acculée, mais un instinct ancien se réveilla en elle. Elle avait été formée à l'art de la discrétion, de la manipulation subtile. Elle n'allait pas se laisser prendre au piège. Elle savait que si elle voulait conserver sa liberté, elle devrait agir avec une prudence extrême.
Dans les jours qui suivirent, elle redoubla de vigilance. À chaque déplacement, elle changeait de trajectoire, elle s'assurait que personne ne la suivait. Mais plus elle agissait ainsi, plus elle se rendait compte que son poursuivant devenait plus malin, plus astucieux. Parfois, elle ressentait cette présence comme une brise légère, effleurant sa peau, à peine perceptible. D'autres fois, elle était sûre d'avoir vu une silhouette dans les recoins sombres du palais, mais chaque fois qu'elle se retournait, il n'y avait rien. Ce jeu de cache-cache devenait une obsession pour elle. Elle savait que si elle voulait percer ce mystère, elle devait se montrer plus rusée encore, plus déterminée.
Quant à Eryan, son esprit était tiraillé entre la réalité et les révélations qu'il avait reçues d'Althea. Chaque rencontre avec elle le plongeait plus profondément dans un océan de doutes, de questions sans réponses. Était-il vraiment ce qu'elle disait qu'il était ? Un héritier d'une lignée ancienne, un homme capable de manipuler des pouvoirs dont il ne soupçonnait même pas l'existence ? Le regard des autres sur lui, en particulier celui de sa sœur, changeait. Lira, bien qu'elle ne l'ait jamais dit ouvertement, semblait percevoir ce changement, et cela le dérangeait plus qu'il ne voulait l'admettre. Mais au fond de lui, il savait qu'il était déjà trop loin dans ce voyage pour revenir en arrière.
Il se sentait divisé, déchiré entre ses responsabilités envers le royaume et la tentation de découvrir la vérité sur lui-même, sur son propre pouvoir. La lourde couronne de prince héritier pesait sur ses épaules, mais au-delà des traditions et des attentes, il sentait un appel qu'il ne pouvait ignorer. Cet appel résonnait en lui comme une vibration, un murmure lointain. Il avait l'impression de toucher du doigt quelque chose d'immense, quelque chose qu'il ne pouvait encore saisir pleinement, mais qui, pourtant, était là, juste sous la surface de sa réalité.