Des rumeurs tourbillonnaient encore dans son esprit, une mélodie sinistre sur la cruauté du roi. Aylis lui avait dit que beaucoup de courtisans avaient disparu, dévorés par les intrigues de la cour. Selene avait ressenti une bouffée de chaleur provocante à l'idée que son propre destin pouvait suivre ce chemin.
Déterminée à ne pas se laisser sombrer dans l'angoisse, elle se redressa. Soudain, une voix féminine surgit derrière elle. « Votre Majesté, il y a un banquet dans la salle du Conseil. Le roi attend votre présence. »
Selene se retourna, surprise de ne pas avoir entendu la servante entrer. Elle était scoutée dans une robe de velours bleu qui épouse parfaitement ses formes, même si c'était trop luxueux pour elle. « Un banquet ? Pourquoi ne m'a-t-on pas prévenue plus tôt ? » s'étonna-t-elle.
« La nouvelle est venue tard, je suis désolée. » La servante évita son regard. « Le roi souhaite que sa nouvelle épouse soit à ses côtés. C'est une très grande occasion. »
Un frisson d'angoisse parcourut l'échine de Selene. « Très bien. Montre-moi le chemin. »
La servante l'emmena à travers des couloirs ornés de tapisseries riches et de chandeliers en cristal, chaque pas d'eux semblait la presser de passer de la tranquillité de sa chambre à la turbulence de la cour. Selene essaya de cacher son anxiété, mais au fond d'elle, quelque chose se déchaînait. Elle avait toujours eu peur des rassemblements. L'isolement tendu des précédentes semaines lui avait donné l'impression qu'elle était une pièce de théâtre sur le point d'être exposée dans le plus grand des drames.
La grande salle du Conseil était remplie de nobles, tous vêtus avec éclat, rires et chuchotements résonnant à travers l'air. Selene entra dans la pièce, le cœur battant, se sentant comme un oiseau pris au piège dans une cage dorée. Les conversations s'arrêtèrent brusquement, et tous les regards se tournèrent vers elle. Elle déglutit, sentant sa détermination vaciller.
Le roi, assis à la table principale, avait le visage tourné vers elle. Le regard de Selene se crispa en se posant sur lui. Il avait l'air si distant, si impassible. Pourtant, au fond de son regard, elle devina une lueur, une flamme vacillante pleine de douleur qui résonnait comme un écho dans sa propre détresse.
« Selene, viens ici », ordonna-t-il d'un ton qui ne laissait aucun doute.
Elle s'approcha, luttant contre une montée d'anxiété. Lorsque ses yeux croisèrent ceux du roi, elle sentit quelque chose d'inattendu, quelque chose de mystérieusement intime entre eux. Une connexion qui défiait la distance que ses mots à l'apparence dure tentaient d'ériger.
« Tu es à ma table maintenant. Je pense que tu commences à comprendre l'importance de notre union », dit-il, sa voix froide et tranchante.
« L'importance pour vous, peut-être, mais laissez-moi vous confirmer que je ne suis pas ici par choix », rétorqua Selene, sa voix plus forte qu'elle ne l'aurait voulu. Elle pouvait sentir le regard des nobles peser sur elle, mais sa résistance était le seul bouclier entre elle et la douleur.
« Que des excuses, je vois. Les faibles se réfugient derrière des phrases mielleuses », répondit-il, laissant tomber ses mots comme des flèches.
Un silence glacial s'installa autour d'eux. Les nobles échangèrent des regards, certains souriant de cette confrontation tandis que d'autres semblaient mal à l'aise. Selene se tenait devant le roi, un mystérieux jeu se tissant entre eux. Elle n'était pas sûre si ce jeu lui profitait ou non, mais elle ne reculait pas face à la tempête.
« Je préfère être forte que de me plaindre sans cesse. C'est un trait que je n'hésiterai pas à garder », répliqua-t-elle, cherchant à défier cette distance émotionnelle.
« Est-ce ainsi que tu t'élèves, en méprisant ce que je suis ? » demanda-t-il, une lueur d'intérêt dans le regard.
Elle hésita. Il ne semblait pas être simplement un tyran, il y avait une complexité qui se cachait sous sa façade de dureté. « Je ne méprise pas votre statut, je méprise ce qu'il exige de vous. Peut-être qu'on a plus besoin d'humanité dans ce palais que de couronnes. »
Pour un moment, elle vit une ombre glisser sur son visage. Cela ne dura qu'un instant, mais elle pouvait voir la vulnérabilité et la tristesse qui le dévoraient. Ce roi puissant, celui qui semblait être l'incarnation d'un empire, était miné par un passé qu'il ne pouvait effacer.
« L'humanité que tu veux tant voir n'a jamais été accueillie ici. Tu es trop innocente pour comprendre ce que cela signifie vraiment. Le monde est bien plus cruel que tu ne l'imagines », murmura-t-il, sa voix s'adoucissant légèrement, mais se repliant dans cette noirceur insondable.
Selene se sentit piégée. Comment pouvait-elle lui apporter cet éclairage d'humanité s'il la repoussait ? Elle commençait à comprendre que pour chaque mot qu'il disait, il y avait une douleur qui l'accompagnait, ancrée, comme une cicatrice refusant de guérir. « Peut-être, mais il est encore temps d'apprendre. Chaque jour qui passe est une chance de changer les choses », répondit-elle, déterminée mais elle se sentait de plus en plus vulnérable.
Il observa, pensif, comme s'il pesait une décision dans son esprit. Les nobles avaient commencé à murmurer autour d'eux, touchés par cette dynamique qui se jouait sous leurs yeux. Selene pouvait presque sentir le poids collecté autour d'eux, l'audace qu'elle avait de l'affronter devenant plus palpable à chaque instant.
Il se leva brusquement, son regard attrapant la profondeur d'un feu secret. « Tu es là par obligation, et en tant que telle, rappelle-toi ta place. Je ne te demanderai pas de me comprendre, mais je n'accepterai pas d'insultes. »
Les mots, bien que durs, résonnaient d'une tristesse qu'elle ne comprenait pas. Selene, à cet instant, ne sut plus quoi dire. Elle avait souhaité affronter le roi, mais ces échanges amenuisaient son ardeur. Elle devait s'éloigner, prendre le temps de comprendre ce qu'elle avait déclenché dans cet homme.
« Je suis désolée », souffla-t-elle, la voix presque inaudible alors qu'elle se dirigeait vers la sortie.
Mais il l'arrêta d'un geste, la main tendue. « Non, attends. C'est... difficile pour moi également. Je suis désolé. » Ces mots lui parurent étranges, improbables. Qu'est-ce qui l'avait poussé à être vulnérable ? Un instant, elle remarqua une étincelle d'humanité dans ses prunelles noires.
« Vous n'êtes pourtant pas obligé de porter ce fardeau seul », avoua Selene, le cœur battant. « Peut-être que je peux vous aider... Nous pouvons... » Mais il détourna le regard, se perdant dans ses propres pensées.
« Non. J'ai trop perdu pour comprendre les jeux d'un cœur blessé. » Sa voix était presque un murmure, comme si parler de son cœur brisé était une tentative de dévoiler une faiblesse qu'il avait longtemps écartée. « Tu n'as pas idée des ombres qui m'entourent. Chaque décision que je prends a un prix. »
Chacun des mots qu'il avait échangé était comme un cadenas se verrouillant sur une vérité enfouie. Selene l'observait, cherchant à comprendre qui se cachait derrière le roi. Un homme répressif, qui avait dû apprendre à se protéger dans un monde où sa fragilité le condamnait. Ce fut un sentiment partagé ; elle aussi, elle voulait combattre cette obscurité.
« Tout le monde en ce lieu, tout le monde semble se cacher derrière des murs, des masques. Même ceux qui se disent vos amis vous trahissent dès qu'ils en ont l'occasion », observa-t-elle. « Mais chacun porte un fardeau, même le roi. Peut-être qu'en partageant le poids, nous pourrions affronter les ténèbres ensemble. »
Un silence lourd s'installa entre eux. Elle vit son regard perturber, et pour une fraction de seconde, il semblait hésiter, comme s'il pesait le risque de s'ouvrir à elle. Mais cela ne dura qu'un instant. Finalement, il se détourna à nouveau, puis laissant échapper un souffle amer et lourd.
« Tu es jeune et pleine d'illusions, Selene, mais... » Il se rapprocha d'elle, cette fois avec une tendresse percutante, bien que désespérée. « Tu finiras par apprendre que ce monde ne respecte que la force. »
Le regard du roi, maintenant plus calme, lui disait plus que ses mots. Une certaine résolution se tissait entre eux, quelque chose qui se déployait dans les interstices de leur relation tumultueuse. À ce moment précis, elle comprit qu'elle était plus qu'une simple épouse promise. Elle était celui qui pouvait, peut-être, le faire affronter l'ombre qui l'habitait.
Une douce mélancolie les liait dans ce murmure partagé. Selene réalisa que derrière cette façade stoïque se trouvait un homme, brisé par un passé tragique qui le définissait. Elle n'avait aucune idée des épreuves qu'il avait traversées, mais elle ressentait ce poids. Peut-être que lui aussi, au fond, recherchait un peu de réconfort.
« Puis-je vous accompagner dans cette lutte, même contre votre propre image ? » demanda-t-elle, sa voix résonnant dans le silence comme un souffle d'air frais.
Le roi observa un instant, ses yeux cherchant à saisir quelque chose qu'il semblait avoir perdu. « Tu es la dernière personne à te trouver mêlée aux tourments d'un roi. Si tu souhaites vraiment cela, alors je crains que nous soyons déjà perdus. » Son visage s'assombrit, reprenant cette distance qu'elle avait peine à cerner.
Selene décida de ne pas reculer. « Je préfère affronter les ombres que vivre dans la peur de les rencontrer. »
La difficulté de se confronter à tout cela était réelle, mais elle ne pouvait pas tourner le dos aux sentiments qu'ils avaient exhumés l'un chez l'autre. Leurs âmes étaient enchevêtrées dans les fils du destin, et ils étaient coincés l'un contre l'autre, chaque épreuve les rapprochant davantage.
Quand elle sortit de cette immense salle, le cœur lourd mais rempli d'une étrange détermination, elle réalisa que le chemin serait long et difficile. Elle aurait à affronter les rumeurs, les doutes et les peurs, mais une lueur d'espoir brillait maintenant, une lumière faible mais persistante dans l'obscurité d'un passé inhérent.
Non seulement elle était là pour se battre pour son propre futur, mais il semblait qu'elle allait également se battre pour celui du roi. Une lutte contre les ombres qu'ils portaient en eux, unis par les épreuves partagées d'un monde cruel. Cette nuit étrange, où les mots avaient tranché comme des dagues tout en tissant un lien inattendu, pourrait bien être le début d'une nouvelle histoire.
Et alors que Selene avançait dans l'obscurité des couloirs du palais, une nouvelle flamme s'était allumée dans son cœur. Elle pourrait être cette lumière dans l'ombre, pour elle-même, mais aussi pour celui qu'elle avait tant peur de nommer. Car, au fond, elle savait que la lutte ne faisait que commencer.