Après son départ, je me tourne en direction du grand blond à lunette. Je suis de plus en plus curieuse à son sujet. Señor Bérubé doit le sentir, car il prend une chaise et vient la placer à mon chevet. Tout en s'asseyant, il s'adresse à moi avec grande politesse.
― Je réalise que je ne me suis pas encore présenté, miss Ramirez. Je me nomme Philipe Bérubé et je travaille pour une organisation du nom de Sidov Corp, qui est une société militaire privée. Nous avons des contrats avec plusieurs gouvernements, ici en Amérique du Sud et, nous menions une opération de grande envergure contre la Mano Peluda et le chef de son organisation, Ricardo Lopez. C'est dans le cadre de cette opération que nous avons tendu une embuscade à Ricardo Lopez dans une de ses caches secrètes, en Amazonie et que nous avons pu vous libérer...
J'assimile cette information et je lui demande avec excitation si comme il dit, il s'agissait d'une opération de grande envergure... est-ce que cela veut dire... que non seulement Ricardo Lopez est mort, mais que d'autres arrestations ont eu lieu?
Señor Bérubé me confirme que presque tous les membres de la Mano Peluda ont été arrêtés. Comme ils coordonnaient leur opération, même la chasse gardée de Ricardo Lopez, le Costa Rio, cette petite république entre la Colombie et le Brésil dont Ricardo Lopez s'était autoproclamé président, est aussi tombé. Mon gouvernement et celui du Brésil comptent d'ailleurs se diviser le territoire en question qui n'était pas très loin du village où je vivais, dans ma famille d'accueil...
Je me sens de plus en plus rassurée par ses paroles, cependant, il y a encore une chose dont je voudrais être sûre :
―Et Edouardo Garcia, est-ce que, vous l'avez eu lui aussi..? dis-je d'une voix que je m'efforce de garder neutre, pour ne pas laisser voir comme le bras droit de Ricardo Lopez me terrorise.
Le regard de Señor Bérubé s'assombrit. Malheureusement, m'annonce-t-il, Edouardo Garcia leur échappe encore, car il a réussi à s'enfuir avec un petit groupe durant l'attaque de la base, mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils lui mettent la main dessus, me rassure-t-il en toute fin.
À en juger par tout les hommes qui étaient présents quand ils ont donné l'assaut sur la base où on me retenait... et à l'aisance avec laquelle ils avaient anéanti les forces de Ricardo qui avait posté une petite armada dans cet endroit... je ne doute aucunement qu'il dise vrai, mais par mesure préventive, j'aimerais pouvoir quitter le pays le plus rapidement possible et mettre une très grande distance entre nous... parce que du moment où Edouardo Garcia avait porté son regard sur moi, dans cette grotte quand il m'avait rescapé de l'accident sur l'ordre de Ricardo Lopez, il m'a toujours désiré et qu'il n'arrêtait pas de me dire que quand son patron en aurait fini avec moi... et autrement dit, quand Ricardo Lopez se lasserait enfin de son jouet... son patron allait le lui donner, et que je serais à lui. Ricardo Lopez le lui avait promis.
Et donc, la seule chose qui empêchait Edouardo Garcia de me toucher... c'est-à-dire Ricardo Lopez... est maintenant un cadavre putride dans la jungle. Alors plus rien n'empêche Edouardo Gardia de me retrouver et de me faire du mal.
Une image me vient, de mon ange gardien. Mon archange Saint-Michel.
Non. Une chose le retient, et Señor Bérubé me le confirme, mettant sa main sur la mienne soudainement :
― Samantha, vous êtes en sécurité. Nous ne laisserons plus jamais personne vous faire du mal, je vous en donne ma parole!
Oui. Señor Bérubé ainsi que mon ange gardien, qui doit sans doute être un des mercenaires à sa solde, ne laisseraient jamais personne me faire du mal.
Je ressens une grande chaleur en moi, en songeant que je suis en sécurité. Cela ne m'était pas arrivé depuis si longtemps de me sentir en sécurité.
Je ferme les yeux et je tente de savourer cet instant.
Quand je rouvre les yeux, Señor Bérubé me sourit avec bienveillance, tapotant ma main.
― Il est presque l'heure de diner... Vous devez être affamée! Je vais demander à un de mes hommes de vous faire porter quelque chose... Qu'en dites-vous?
Je déglutis fortement et je lui fais un petit signe de tête affirmatif. Maintenant qu'il le dit, effectivement, je suis morte de faim. Tout ce qu'on me servait à manger, ce sont des bols de riz et du poisson servi à toutes les sauces!
― Vous ne deviez pas avoir beaucoup de variété là où vous étiez détenue... devine Señor Bérubé. Alors, qu'est-ce qui vous tente, dites-moi?
Il esquisse un sourire tout en parlant et Jesus! Il est tellement séduisant, Señor Bérubé, quand il sourit!
―Dites-moi ce qui vous fait le plus envie, et je ferai en sorte que votre souhait se réalise! insiste-t-il.
Je lui réponds timidement qu'en fait... je rêve de manger du poulet rôti depuis les touts débuts de ma captivité!
Señor Bérubé va alors prendre un objet dans une des poches de sa veste de style militaire et durant une fraction de seconde, je deviens tendue. J'ai si souvent vu des pistoleros mettre leur main dans leur veste de cette façon, pour sortir une arme ou y prendre un magasin de rechange pour la recharger.
Mais à mon soulagement, il en sort un smartphone qu'il porte à son oreille. Je l'entends ensuite donner des ordres à quelqu'un en anglais. Mais ce n'est pas sa langue natale, tout comme l'espagnol n'est pas aussi sa langue maternelle, même s'il est très fluide dans ces deux langues, ce qui est très étonnant. L'accent de Señor Bérubé quand il s'exprime me rappelle davantage celui des touristes belges... Oui. Je crois qu'il est Français ou Belge.
Après avoir raccroché, il me dit que la nourriture devrait arriver très bientôt, et il me demande si j'accepterais de reprendre pour lui, le récit de ma captivité du début et de lui fournir des détails qui puisse leur permettre d'identifier possiblement d'autres membres de la Mano Peluda qui n'aurait pas encore été arrêtée, tels qu'Edouardo Garcia, pour ne donner qu'un exemple.
Je hoche la tête positivement et, encouragé par mon attitude, Señor Bérubé dépose son smartphone sur la table d'appoint sur roulette qui se trouve au pied de mon lit, pour enregistrer mon témoignage, me dit-il.
Ensuite, il reprend mon histoire du début :
« Andrea m'avait parlé de cet accident de voiture... qui est survenu il y a sept ans, tout juste avant qu'elle fasse une fugue. Cependant, tout le monde - y compris elle - vous croyais morte! Ils ont même retrouvé une dépouille correspondant à votre description dans la carcasse de la voiture au fond du ravin! »
Je pince les lèvres. J'ignore qui est cette Andrea dont il me parle, mais je suis en mesure de lui confirmer que c'est Ricardo Lopez qui avait eu cette idée d'utiliser un corps de substitution pour que personne ne me recherche. Ou plutôt pour que personne ne recherche mon amie Anna Lucia. En effet, Ricardo savait que Valeria, la mère de mon amie, avait attenté à sa vie, et il voulait qu'elle la croie morte... ainsi, elle ne rechercherait pas Anna Lucia et lui, il aurait tout le loisir de le faire!
Le grand blond est un homme intelligent. Il comprend tout de suite de quoi il retourne quand je lui parle de l'obsession de Ricardo Lopez pour mon amie Anna Lucia. Lopez faisait une fixation sur moi, car j'étais le seul lien qui lui subsistait, entre Anna Lucia, dont je lui précise qu'elle est la fille de Valeria Fedora. Je lui explique qu'elle était ton amie d'enfance... Mais elle sans doute a dû se sauver après l'accident de voiture, parce que Ricardo Lopez la recherchait activement.
― D'ailleurs, il faudrait la retrouver et la prévenir, car elle ne sait peut-être pas que Ricardo Lopez est mort et qu'elle n'a plus besoin de se cacher!
J'ai aussi entendu dire il y a quelque temps que Valeria Fedora s'était fait arrêter par la police italienne et purgeait une peine, donc Anna Lucia ne risque absolument plus rien!
Señor Bérubé me rassure immédiatement à ce sujet :
― Samantha, votre amie Anna Lucia est en sécurité. Elle vit présentement à Orlando en Floride sous une nouvelle identité et elle porte maintenant le nom d'Andrea Garcia, elle est fiancée et elle a même un fils. Elle a refait sa vie et quand nous lui avons annoncé que vous étiez toujours vivante, elle en était très heureuse, car elle vous croyait morte depuis tout ce temps! D'ailleurs, elle attend avec impatience que vous la rejoigniez, en Floride. Je précise que nous avons prévu de vous permettre de la rejoindre aux États-Unis, où nous vous avons obtenu un visa de résidence, aussitôt que le médecin nous donnera la permission...
Je fais mon signe de croix, rendant grâce à Dieu.
Dans ma bouche muette, je forme une prière ardente de remerciements au Seigneur, les mains tremblantes.
Anna Lucia se porte bien! Elle a un fiancé et même un fils! Elle a refait sa vie! Je cligne des yeux pour tenter de refouler les larmes tant je suis émue de le découvrir.
Nous allons pouvoir enfin être de nouveau réunies toutes les deux!
Des coups sont frappés à ma porte de chambre à ce moment.
Señor Bérubé dit à la personne d'entrer et alors, je retiens mon souffle en le voyant approcher.
C'est lui. Mon ange gardien. Mon protecteur. Mon sauveur.
Son chapeau enfoncé cache ses yeux, et ses bottes de cowboy brun foncé ne vont aucun bruit quand il marche sur le sol le rendant étonnement discret malgré ses six pieds et quelques, son corps bien musclé et ses larges épaules.
Je déglutis fortement. Yep! Ce type est exactement le genre d'homme sur lequel je fantasmais quand j'étais ado.
La gorge sèche, je ne sais que trop bien quel genre d'homme il est. Mes années de captivité au sein de la Mano Peluda m'ont bien enseigné à me méfier des hommes comme lui. La preuve en est cette arme gainée sous son aisselle à cet étui en cuir qui pendouille par-dessus ce teeshirt blanc avec cette espèce de logo bizarre (sans doute celui de la société de mercenaire de Señor Bérubé) qu'il porte et qui met très bien en valeur ses abdos et ses pectoraux bien musclés.
Un teeshirt qui est aussi identique à celui qu'il portait quand il m'a sauvé à l'exception faite des taches de sangs de ces victimes qui ne s'y trouvent plus.
Sur son biceps du bras droit, un tatouage d'un aigle au-dessus d'une ancre de bateau et entrecroisée d'un trident et d'un pistolet vient me réaffirmer le métier de mercenaire de cet homme. Ce tatouage, tout comme le reste, devrait aussi me sonner une alarme. Me crier sa nature hautement dangereuse et comme je devrais m'en tenir éloignée.
Comme pour justifier toutes mes craintes, il se déplace comme une panthère ou un grand prédateur.
Sans le moindre bruit.
Ce type est sans doute une des armes les plus létales que possède Señor Bérubé dans son groupe de mercenaires. Après tout, il a réussi à désarmer Ricardo Lopez qui me tenait en joue et à le poignarder dans le dos... en un rien de temps!
Je baisse les yeux en direction de ce jean qu'il porte. À la ceinture en cuir de son pantalon, l'arme du crime, le couteau de chasse, se trouve justement suspendue dans un étui en cuir dont le manche en ivoire sculpté en dépasse, comme une menace permanente. Il porte aussi une arme dans un étui gainé sous les aisselles.
Tout cela devrait me rendre nerveuse, mais non.
Ce mercenaire ne me rend pas du tout nerveuse.
Bien au contraire! Je le trouve magnifique, ce guerrier puissant!
Tenant un sac en papier brun dans la main, il vient vers nous et il dépose le sac sur la table d'appoint au pied de mon lit.
Ne disant rien de plus, il me jette un très bref regard avant de s'éclipser et de repartir comme il est venu, sans dire un seul mot.
Je détourne alors les yeux en direction de la fenêtre de ma chambre qui a une vue magnifique sur la ville de Bogota.
Visiblement, l'attraction n'est pas du tout mutuelle.
J'observe mon reflet dans la vitre.
Mais qui le lui reprocherait!
Je me fais l'effet d'un sac d'os maigrichon et décharné.
Une loque humaine.
Une infirme.
Ne va pas te faire des films, Samantha.
« Los tipos churros » ne terminent jamais avec les filles comme moi! *
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*Les mecs super canons ou les beaux gosses.