Ça me démange d'avoir enfin droit à un peu d'action!
Mais moi je couvre les autres... Je ne suis pas comme ces ninjas assassins des Torpederos parmi le commando d'élite qui devra neutraliser tous les pistoleros et les guerrieros qui fourmillent dans le secteur. Je ne suis pas de ceux qui devront tous les éliminer en un temps record quand Bérubé, le type qui supervise cette opération, donnera enfin l'assaut.
Non. Moi, je ne fais que les couvrir.
Je dois aussi escorter les blessés vers l'hélico pour les évacuer si besoin.
À mon oreillette Bluetooth, un ordre est justement donné de se tenir prêt, parce que la jeep de Ricardo Lopez s'est arrêtée il y a peu devant un des baraquements, et le type de Sidov Corp, Bérubé, donne l'ordre au premier groupe de passer à l'action.
Accroupi derrière de hautes fougères de cette végétation luxuriante, à mon poste, non loin d'un des baraquements principaux, j'observe en retrait le groupe de mercenaires et d'assassins de haut vol entourer le lieu et éliminer sans bruit ceux des gardes qui sont dispersés dans la forêt, sur le toit des bâtiments et dans les tourelles de cette base d'opération secrète qui se situe au milieu du trou du cul du monde.
Ils attendaient que la cible, Ricardo Lopez, arrive sur place avant de lancer l'attaque.
Il est arrivé il y a à peine quelques minutes, ce grand moustachu à la dégaine de truand, pour tout de suite se précipiter dans le baraquement principal du lieu en descendant de la jeep qu'un de ses hommes de main conduisait, celui-ci l'y talonnant. Cependant, tout le monde a attendu que notre contact à l'escouade de lutte contre le cartel du gouvernement colombien regarde la photo croquée sur le vif à son arrivée et nous confirme que l'identification était positive avant de lancer l'assaut, parce qu'ils n'auront droit qu'à une seule chance.
La Mano Peluda est une organisation donnant dans le trafic de drogue et la traite humaine. En Amérique du Sud, les populations locales attribuent des dons surnaturels à leur chef, Ricardo Lopez, qui est aussi le petit dictateur d'une république de banane située à la frontière entre le Brésil et la Colombie. Selon la légende locale, ce baron de la drogue aurait pactisé avec le diable et quiconque s'en prendrait à lui risquerait la mort assurée, ou encore d'être maudits ou hantés par des légions de démons à son service.
Ce qui fait que la plupart des agents des forces de l'ordre locales en Colombie ne se sentaient pas très chauds pour cette opération de grande envergure contre Lopez et son organisation. J'ai même vu plusieurs de ceux d'entre eux qui se joignaient à nous embrasser à leur cou une médaille de Saint-Michel ou encore une médaille miraculeuse (ou même les deux!) et qui faisaient leur signe de croix avant de monter dans les hélicos qui nous conduisaient dans ce trou perdu d'Amazonie, où nous avions tendu un piège à Lopez.
C'est aussi la raison pour laquelle cette opération est supervisée par Sidov Corp qui est sous contrat pour le gouvernement colombien. Parce qu'ils ont l'expertise et que leurs mercenaires ne sont pas superstitieux, EUX! L'autre raison est que Sidov Corp possède des fiches très détaillées sur Ricardo Lopez ainsi que son organisation La Mano Peluda, ou "Main Velue" si vous voulez. Pour tout ce qui a rapport à la traite humaine, au trafic de drogue ou à la vente d'armes illégales... Les agents de Sidov Corp sont les meilleurs.
Mais ce n'est pas sous leur bannière que je suis ici ni même sous celle de mon propre gouvernement. Non. Je suis ici avec mon ami Justin Eckhart, qui travaille à la fondation "La Triple Main", tel que le fait bien voir ce stupide teeshirt avec leur logo qu'on m'a obligé à porter. De couleur blanche avec ce logo de trois mains noires se serrant les unes les autres... il est pour le moins visible, ce foutu teeshirt!
C'est comme si on m'avait peinturé une cible sur le torse!
Mais c'est justement ce que désiraient les gens de cette fondation, que nous soyons visibles parce qu'il est très possible qu'il y ait des victimes... dans cette planque secrète de Ricardo Lopez, où ils lui ont tendu un piège et que si c'est l'cas... ces victimes seront évacuées par moi et Justin en hélicoptère. Alors, ces personnes ne doivent pas nous confondre avec de foutus mercenaires de Sidov Corp ou cette bande d'assassins des Torpederos qui prend aussi part à l'opération, et encore moins avec des hommes de Ricardo Lopez!
Si je portais une tenue de camouflage et que j'étais armé jusqu'aux dents... moi qui suis un navy seal des forces spéciales... j'imagine qu'effectivement, je pourrais intimider même le plus aguerrit des soldats. Alors une victime du trafique humain, vous pensez bien.
Tara ta ta tatat!
Un bruit de mitraillette me tire de ma torpeur.
Fuck!
Un des hommes de Ricardo Lopez a repéré un des nôtres!
Ça commence à se canarder de partout au milieu de la jungle.
Cependant nous sommes en bien plus grand nombre, donc ils sont foutus!
―¡No se muevan! ¡O le vuelo los sesos! hurle Ricardo Lopez sortant du bâtiment principal, cette espèce de cabane un peu glauque, en trainant ce qui ressemble à une poupée inarticulée.
Les pieds de sa victime raclent sur le sol quand je vois Lopez passer devant l'endroit où je suis planqué pour faire face à ses assaillants. Son revolver sur la tempe de la pauvre femme, il continue de menacer de lui éclater la cervelle.
Shit! Elle porte un collier de soumise, cette fille! Et pas des plus jolis!
Non! Ce modèle-là, c'est le genre de collier en cuir très large et très inconfortable, avec un anneau central pour attacher une laisse qui peut aussi servir d'étrangleur. Un vrai collier de chien, enfin quoi!
De ma cachette en embuscade, je peux voir le regard effrayé de cette jeune Colombienne qui ne doit pas voir plus de 22 ou 23 ans. Ses grands yeux bruns irisés de jaune, comme des rayons de miel, me font l'effet d'une petite biche effarouchée. Son corps maigrichon et chétif ainsi que son visage angulaire et ses joues creuses me disent comme elle souffre de malnutrition.
Fuck! Ce n'est pas une femme!
C'est un squelette qui n'a que la peau sur les os!
Je peux aussi voir la marque d'un coup de fouet ou alors de ceinture, toute fraiche, sur son épaule, près de la bretelle de cette robe tout usée et rapiécée qu'elle porte.
Motherfucker!
Cette fille a dû souffrir l'enfer aux mains de ce grand malade de Ricardo Lopez!
Elle semble aussi incapable de tenir sur ses jambes et Ricardo Lopez la retient par la taille, son autre main pointant une arme sur sa tempe, est un peu handicapé par le fait qu'il se doit de la soutenir, ce qui nous donne un avantage.
Il ne cesse de l'agiter en bougeant tel un pantin inarticulé et la jeune femme pousse des cris de détresse qui m'arrache le cœur.
Mon regard croise celui de Philipe Bérubé, qui lui aussi était en planque. Il porte une tenue de combat et il est armé jusqu'aux dents contrairement à moi qui n'ai qu'une petite veste pare-balle, mon bon vieux colt et un couteau de chasse.
Un message silencieux passe entre nous et Bérubé sort de sa cachette, abaissant la mitrailleuse qu'il tenait à la main et la jettant sur le sol à ses pieds, pour tenter de distraire cet enfoiré pendant que moi je m'approche par-derrière subrepticement.
― Calmez-vous Lopez! Je suis près à négocier si vous voulez... tente de le pacifier Bérubé pendant que je tire lentement mon couteau de son étui.
Lopez crache des insultes à Bérubé et lui demande d'ordonner à ses hommes de se retirer et aussi, de lui fournir un hélicoptère! Après, quand il sera en sécurité, il relâchera la fille!
Un hélico? Rien que ça?
Non, mais, est-ce qu'il se croit dans un libre-service celui-là ou quoi?
J'attrape sa main qui tenait son arme et je lui tords le bras, alors que de mon autre main, je le poignarde dans le dos.
Bérubé pointe aussitôt une seconde arme qu'il cachait dans son dos, et que Lopez n'avait pas vue quand il avait jeté l'autre au sol, et Bérubé lui met une balle entre les deux yeux.
Son corps flasque relâche sa victime, et je le repousse sur le côté pour le dégager de mon chemin et m'empresser d'attraper la jeune femme avant qu'elle tombe sur le sol.
Fuck. Elle est tellement maigre que j'ai peur de lui casser les os quand je la prends dans mes bras!
Son visage maculé du sang de son agresseur, la jeune femme frémit entre mes bras et bats de ces longs cils, le regard hanté.
Du coin de l'œil, je peux voir Bérubé se pencher sur le corps inerte de Ricardo Lopez pour s'assurer qu'il est bel et bien mort. Mais je m'en soucie peu, car cette victime est visiblement en état de choc et qu'elle requiert toute mon attention.
J'avance mon énorme main pour essuyer le sang sur son doux visage et je lui murmure, pour ne pas l'effrayer avec ma grosse voix que tout va bien... que je fais partie des gentils.
― Calmez-vous, tout va bien... tout va bien... dis-je encore, serrant son petit corps décharné tout contre moi.
Mais la jeune femme commence à s'agiter et elle regarde tout autour de nous en me parlant en espagnol. Le parlant moi-même plutôt bien, je comprends alors qu'elle s'inquiète que les hommes de Lopez découvrent que nous avons tué le chef de leur organisation.
Un certain Edouardo Garcia, entre autres, semble l'effrayer énormément. En tournant la tête, son visage pâlit à vue d'œil en apercevant les cadavres de plusieurs des hommes de Lopez morts durant les affrontements justement et cela ne fait qu'augmenter son agitation.
Je prends son visage dans mes mains et je l'oblige à me regarder dans les yeux pour attirer son attention sur moi et uniquement sur moi!
― Quel est votre nom?
―Samantha Ramirez, me dit-elle, de sa voix si faible et si fragile.
― Samantha, écoutez-moi attentivement. Ricardo Lopez est mort et des opérations policières similaires à celle-ci avaient lieu simultanément dans plusieurs endroits d'Amérique du Sud en même temps que celui-ci. La Mano Peluda ne comptera plus que très peu de membres après ce jour donc vous n'avez plus rien à craindre. Vous êtes en sécurité, vous m'entendez? Alors je veux que vous arrêtiez de vous en faire à ce sujet! C'est compris?
Elle hoche la tête dévotement, mais son corps est encore tendu entre mes bras et je crois que j'ai dû hausser un peu trop la voix, car maintenant, elle me semble ne plus être très sûre d'avoir envie que je continue à la serrer dans mes bras.
Je tente de masquer ma frustration et ma colère à l'idée de tout ce que ce monstre a dû lui faire subir pour qu'elle réagisse ainsi au plus petit changement dans ma voix. Prenant une grande respiration, j'essaie de reprendre le contrôle de mes émotions, de baisser encore le volume de quelques octaves, tout en lui caressant les cheveux tendrement. Je lui ordonne dans le même temps d'une voix qui se veut apaisante de prendre de grandes respirations. Que l'hélicoptère devrait se poser très bientôt et que je pourrais enfin l'évacuer... mais en attendant, j'aimerais qu'elle évite de regarder autour de nous et se concentre plutôt sur mon visage et sur sa respiration.
La jeune femme obéit et fait son possible pour ignorer le carnage tout autour de nous et elle fixe mon visage comme si elle désirait en graver tous les traits dans son esprit. Calquant sa respiration sur la mienne, son corps tremblant dans mes bras se détend peu à peu et je constate tout de suite l'effet de ma dominance sur elle, la jeune femme s'apaisant progressivement et suivant mes commandements tout simples.
Nous entendons dans le lointain l'hélicoptère qui approche de plus en plus.
Enfin! Jesus! Il était temps!
Quand je me penche de nouveau sur son doux visage, après avoir jeté un œil vers cette trouée de ciel entre les arbres, je réalise que la petite femme s'est endormie, blottie dans mes bras, sans doute d'épuisement dû à toutes ces émotions.
Elle me fait tellement l'effet d'un petit chaton ainsi blotti entre mes bras... et ne se méfiant déjà plus du tout de moi, visiblement.
Jesus Christ!
Woman!
Tu ne devrais pas accorder ta confiance aussi facilement à des étrangers!