"- Tu me prends dans tes bras s'il te plaît ? j'entends."
Je jette un coup d'oeil vers la source de cette voix et vois mon petit trésor, les yeux encore endormis, me tendant les bras. Sans hésité, je prends ce petit bout dans mes bras et la serre contre moi. Aussi étrange que cela puisse paraître, un lien s'est tissé entre nous deux, indéfinissable, depuis le sein de sa mère.
"- Tu as bien dormi ? ne puis-je m'empêcher de demander"
Elle hoche la tête.
"- Et toi, t'as fait dodo ?"
D'un signe de tête, je désigne mon téléphone, ma guitare et des feuilles.
"- T'as travaillé ?
- Oui. Tu m'as inspiré, j'ajoute dans un sourire avant de lui embrasser la tête."
Nous ne sommes pas pressées de nous rendre à la fondation mais l'heure tourne ... Il faut absolument qu'on se rafraîchisse un peu avant de nous y rendre pour voir sa mère et nos protégés. Dans les débuts de la fondation, Alexia a rencontré un homme, un professeur de philosophie, d'un narcissisme absolu. Il était le centre du monde mais elle l'adorait presqu'autant qu'il s'adorait lui même. Lorsqu'elle est tombée enceinte, on croyait tous qu'il changerait mais non, il n'avait d'yeux que pour lui. Elle et leur enfant en chemin passaient en second plan. Un jour, de retour de sortie avec ma soeur, nous l'avons découvert au beau milieu du salon avec des filles du même âge que moi; à l'époque j'avais dix-sept ans, mon ainée en avait vingt-sept et lui trente et un ans. Ce jour là, il n'a même pas prit la peine de se rhabiller, il était resté nu et lui a dit qu'il assumait pleinement ces actes, qu'il n'avait plus rien à faire avec, et qu'elle était bonne à jeter. Le coup a été rude pour Alexia. Il a continué sa partie de jambes en l'air dans le salon. J'ai tiré ma soeur précipitamment et l'ai emmené vivre avec moi. Elle était détruite mais ce qui lui faisait garder la tête hors de l'eau, c'était ce petit être qu'elle portait dans ses entrailles. Parfois, je me penchais et parlais à l'enfant, comme s'il comprenait ce que je disais. Je trouvais toujours un prétexte pour rester auprès d'elle et de ce bébé qui n'était pas encore né mais à qui j'étais attachée. J'étais présente dans la salle d'accouchement, à ses côtés. C'est même moi qui ai coupé le cordon ombilical de ma petite Nelia et c'est même moi qui lui ai choisi son prénom. Alex et moi avons toujours eu une relation fusionnelle; ceux qui ne savaient pas qu'on étaient parenté ont toujours cru que nous sortions ensemble. Ce n'est pourtant pas le cas. Je lui dois beaucoup, elle a fait de moi celle que je suis aujourd'hui.
"- Et si on allait se préparer pour y aller p'tit loup ?
- Ouiiiiii."
Elle se détache de moi, descend du lit et court vers sa chambre. Je range mes feuilles, mes crayons dans un tiroir prévu à cet effet. Je range ensuite ma guitare dans son étui et l'emporte avec moi au salon.
"- J'suis prête, dit mon petit monstre, toujours avec Tani dans les bras. T'as pris ta guitare, tu vas chanter ? demande t'elle, des étoiles dans les yeux.
- Oui. Allez, on y va !"
•••
Au volant de ma Mercedes, je négocie le dernier virage puis entre lentement dans la cité de la Fondation Hawk. On y trouve un grand parc, une piscine, une bibliothèque, plusieurs bâtiments abritant l'administration, les chambres, la cuisine, le grand réfectoire et tout ce qu'il faut pour l'épanouissement des enfants, des adolescents et autres. Je suis vraiment heureuse du lieu où l'établissement a été construit. Le calme et la tranquillité qui y règnent font un bien fou. De sa cahute, le gardien m'adresse un petit signe, auquel je réponds par un signe de tête et un sourire. Je poursuis ensuite mon chemin lentement, franchissant avec prudence les ralentisseurs. Nous croisons plusieurs jeunes enfants à vélo en compagnie de femmes et d'hommes dont les polos indiquent qu'ils travaillent ici. Un peu plus loin, des adolescents se disputent des matchs; pour certains un match de basket-ball et pour d'autres un match de football. Je me gare enfin sur le parking, coupe le moteur et me tourne vers ma petite princesse.
"- On y est, dis-je en lui souriant.
- Oui. Descendons, tu dois voir Naëlle, dit ma nièce toute excitée."
Je sors du véhicule, claque la portière derrière moi avant d'aider Nelia à en sortir. Je récupère ensuite ma guitare et ferme la portière. Inutile de verrouiller, ici. Main dans la main, nous nous dirigeons vers la porte, saluant au passage, ceux que nous croisons. Quelques instants plus tard, nous pénétrons dans le hall d'entrée, très vaste, composé de plusieurs sièges confortables, quelques poufs, de canapés, de petites tables basses sur lesquelles sont placées des magazines, des BD, des livres de contes, des brochures concernant la fondation. Sur un mur, le nom et le logo apparaissent. Deux écrans plats ainsi que des caméras de surveillance s'y trouvent. La banque d'accueil d'angle symétrique a une finition laquée et est aussi utilisable par des personnes à mobilité réduite. Derrière le comptoir se trouve deux réceptionnistes: une blonde, d'origine Canadienne, du même âge que moi, s'occupant du standard; une Afro-Américaine de vingt-sept ans, s'occupant de l'accueil et de l'enregistrement des visiteurs. Tout le monde porte un bagde. J'en porte un moi aussi.
"- Bienvenue Kaïs, dit l'Afro-Américaine en souriant.
- Merci Carole. Tu vas bien ?
- Oui. Coucou petit ange, dit-elle à Nelia."
Celle-ci lui répond avec un grand sourire.
"- Kaïs, dit la blonde.
- Oui Megan ?
- On pourra se parler plus tard ?
- Ouais, dis-je tout simplement.
- Maman, hurle Nelia."
Je me tourne donc et vois ma soeur. Une jeune femme à la chevelure blonde avec quelques mèches brunes. Elle porte un jean, un chemisier noir et des sandales.
Une fois ici, elle remplace ses talons par des sandales ou des baskets.
Je suis à la trace ma nièce qui s'était précipitée dans les bras de sa maman. Alexia mesure environ un mètre soixante-dix, a une allure de star et de très beaux traits. Elle ressemble à un top modèle; elle est vraiment très belle. Nélia lui ressemble beaucoup. Elle me sourit tendrement et je viens la prendre dans mes bras.
"- Comment va mon p'tit garçon préféré ? demande t'elle en m'ébouriffiant les cheveux.
- Super, dis-je en lui embrassant la joue."
Elle me sourit et me prend dans ses bras une nouvelle fois. J'hume son parfum, son si doux parfum; c'est le même qu'elle porte depuis des années et, c'est un réflexe que j'ai depuis toute petite.