Sous la lune du rejet
img img Sous la lune du rejet img Chapitre 3 L'Appel de la Lune
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Chapitre 6 Au cœur de la nuit img
Chapitre 7 L'âme sœur img
Chapitre 8 Le refus img
Chapitre 9 L'appel de img
Chapitre 10 La voix de la bête img
Chapitre 11 L'ultimatum de la lune img
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Chapitre 3 L'Appel de la Lune

Les jours passèrent, presque indistincts les uns des autres, dans un brouillard de solitude et de réflexion. Kieran se retrouvait à errer dans les forêts, à suivre les cours d'eau, à fuir les hommes et les femmes qu'il croisait. Les souvenirs de la jeune femme restaient accrochés à son esprit comme des épines dans sa chair. Chaque fois qu'il fermait les yeux, il voyait son visage, mais ce n'était plus un visage d'espoir ni de compréhension. Non, c'était celui du rejet, de la peur, et d'une froide indifférence. Une image qui le hanta jusque dans ses rêves.

Il avait fui l'auberge, comme il l'avait toujours fait. Il s'était retiré dans une grotte qu'il fréquentait souvent lors des transformations, loin de tout, à l'abri des regards. Là, dans le noir, il se laissait tomber au sol, épuisé, son corps encore douloureux des blessures de la bête, ses pensées en désordre. Le murmure de la rivière, tout proche, le berçait, mais il n'arrivait pas à trouver la paix.

C'était toujours la même chose, ce conflit entre l'homme et le loup, entre la réalité et la malédiction. Mais il n'était plus seul à se poser des questions sur ce qu'il était devenu. Non, quelque chose de plus profond commençait à naître en lui, un malaise qui ne voulait pas se dissiper. Et plus le temps passait, plus la question de la jeune femme restait, une énigme non résolue qui se tordait dans son esprit.

Il ne pouvait l'oublier. Il n'y arrivait pas.

Ce soir-là, alors que la pleine lune commençait à se lever dans un ciel sans nuages, Kieran sentit son corps se tendre. L'appel de la lune était plus fort que jamais, presque insoutenable. Il n'avait pas le choix. Cela allait recommencer. La transformation allait l'emporter. Une fois de plus, il allait perdre le contrôle. Mais cette fois, quelque chose était différent. Quelque chose dans son âme semblait se réveiller. Il n'était plus seulement la bête ou l'homme désespéré. Une autre partie de lui se mettait en mouvement, une partie qui ne voulait pas fuir, une partie qui voulait comprendre.

Il sortit de la grotte, les griffes déjà en train de se former sous ses doigts. Le vent soufflait dans les arbres, chuchotant des secrets qu'il ne comprenait pas. Son instinct le poussait vers la lisière de la forêt, vers un endroit qu'il connaissait, un endroit qu'il avait traversé la veille... l'auberge. Ce n'était pas un hasard. Il ne croyait plus aux coïncidences. Quelque chose le poussait dans cette direction, et il savait que le moment était venu de confronter sa propre peur.

Il marcha d'un pas lourd, la douleur de la transformation étouffant sa pensée. La bête hurlait dans sa poitrine, impatiente de se libérer. Mais une partie de lui, l'humain, celui qui voulait plus que tout de l'amour et de l'acceptation, résistait. Il résista encore un peu, se battant pour garder un semblant de contrôle. Les souvenirs de la jeune femme étaient là, lourds et accablants, mais Kieran savait qu'il devait se confronter à ce rejet, à cette peur. Il ne pouvait pas fuir pour toujours.

L'auberge était à nouveau visible, une lueur douce éclairant son enseigne. L'endroit semblait calme, presque paisible, et la lueur dorée des fenêtres contrastait avec l'obscurité qui l'entourait. C'était là qu'il devait être ce soir. Pas pour faire du mal, mais pour comprendre. Pour savoir si, au fond, il pouvait espérer quelque chose de plus que cette solitude désespérée.

Il s'arrêta à l'orée de la forêt, observant les allées et venues des clients, les voix qui montaient, les éclats de rire. Un moment d'hésitation. Puis, dans un élan soudain, il s'avança. La transformation était déjà en train de se précipiter, ses muscles se tendant, ses sens décuplés. Mais il se forçait à avancer, lentement, avec la volonté farouche de ne pas céder à l'urgence de la bête. Il n'avait jamais été aussi proche de la jeune femme, et il ne pouvait pas la laisser partir, pas avant d'avoir compris.

Lorsqu'il entra dans l'auberge, le silence tomba presque instantanément. Les quelques clients qui s'y trouvaient se figèrent à sa vue. Il avait beau tenter de dissimuler son angoisse, il ne pouvait échapper à la sensation qu'il était un monstre. Un monstre dans un endroit qui n'était pas fait pour lui. L'odeur de la viande rôtie, de l'alcool et des herbes se mélangeait à l'odeur âcre de sa peau, et il sentait les regards se poser sur lui, pleins de méfiance.

Mais Kieran ne se laissa pas démonter. Il chercha du regard la jeune femme, et la trouva, assise seule à une table près de la cheminée. Elle était là, sereine, mais quelque chose dans ses yeux lui fit comprendre qu'elle l'avait vu entrer. Il s'avança, chaque pas semblant peser lourd, son cœur battant plus fort que jamais.

Lorsqu'il arriva à sa table, elle leva les yeux vers lui, et un frisson parcourut le dos de Kieran. C'était comme si son regard traversait toute son âme, cherchant à comprendre ce qu'il était. Puis, sans un mot, elle se leva lentement et s'éloigna, se dirigeant vers le comptoir. Le cœur de Kieran se serra douloureusement. Il ne l'avait pas imaginé, mais il n'avait pas non plus le courage de la retenir.

Il resta là, figé, perdu dans ses pensées, observant les autres clients qui murmuraient entre eux. La peur, la honte, la culpabilité se mêlaient dans un tourbillon vertigineux. Mais au fond de lui, il savait que tout ceci faisait partie d'un chemin qu'il ne pourrait pas fuir éternellement. Quelque chose avait changé en lui, un appel qu'il ne pouvait ignorer. Il devait apprendre à vivre avec cette dualité. La bête et l'homme, ensemble.

Il tourna les talons et se dirigea vers la sortie, mais avant de franchir le seuil, il se retourna une dernière fois. Elle était là, la jeune femme, à l'autre bout de la salle, le regardant à la dérobée, comme si elle hésitait à se rapprocher. Kieran ferma les yeux un instant, sentant la pression de la transformation qui montait en lui.

Peut-être, pensa-t-il, un jour, pourrait-elle accepter ce qu'il était. Mais pour le moment, il devait encore apprendre à s'accepter lui-même.

            
            

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