Chapitre 5 La lune et le loup

La transformation se produisit en un instant. Le corps de Kieran fut secoué par une douleur intense alors que ses muscles se tendaient et se déformaient. La peau de son visage se tordait, se recouvrait de poils, tandis que ses dents se rallongeaient en crocs acérés. Il cria, un cri déchirant qui se mêlait à un rugissement bestial, un hurlement que seul un être comme lui pouvait produire. La bête émergea en lui avec une telle force qu'il perdit momentanément tout contrôle de lui-même. Ses yeux, autrefois d'un bleu froid, devenaient dorés, emplis d'une rage primitive.

Mais à travers le tourbillon de la transformation, une pensée persistait en lui. Elle était là. Amy. Il pouvait encore la sentir, son regard intense, sa présence. Elle ne fuyait pas, contrairement à ce qu'il aurait attendu. Elle se tenait là, immobile, presque sereine, comme si elle n'avait pas peur de ce qu'il devenait. Était-ce une illusion ? Une erreur ? Il n'arrivait plus à saisir la réalité.

Le processus était rapide, brutal. Ses jambes se pliaient pour adopter une posture plus basse, ses ongles devenaient de véritables griffes, ses muscles se bandaient sous sa peau qui se recouvrait de poils noirs, épais. Il se tenait à peine sur ses pieds, sa respiration devenant plus profonde, plus rauque. Le sol tremblait sous lui à chaque mouvement qu'il faisait. Ses sens étaient accrus. Le monde autour de lui était soudainement plus net, plus vif. Les odeurs de la pièce, de la poussière, du bois, du feu, tout semblait intensifié. La présence d'Amy, sa chaleur, son parfum léger, atteignait Kieran avec une force qu'il ne pouvait ignorer.

Il sentait la bête en lui qui s'épanouissait, avide de liberté, de violence. Mais un autre sentiment, plus humain, luttait encore. Kieran se battait contre cette impulsion, tentant de garder une part de son humanité intacte, de ne pas laisser la créature l'envahir totalement.

Le regard d'Amy ne changea pas. Ses yeux étaient toujours posés sur lui, mais cette fois, il n'y avait pas de peur dans ses prunelles. Pas d'effroi. Pas de fuite. Seulement un calme étrange, une compréhension qui déstabilisait Kieran. Comment pouvait-elle l'accepter ainsi ? Comment pouvait-elle ne pas s'enfuir, comme tous les autres avant elle ? Pourquoi restait-elle là, face à un monstre qu'elle savait être capable de tout ?

« Kieran, » dit-elle, d'une voix presque douce, qui perça le brouillard de la transformation dans lequel il était plongé. « Ce n'est pas toi. »

Ses mots étaient clairs, sincères, et pourtant, ils résonnaient étrangement en lui. Ce n'est pas toi. Comment pouvait-elle dire cela, alors qu'il venait de devenir ce qu'il redoutait le plus ? Un loup. Une bête sans contrôle. Une créature pourchassée et rejetée.

Ses griffes raclèrent le sol, et la colère monta en lui. La bête en lui se battait pour sortir, mais il savait que tout était lié. La douleur, la colère, et le rejet... Tout faisait partie de lui.

Amy s'approcha lentement, sans crainte, comme si elle avait accepté qu'elle n'était pas en danger. Ses mains étaient tendues vers lui, et bien qu'il eût l'impression d'être un animal prêt à bondir, quelque chose dans ses gestes le calmait. Elle ne reculait pas, ne fuyait pas. Elle l'affrontait, le regardant droit dans les yeux.

« Tu n'es pas seul, Kieran. » La douceur de ses mots sembla presque s'inscrire dans l'air. « Je sais ce que tu es. »

Les paroles frappèrent Kieran comme une décharge électrique. Elle sait ce que je suis ? Comment cela peut-il être possible ? Mais plus important encore, pourquoi cela ne la fait-il pas fuir ?

Sa respiration s'accéléra, son corps vibrant d'une énergie qu'il ne pouvait contrôler. Ses crocs se dévoilèrent, son corps se tendit, mais il se força à ne pas céder à la folie qui grondait en lui. La bête en lui hurlait, mais quelque part, Kieran se battait pour garder son contrôle. Il voulait comprendre. Il voulait savoir pourquoi elle ne partait pas. Pourquoi elle le regardait ainsi, sans une once de peur.

Amy s'arrêta juste à portée de bras, et ses yeux brillèrent d'une lueur indéfinissable. Elle s'agenouilla lentement devant lui, comme si elle comprenait quelque chose qu'il ne comprenait pas encore. Il était là, gigantesque, l'odeur de la bête se mêlant à l'air, mais elle n'hésita pas. Elle lui tendit la main, paume ouverte, dans un geste de totale confiance.

Kieran resta figé, la bête en lui poussant pour prendre le contrôle, mais ses yeux restèrent fixés sur la main tendue d'Amy. Il savait que s'il bougeait, il briserait ce moment fragile. Si seulement il pouvait parler, dire quelque chose, mais ses mots étaient prisonniers de la créature qui grandissait en lui. Pourtant, il n'avait jamais ressenti un tel besoin de comprendre, de saisir cette chance de s'accrocher à sa part humaine, de ne pas se laisser engloutir.

« Je ne fuirai pas, » dit-elle doucement, sa voix portée par la confiance. « Je sais que tu es perdu, Kieran. Mais je crois en toi. »

Ces mots le frappèrent en plein cœur. Il se sentait brisé, dévasté, mais un souffle d'espoir passa en lui. Peut-être, après tout ce temps, il n'était pas totalement perdu. Peut-être que ce qu'il pensait être une malédiction n'était pas la fin, mais un début.

D'un geste lent et hésitant, il tendit sa main vers la sienne. Elle la saisit doucement, mais il pouvait sentir une chaleur dans sa paume, comme si un pont invisible se construisait entre eux. La bête ne cessa de rugir dans ses entrailles, mais Kieran, dans un dernier acte de volonté, chercha à l'apaiser. Il se concentrait sur la sensation de sa peau contre la sienne. Ses pensées tourbillonnaient, mais une petite lueur de calme parvint à percer les ténèbres.

La lune brillait toujours à travers les fenêtres, pleine et lumineuse, baignant la pièce d'une lumière d'argent, mais à cet instant précis, Kieran se rendit compte que la transformation n'était pas seulement physique. C'était un passage, une épreuve. Et peut-être, juste peut-être, était-il en train de traverser un autre genre de métamorphose.

Il n'était pas seul. Pas cette fois.