En traversant les couloirs, elle se retrouva devant une aile de la maison qu'elle n'avait jamais remarquée auparavant. Une porte massive, en bois sombre, se dressait devant elle, ornée de ferronneries élégantes mais austères. Elle hésita un instant, son instinct lui soufflant de faire demi-tour, mais sa main se posa presque malgré elle sur la poignée froide.
La porte grinça légèrement en s'ouvrant, révélant une pièce plongée dans une semi-obscurité. Les rideaux lourds, en velours pourpre, filtraient la lumière matinale, et un parfum subtil de bois et de fleurs fanées imprégnait l'air. Lucie avança doucement, ses pas étouffés par un tapis épais, ses yeux s'habituant lentement à l'obscurité.
Les murs étaient couverts de photos, de dessins et de peintures, chacun soigneusement encadré. Lucie s'arrêta devant un portrait grandeur nature d'une femme aux cheveux châtain clair et aux yeux d'un vert profond. Elle semblait fixer Lucie avec une intensité troublante.
Elle murmura pour elle-même : « Qui est-elle... ? »
En avançant, elle remarqua d'autres détails : des étagères remplies de livres usés, un piano à queue recouvert d'un voile blanc, et, sur une commode, une collection de bijoux délicats posés dans un écrin ouvert.
Elle prit un médaillon et l'ouvrit pour découvrir une photo miniature d'Adrien, plus jeune, souriant d'une manière qu'elle ne l'avait jamais vue. À côté de lui, la femme du portrait. Ils semblaient heureux, insouciants, une image qui contrastait violemment avec l'homme froid et distant qu'elle connaissait.
Soudain, une voix glaciale brisa le silence.
« Que faites-vous ici ? »
Lucie sursauta violemment, laissant tomber le médaillon. Adrien se tenait dans l'embrasure de la porte, son visage fermé, ses yeux lançant des éclairs.
« Je... je suis désolée, » balbutia-t-elle, tentant de ramasser le médaillon, mais ses mains tremblaient. « Je ne savais pas que c'était privé. »
Adrien s'avança lentement, son regard rivé sur elle. Lorsqu'il prit le médaillon de ses mains, ses doigts effleurèrent les siens, mais il s'écarta immédiatement, comme brûlé.
« Cette pièce est interdite, » dit-il d'une voix basse mais menaçante. « Vous n'avez pas le droit d'y être. »
Lucie recula d'un pas, mal à l'aise. « Je ne voulais pas fouiller. J'étais juste... curieuse. Cette femme... elle est importante pour vous, n'est-ce pas ? »
Le visage d'Adrien se durcit davantage, mais il ne répondit pas tout de suite. Il semblait peser ses mots, comme s'il hésitait à révéler quoi que ce soit.
« Elle s'appelait Camille, » finit-il par dire, sa voix empreinte d'une froideur qui semblait plus dirigée contre lui-même que contre Lucie. « Elle était ma fiancée. »
Lucie sentit une pointe de compassion percer sa méfiance. « Que lui est-il arrivé ? »
Adrien releva brusquement la tête, ses yeux brillant d'une colère contenue. « Ce n'est pas votre affaire. Et si vous tenez à votre place ici, vous éviterez de poser ce genre de questions. »
Lucie, piquée au vif, croisa les bras. « Vous êtes incroyable. Vous exigez que je joue le rôle de votre femme, mais vous me traitez comme une étrangère. Peut-être que si vous étiez un peu moins fermé, les choses seraient plus simples. »
Il fit un pas vers elle, réduisant l'espace entre eux. « Vous ne comprenez rien à ma vie, Lucie. Et honnêtement, je préfère que ça reste ainsi. »
Elle soutint son regard, refusant de céder. « Très bien. Gardez vos secrets. Mais ne venez pas me reprocher d'essayer de comprendre l'homme avec qui je dois vivre. »
Ils restèrent ainsi, face à face, la tension presque palpable, jusqu'à ce qu'Adrien tourne les talons brusquement et quitte la pièce, emportant le médaillon avec lui.
Lucie resta un moment immobile, essayant de calmer les battements frénétiques de son cœur. Elle n'avait jamais vu Adrien aussi troublé, et bien que cela ait éveillé sa curiosité, cela la rendait également nerveuse.
Plus tard dans la soirée, alors qu'elle feuilletait distraitement un livre dans le salon, elle entendit Adrien répondre à un appel dans une autre pièce. Sa voix, habituellement calme et posée, était tendue, presque menaçante.
« Qui êtes-vous ?... Comment avez-vous ce numéro ?... » Une pause, suivie d'un ton plus grave. « Si vous touchez à un cheveu de ma femme, je vous retrouverai, et vous le regretterez. »
Lucie posa son livre, son sang se glaçant. Elle entendit ses pas approcher, et lorsqu'il entra dans le salon, son visage était aussi sombre que lors de leur confrontation dans la pièce interdite.
« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda-t-elle, inquiète malgré elle.
Adrien hésita, comme s'il pesait encore une fois ses mots. « Ce n'est rien. »
Elle se leva, refusant d'être écartée. « Ce n'est pas rien, Adrien. Je vous ai entendu. Quelqu'un a menacé... moi, n'est-ce pas ? »
Il la fixa, son regard durci par une détermination nouvelle. « Tout est sous contrôle. Je vais prendre des mesures pour assurer votre sécurité. »
« Ma sécurité ? » répéta-t-elle, la voix tremblante. « Je n'ai rien demandé de tout ça. Je n'ai pas signé pour... pour être en danger. »
Il s'approcha, et bien que ses paroles fussent dures, sa voix était étrangement douce. « C'est pour ça que je dois agir. Quoi qu'il arrive, vous ne serez pas seule. »
Lucie ne savait pas si elle devait être rassurée ou terrifiée. Le silence s'installa à nouveau entre eux, mais cette fois, il était chargé d'une menace invisible qui semblait peser sur chaque recoin de la maison.
Le matin était gris, et une pluie fine tapotait les immenses fenêtres du manoir. Lucie regardait les gouttes tracer des sillons sur la vitre, son esprit en ébullition après les événements de la veille. Adrien semblait plus tendu que jamais, et bien qu'elle veuille croire à ses promesses de la protéger, elle ne pouvait ignorer la boule d'angoisse qui s'installait dans son ventre.
Alors qu'elle buvait distraitement son café, Adrien entra dans la cuisine, vêtu d'un costume impeccable, l'air plus pressé qu'à l'ordinaire.
« Préparez-vous, » lança-t-il en ajustant sa montre.
Lucie releva les yeux, surprise. « Préparez-moi pour quoi ? »
« Nous avons une réunion d'affaires ce matin. Vous allez m'accompagner. »
Elle posa sa tasse avec un bruit sec, un mélange de colère et de panique grimpant en elle. « Vous plaisantez ? Je ne connais rien à vos affaires, et encore moins aux codes de votre monde. Je vais être un boulet, et vous le savez. »
Adrien fronça les sourcils, son ton devenant plus ferme. « Vous êtes ma femme, Lucie. Aux yeux des autres, vous devez jouer ce rôle à la perfection. Il n'y a pas de place pour le doute ou l'hésitation. »
Elle le fixa un moment, puis se leva brusquement, sa chaise raclant le sol. « Très bien. Mais ne venez pas me reprocher si je fais un faux pas. »