Il prit le document sans un mot, parcourant les pages avec une attention minutieuse. Chaque seconde de silence me pesait un peu plus. Finalement, il releva la tête, son regard perçant croisant le mien.
- Ce n'est pas mal, admit-il. Mais la prochaine fois, essayez d'être plus concise dans vos conclusions.
Je serrai les dents.
- Je vais faire de mon mieux, répondis-je, ma voix trahissant une pointe d'agacement.
Il pencha légèrement la tête, comme s'il évaluait ma réaction.
- Vous avez quelque chose à dire, Madison ?
Je pris une inspiration.
- Oui, en fait. Ces dernières semaines, les exigences ont été... intenses. Les employés sont épuisés, et j'ai l'impression que vous...
- Que je quoi ? demanda-t-il, sa voix calme mais teintée d'un défi.
- Que vous testez tout le monde.
Il se renversa dans son fauteuil, un sourire mince apparaissant sur ses lèvres.
- Peut-être que je le fais, répliqua-t-il. Mais si c'est le cas, c'est pour une bonne raison.
- Et quelle raison ? demandai-je, osant enfin le regarder droit dans les yeux.
Il resta silencieux un instant, son regard devenant plus dur, comme s'il pesait chaque mot.
- Si vous voulez que cette entreprise survive, Madison, il faut parfois pousser les gens à leurs limites.
Je ne savais pas si je devais être impressionnée ou exaspérée par sa logique.
- Vous pourriez au moins essayer d'être un peu plus... humain, dis-je finalement.
Il eut un éclat de rire bref, froid.
- L'humanité ne sauve pas les entreprises, Madison. La discipline, si.
***
Le lendemain, alors que je rangeais des dossiers dans l'archivage, Noah s'approcha de mon bureau.
- Madison, dit-il simplement, il y a un événement professionnel demain soir, un gala organisé par la Chambre de Commerce. Je veux que vous m'accompagniez.
Je clignai des yeux, déconcertée.
- Moi ? Pourquoi moi ?
- Parce que vous êtes mon assistante principale, et que vous connaissez les rouages de cette entreprise mieux que quiconque.
Son ton était neutre, mais il y avait quelque chose d'étrange dans son regard, une étincelle que je ne pouvais déchiffrer.
- Très bien, répondis-je finalement, incapable de trouver une raison valable de refuser.
Il acquiesça et s'éloigna, me laissant seule avec mes pensées. Pourquoi m'avait-il choisie ? Était-ce vraiment une simple décision professionnelle, ou y avait-il autre chose derrière cette invitation ?
Les mots d'Ethan résonnèrent dans ma tête : "Il teste tout le monde." Peut-être que ce gala était un test, une manière pour Noah de m'évaluer sur un terrain différent. Ou peut-être... voulait-il quelque chose de plus.
Et alors que je replongeais dans mon travail, une nouvelle incertitude s'installa en moi, amplifiée par le sourire énigmatique qu'il m'avait adressé avant de partir.
Le lendemain soir, vêtue d'une robe noire simple mais élégante que j'avais dénichée à la dernière minute, je me tenais devant les grandes portes vitrées de l'hôtel où se déroulait le gala. Les lumières brillantes du hall se reflétaient sur la surface impeccable des vitres, donnant une aura presque irréelle à cet endroit. J'inspirai profondément avant d'entrer, mon cœur battant un peu trop vite à l'idée de passer la soirée sous le regard scrutateur de Noah.
Il m'attendait déjà à l'intérieur, debout près du bar, un verre de whisky à la main. Vêtu d'un costume sombre qui semblait taillé sur mesure, il dégageait une assurance naturelle qui contrastait avec l'austérité de son quotidien au bureau. Son regard se posa sur moi dès que je franchis la porte, et pour une raison que je ne parvenais pas à m'expliquer, cela me fit frissonner.
- Madison, dit-il en s'avançant pour me rejoindre. Vous êtes ponctuelle, c'est une qualité rare.
Je haussai un sourcil à son commentaire, incapable de déterminer s'il s'agissait d'un compliment ou d'une remarque sarcastique.
- Merci, répondis-je simplement. Vous êtes là depuis longtemps ?
- Juste assez pour observer les dynamiques de la soirée, répliqua-t-il en balayant la salle du regard. Venez, je vais vous présenter à quelques contacts importants.
***
La soirée était un tourbillon de présentations, de conversations superficielles et de sourires forcés. Noah, en parfait maître de cérémonie, semblait parfaitement à l'aise dans ce rôle. Moi, en revanche, je peinais à suivre le flot incessant des échanges. Chaque fois que je pensais avoir un moment de répit, quelqu'un d'autre surgissait, prêt à parler affaires ou à flatter l'ego de Noah.
- Vous faites bien de travailler avec lui, me chuchota un homme d'âge mûr en me serrant la main. Noah est un visionnaire. Pas comme son frère... David, c'est ça ?
À la mention de David, je me raidis légèrement, mais Noah, qui avait visiblement entendu, se contenta d'un sourire contrôlé avant de changer habilement de sujet.
Plus tard, alors que je cherchais un coin tranquille pour récupérer mes esprits, je remarquai Sophie. Elle était resplendissante dans une robe rouge vif qui attirait tous les regards. Elle se dirigea directement vers Noah, un sourire séduisant aux lèvres. Mon estomac se serra malgré moi.
- Noah, dit-elle d'une voix douce mais assurée, vous ne me présentez pas votre charmante accompagnatrice ?
Il se tourna vers moi avec une lueur indéchiffrable dans les yeux.
- Madison, voici Sophie Martel, une femme d'affaires redoutable. Sophie, voici Madison, ma plus précieuse collaboratrice.
Je fus surprise par le mot "précieuse", mais l'éclat moqueur dans le regard de Sophie ne me laissa pas le temps de m'y attarder.
- Enchantée, Madison, dit-elle avec un sourire qui semblait cacher bien des pensées.
- De même, répondis-je, me forçant à garder un ton poli.
Sophie détourna rapidement son attention pour se concentrer à nouveau sur Noah. Elle posa une main légère sur son bras, son geste parfaitement calculé.
- Alors, Noah, avez-vous réfléchi à ma proposition ? Une fusion entre nos deux entreprises pourrait être... bénéfique à bien des égards.
Son ton laissait peu de place à l'interprétation. Je me sentis prise entre l'envie de fuir et celle de rester pour comprendre jusqu'où elle était prête à aller. Noah, lui, semblait imperturbable.
- C'est une discussion que nous devrions avoir dans un cadre plus approprié, répondit-il avec un sourire poli. Ce genre de décision ne se prend pas à la légère.
- Bien sûr, murmura Sophie, son sourire s'élargissant. Mais vous savez où me trouver.
Elle se retira gracieusement, me laissant seule avec Noah. Je n'osais pas croiser son regard, de peur qu'il ne lise dans mes pensées. Je ne comprenais pas cette montée de jalousie qui me tordait l'estomac. Après tout, qu'avais-je à envier à Sophie ? Elle était tout ce que je n'étais pas : confiante, sûre d'elle, et visiblement habituée à obtenir ce qu'elle voulait.
***
La soirée avançait, et alors que je pensais avoir survécu au pire, Noah m'entraîna à l'écart, loin des éclats de rire et du bruit ambiant.
- Pourquoi avez-vous accepté de venir ce soir ? demanda-t-il soudainement, son ton curieusement direct.
- Vous me l'avez demandé, répondis-je, déconcertée. Je pensais que c'était une obligation professionnelle.
Il eut un sourire presque imperceptible.
- Peut-être que c'en est une. Ou peut-être pas.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ? demandai-je, frustrée par son attitude énigmatique.
Il me regarda longuement, comme s'il pesait ses mots.
- Je vous observe, Madison. Depuis le premier jour. Votre loyauté envers mon frère est évidente. Mais je me demande... jusqu'où elle va.
Mon cœur rata un battement. Pourquoi parlait-il de David maintenant ? Avait-il découvert quelque chose ? Je me souvenais encore de notre rencontre secrète, de ses paroles mystérieuses, de ce baiser volé que je ne pouvais effacer de ma mémoire.
- Je ne vois pas ce que vous insinuez, répondis-je, essayant de masquer ma nervosité.
Il fit un pas en avant, réduisant la distance entre nous.
- Ne jouez pas à ce jeu avec moi, Madison. Je sais reconnaître un mensonge quand j'en vois un. Et je sais que vous êtes plus impliquée dans tout ça que vous ne le laissez paraître.
- Si vous avez des accusations à faire, allez-y, lançai-je, mes joues brûlant sous le mélange de colère et d'embarras.
Il resta silencieux, mais son regard disait tout. Ce n'était pas seulement un affrontement professionnel. C'était quelque chose de plus profond, quelque chose que je n'étais pas encore prête à affronter.
Alors qu'il s'apprêtait à parler, un serveur s'approcha pour nous signaler que le prochain discours allait commencer. Noah s'éloigna sans un mot de plus, me laissant seule avec mes pensées. Mais une chose était certaine : cette conversation, loin d'être terminée, venait de poser les bases d'un conflit que je ne pourrais éviter bien longtemps.