Le Casse Routiers II
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Chapitre 5 No.5

Celles qui s'y étaient frottées, assistantes sociales en mal d'enfant, DRH en herbe ou psychothérapeutes en pleine dérive sentimentale, n'avaient pas tenu longtemps. Ses histoires se construisaient, se délitaient, ses partenaires défilaient désormais à un rythme qu'il ne cherchait même plus à maîtriser.

Du coup, il passait pour un chaud lapin ou paradoxalement pour un amant exceptionnel, auprès de tous ceux et celles qui tentaient de trouver une explication au turn-over aussi rapide qu'incompréhensible de ses éphémères compagnes.

Comme il était assez beau garçon et s'habillait avec goût, le chassé-croisé de ses conquêtes féminines s'accélérait dès l'apparition de l'été et des beaux jours, pour se calmer et reprendre un rythme de croisière, dès l'approche des mauvais jours.

En contrepartie, il possédait le carnet d'adresses, de numéros de téléphone et de messageries électroniques le plus étoffé de toute la localité.

Il bénéficiait en outre dans ce statut, d'une conjoncture démographique régionale qui révélait depuis quelques années la supériorité numérique des femmes dans tous les recensements nationaux.

Le phénomène était lié à l'ouverture récente aux jeunes femmes de spécialités professionnelles réservées aux hommes, et à un flux migratoire féminin plus que positif vers les villes ensoleillées du Sud de la France.

Bref, il était connu, dans la bourgade où il avait posé son sac deux ans auparavant, pour son instabilité amoureuse, et sa tendance à multiplier les tentatives de vie commune dans tous les milieux sociaux. Mais il était aussi adulé par la population et les notables locaux pour ses qualités professionnelles, qui s'exprimaient au dans sa façon très personnelle de travailler au plus près du terrain.

Son aptitude à nouer ou accepter des relations amicales dans certains milieux glauques que ses collègues évitaient avec soin de fréquenter, en faisait un excellent enquêteur de terrain, dès qu'il s'agissait d'intervenir sur des drames familiaux, ou en cas de conflits sévères entre les membres de communautés étrangères.

Sa capacité à calmer les esprits dès les premières alertes, lui avait permis de résoudre sans effusion de sang, des situations complexes que d'autres, moins délicats, auraient sans doute envenimées par indélicatesses ou manque de tact. Il en avait hérité une spécialisation dans les affaires sordides qui suscitait les compliments de sa hiérarchie, mais aussi les commentaires acerbes de certains de ses collègues.

Ses supérieurs ne cessaient pas moins de s'interroger sur les limites d'un tel talent, capable de s'illustrer avec la même efficacité dans les milieux huppés de la localité, comme dans les quartiers les plus pauvres.

S'il avait eu des ambitions politiques, il aurait sans doute été un redoutable adversaire pour les notables qui se succédaient avec plus ou moins de bonheur à la direction des affaires de la commune.

Mais sa fâcheuse propension à passer constamment d'un lit à l'autre, en multipliant les expériences amoureuses, l'aurait à coup sûr déclassé parmi les candidats à la magistrature locale, ou auprès du cercle en constante progression des grenouilles de bénitier de Rodans sur Rougnon.

On l'appréciait pour le doigté et la délicatesse dont il faisait preuve, quand il intervenait dans un conflit entre voisins, ou lorsqu'il s'agissait de démêler l'écheveau d'un larcin, perpétré sous couvert d'un acte de vandalisme à forte connotation xénophobe. C'était son dada.

Ses collègues avaient du coup pris l'habitude de lui laisser l'initiative dans le règlement des affaires sordides, en se réservant les relations avec les quartiers huppés et la presse locale. Lui affrontait invariablement la merde et les drames de la précarité. Les autres plastronnaient sans vergogne auprès des filles des notables, mais se prenaient aussi fréquemment les pieds, dans le tapis défraîchi des sensibilités politiques locales et leurs dérives frontistes.

Il s'était pourtant promis, en quittant Saint-Denis de la Réunion, de ne plus jamais travailler avec ceux qu'il appelait en privé les fossoyeurs de l'autorité et de l'ordre public.

Il gardait ostensiblement ses distances avec ses collègues qui n'avaient pas pu ou pas voulu se défaire de la gangue de boue qui s'accroche aux bottes des fonctionnaires de police accordant une oreille consentante aux sirènes xénophobes ranimées à chaque consultation électorale par les supports locaux de l'extrême droite nationaliste.

Dès son arrivée au commissariat de Rodans, il avait été immédiatement confronté à ce qui passait localement pour un exercice normal de la profession de policier.

Parmi les plaignants qui passaient par le commissariat, ceux qui éprouvaient des difficultés à maîtriser la langue française ou dont la couleur de peau révélait les origines étrangères étaient systématiquement enregistrés et répertoriés en copie dans une base de données spéciale.

Cette pratique à laquelle il refusait de se plier lui avait valu des remontrances aigres de la part de trois ou quatre de ses collègues. Cet embryon local de frontistes en herbe se tenait à carreau vis-à-vis d'une hiérarchie tatillonne sur les questions très sensibles de l'égalité de traitement des citoyens face à la loi. Ils se laissaient un peu aller, quand le brigadier-chef se trouvait en leur présence.

Sans s'avouer racistes, un groupe de trois petits gradés éprouvaient quand même du mal à cacher leur xénophobie latente. Celle-ci s'exprimait par une réticence ou une certaine lenteur à enregistrer des plaintes quand elles émanaient des femmes ou des hommes de la communauté kurde confrontés à des marques d'irrespect ou de violences verbales de la part des autochtones.

On n'était pas vraiment xénophobe à Rodans. D'ailleurs, le camping naturiste qui surplombait la vallée à l'extrémité sud de la commune drainait chaque année une population de touristes très variée, mêlant toutes les origines, les langues, et même un peu plus rarement toutes les couleurs.

Certes, les Hollandais et Allemands étaient invariablement les plus nombreux à bronzer nus chaque été autour de la piscine. Leur supériorité numérique dans la localité tendait néanmoins depuis une dizaine d'années à être relativisée au profit des Italiens et plus récemment des Turcs, voire de quelques Africains et beaucoup plus rarement d'Indiens et Berbères

Les ressortissants étrangers se distinguaient d'abord par leur agilité dans les tâches manuelles. Leur aptitude à développer rapidement de nouvelles activités artisanales comme la maçonnerie, la menuiserie ou la retouche de vêtements à des prix très concurrentiels avait facilité l'installation d'une petite communauté de grandes familles plutôt modestes.

Leur désir d'intégration était réel. Mais leur tendance à entretenir des familles nombreuses, dont les origines des enfants se perdaient dans l'imprécision des noms et lieux de naissance était diversement appréciée. Ils étaient tout juste tolérés par certaines habitantes du cru. Surtout par toutes celles qui avaient largement passé la soixantaine et n'avaient de façon paradoxale quasiment jamais mis les pieds à l'étranger, ou rarement franchi les limites de l'arrondissement, hormis pour leur voyage de fin d'études secondaires.

La xénophobie locale était un euphémisme, quand on sait que les trois quarts des vols de poubelles ou plaintes pour actes de cruauté anonymes contre des chats et animaux domestiques provenaient justement des membres de ces étrangers dont les mœurs et leur aptitude à développer des modes de vie communautaire était mal tolérées par les voyous et petites frappes du cru.

Pour Jacques Ronchière, un plaignant était un plaignant. Et ce quelle que fût sa difficulté à s'exprimer dans un français correct. Il avait derrière lui l'expérience encore fraîche des îles du Pacifique. Il savait que le manquement à l'égalité de traitement des citoyens ne pouvait qu'altérer les relations futures avec les nombreux enfants de ces familles souvent indigentes. Il en avait tiré une ligne de conduite personnelle qui s'exprimait dans une maxime courte mais sans aucune ambiguïté.

                         

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