Marchant dans la nuit sur le bord de la route, je caresse mon petit ventre plat.
Il y a un an, je portais un enfant. L'enfant de Dario. Mais je l'ai perdu.
Ma gorge se serre en y songeant et mes pas se font de plus en plus lourds et pénibles, dans cette neige qui crisse sous mes bottillons.
Deux grands lions marquent l'entrée du stationnement. Mon père frottait souvent le museau de l'un d'eux avant la signature d'un important contrat, pour la chance, disait-il!
Je m'arrête devant ce lion et moi aussi je frotte son museau, pour la chance.
Parce que je ne veux surtout pas avoir raison.
Mais cette fenêtre allumée, au premier, est un très mauvais présage!
Sous le porche, je m'arrête de nouveau. Dans la vitre givrée de la porte d'entrée, je peux apercevoir mon reflet, de ce visage hideux qui est le mien, depuis que je fus défigurée à la sortie d'un bar, il y a dix ans jour pour jour. J'étais sur le point de devenir une chanteuse reconnue... accomplir mon rêve. Mais ensuite, après cet agression qui m'avait défigurée, plus personne ne voulait m'engager même pour simplement chanter dans les cabarets les plus minables de la ville.
La seule personne qui voulait encore de moi... c'était Dario, qui est aujourd'hui mon fiancé... alors pourquoi est-ce que je doute de lui tout à coup?
J'hésite à tourner la poignée.
Je cherche une nouvelle fois à me voiler la face, parce que je sais bien qu'une fois que j'aurai franchi cette porte, il n'y aura pas de retour possible.
Une phrase du journal intime d'une amie décédée me revient en mémoire: «Tout ce qu'il faut, c'est de faire le premier pas... ensuite, le reste devient plus facile!»
Dans mon cas, c'est plutôt l'inverse!
Si j'ai le courage de faire face à ce qui se passe ici, dans la maison de mes parents et dans mon dos... je vais devoir admettre que je me suis trompée et ma vie va devenir un enfer. Tout ce pour quoi je me suis toujours battu n'aura plus le moindre sens!
Je vais aussi devoir admettre que j'ai choisi la mauvaise personne.
Cette fois, je ne pourrai plus nier la réalité.
J'avance lentement la main, pour tourner la poignée, retenant mon souffle.
Elle n'est pas verrouillée!
La porte n'est même pas verrouillée!
Je l'ouvre sans faire de bruit et je vois des vêtements épars sur le sol. D'abord ces foutues espadrilles que porte toujours Dario! Et ensuite des bottes cuissardes rouges qui gisent non loin de ces mêmes espadrilles dans l'entrée... Un peu plus loin, et dessinant une petite route de la honte... je découvre le blouson en cuir de Dario sur le sol et un manteau très élégant, de femme bien sûr un peu plus loin, sans oublier le sac à main!
Je suis aux pieds des escaliers à présent et des gémissements me parviennent du premier.
- Ah... my love! Ouiiii... hmmmm...
Ma main sur la rampe, je suis figée sur place.
Je reconnaîtrais cette voix entre milles.
C'est celle d'une chanteuse. Une vedette internationale, dont j'ai contribué au succès, en composant toutes les foutues chansons qu'elle interprète!
Sharon Barbot.
Je monte les marches comme dans un rêve, sans y penser. Avant de le réaliser, je suis au haut de l'escalier et j'ai tourné sur la droite, en direction de ce son de couinements que j'entends, des ressorts du lit, dans la chambre des maîtres, tout au bout du couloir!
Devant la porte entrouverte, je peux entrapercevoir les deux formes sur le lit, une à quatre pattes et mon fiancé prenant cette femme par-derrière.
Ma mâchoire devient rigide et mes poings se serrent lorsque mon fiancé Dario lui donne une claque retentissante sur le cul tout en s'exclamant:
«Sì, cazzo, è fantastico!» qui pourrait se traduire par «Oui, putain, c'est fantastique!»
Qu'est-ce qui est fantastique?
Baiser Sharon Barbot?
Ou encore, le faire dans le lit de mes défunts parents et dans le dos de ta propre fiancée?
Hein Dario? Dis-moi! Est-ce que c'est si fantastique de m'avoir trompée, menti, abusée...?
T'être approprié de tous mes biens. M'avoir réduit à cet état de loque humaine entièrement à ton service?
Est-ce que c'est cela, l'amour puissant que tu disais éprouver envers moi?
Mue par la colère, je donne un coup de botte dans la porte qui s'ouvre toute grande!
Je m'attends à ce que mon fiancé et sa sale pute soient surpris par ma présence et qu'ils aient au moins un peu honte... des remords de conscience, enfin quoi!
Mais non.
Tout ce que je provoque, c'est leur rire, leur amusement!
Sharon surtout, a un sourire en coin pendant que mon fiancé continue de la culbuter par-derrière, sous mes yeux!
Dario me dévisage avec indifférence tout en continuant de la baiser. Et moi je reste là, à ne rien dire... incapable de parler... alors que cette femme pousse un long cri de satisfaction et que mon fiancé éjacule en elle.
Dario a toujours eu du mal à jouir quand il était avec moi... surtout après que j'aie fait cette fausse couche... de notre enfant à naître que j'ai perdu l'an dernier. C'est comme si je l'avais déçu et que maintenant, ma présence le dégoûtait et lui rappelait sans cesse mon échec à lui donner un héritier!
Mais avec elle... visiblement, il n'a aucun mal à vider ses foutues couilles!
Dario se retire et Sharon retombe sur le lit, un sourire de satisfaction sur le visage. Elle saute au bas du lit tout de suite après et se précipite vers la salle de bain de mes parents pour aller y prendre un peignoir en soie et s'en couvrir après avoir fait un brin de toilette pour se rafraîchir, tout ça sans se soucier de moi!
Pendant ce temps, mon fiancé se tourne vers moi tout en ramassant son pantalon sur le sol pour l'enfiler, son sexe à demi en érection sous mes yeux.
J'aimerais tellement la lui couper, sa foutue bite présentement!
Mais pourquoi suis-je incapable de réagir? De me venger? Pourquoi est-ce que je suis toujours si... gentille et aimante avec des gens comme lui qui ne le mérite aucunement!
Dario a même le culot de me demander ce que je fais ici! Je n'étais pas censée passer le week-end dans notre maison d'Aspen, à bosser sur les chansons, pour le nouveau disque que doit sortir Sharon prochainement?
Cette remarque me réveille de ma torpeur et je hurle de colère, explosant subitement:
- Dario! N'as-tu donc rien à me dire!? Après toutes ces années... nous qui étions des amis d'enfance... Tu étais mon premier amour et tu me trompes comme ça... après tout ce que nous avons vécu, sans en éprouver le moindre remords!?
Sharon éclate d'un rire sarcastique en m'entendant et je me tourne en sa direction. Elle va ramasser sa vapoteuse sur la table de chevet, et elle commence à faire des ronds de vapeurs devant moi tout en se moquant de ma naïveté.
Des amis?
Des amours de jeunesse? Suis-je bien certaine d'être le premier amour de Dario? Ou ne serait-ce pas plutôt ELLE... son tout premier amour!
Son seul amour! confirme alors Dario, lui jetant un regard empli d'adoration.
La grande blonde aux yeux bleus s'assied dans le fauteuil avec élégance, croisant ses longues jambes que je peux entrevoir du peignoir, et elle me défie quasiment du regard.
En conquérante, cette sale maîtresse n'a aucune honte à m'avoir piqué mon mec!
Mais a-t-il déjà été à moi... s'ils sont vraiment des amours de jeunesse, comme ils le disent?
Brisée par cette trahison, je cherche à comprendre.
Je dévisage Dario, cherchant une trace de l'homme que j'ai aimé:
Le grand brun super sexy aux yeux bleus pleins de tendresse, qui m'avait consolé après la mort de ma mère, quand j'avais à peine douze ans... et qui était toujours très attentif à mes besoins en classe et après l'école!
Mais il n'y a plus une seule trace de cet adolescent si sympathique. Non, tout ce qu'il subsiste, c'est un gangster froid et calculateur qui n'en a rien à faire de moi.
Un homme qui m'a utilisée!
Et Dario ne s'en cache même pas!
Il me confirme que Sharon est la seule personne qu'il a jamais aimée!
Quant à moi, je n'étais qu'un instrument, un atout dans sa manche!
Une petite gosse de riche trop stupide pour réaliser qu'il la manipulait! se moque éhontément Sharon.
Et grâce à moi, il est devenu quelqu'un de très puissant aujourd'hui! Grâce à moi... il a même obtenu toute l'aide dont il avait besoin, tous les capitaux, pour réussir à renverser le pouvoir... empêcher son demi-frère de succéder à leur père, comme parrain ici à New York, de la mafia italienne...
«Tu as la faveur de ton père parce que Sebastian est mort! S'il était toujours vivant, tu ne serais que le fils d'une maîtresse et rien de plus!»
Je veux le blesser tout comme lui m'a blessé!
Mais tout ce que je réussis encore une fois, c'est à provoquer le rire diabolique des deux amants. Comme je ne comprends pas ce qui est si drôle, Dario se charge d'éclairer ma lanterne:
« Et pourquoi il est mort Sebastian, tu crois, hein!»