Ma secrétaire, une jeune femme de 24 ans très charmante, passe alors la tête par la porte entrouverte, le temps de m'aviser qu'elle s'apprêtait à partir. Je regarde l'heure à ma montre et je réalise qu'il est passé cinq heures.
« Très bien Nina! À lundi prochain!»
La jeune femme me sourit avec bienveillance.
«Ne travaillez pas trop tard, professeur Lockwood! Même les héros ont besoin de repos!»
Je lui fais un signe de la main. Les héros! Allons donc! Je ne suis pas du tout ce saint homme que tous imaginent! Mais la jeune femme pleine d'admiration envers moi insiste pour le dire. À ses yeux, je serai toujours un héros.
J'ignore sa flatterie pour me pencher de nouveau sur mon portable et achever ce rapport que je dois ensuite envoyer au travailleur social du service de l'enfance qui m'avait demandé mes recommandations dans le cadre de cette affaire très sordide...
Une fois que j'en ai terminé avec ce rapport, je décide de me commander du chinois que je vais manger tout en étudiant les rapports écrits qui me sont parvenus de ma fondation, sur nos autres établissements de par le monde...
Je remarque alors que la batterie de mon cellulaire est à plat. Il n'arrête pas de se décharger depuis un certain temps. Je vais sûrement devoir changer de smartphone, car il commence à être un peu vieux.
Ah zut! Je n'arrive pas à trouver mon chargeur.
J'ai sûrement dû le laisser à la maison encore! Alors j'abandonne de commander sur l'appli mobile habituelle et je compose simplement le numéro sur la ligne fixe de la clinique en allant prendre un des menus du restaurant en question que garde toujours ma secrétaire à son poste de travail.
Je me remets ensuite à me défoncer dans le travail pour oublier que ma grande maison est vide et aussi et surtout que ma femme me déteste.
Nous venons d'avoir une levée de fond à l'Halloween et je vérifie si parmi ces donateurs il s'en trouverait qui accepteraient de soutenir un de nos programmes en Asie...
Deux nouveaux membres se sont joints encore cette année au Milliardaire Beach Club. Cependant, Khan Drakniss a déjà sa propre fondation alors je doute qu'il veuille investir dans autre chose... Par contre, Jumin Kang me semble quant à lui se soucier tout particulièrement de la situation en Asie... si je joue bien mes cartes, je devrais pouvoir le convaincre de faire un don substantiel et peut-être même de prendre part au projet.
La livraison du restau chinois arrive rapidement et je mange seul dans mon grand bureau vide puisque les deux autres psychiatres de notre clinique sont déjà rentrés chez eux où leur gentille épouse leur a sans doute préparé un repas si tendrement.
Je soupire fortement. C'est exactement le rêve que j'avais quand j'ai épousé Sarah, rentrer à la maison de très bonne heure tous les soirs, accueillis par ma femme avec qui je pourrais tout partager!
Je m'étire le cou et j'essaie de ne plus y penser.
En me plongeant dans ces rapports en provenance de ma fondation Dreams Catcher, je réalise qu'il y a une hausse de la demande dans les Territoire du Nord-Ouest au Canada. Hmm... le ministère des Affaires autochtones du Canada désire établir une collaboration un peu plus permanente. Si seulement ils pouvaient inspirer les conseils autochtones d'en faire de même ici aux États-Unis, ce serait génial!
Je me frotte les yeux de fatigue et je m'étire sur ma chaise vers minuit, après avoir épluché tous les rapports de diverses cliniques de ma fondation à travers le monde...
Il est grand temps de rentrer à la maison. Je ferme mon portable que je range dans son étui. Je prends mon veston sur le dossier de ma chaise.
Je n'oublie surtout pas de mettre le système d'alarme avant de quitter la clinique, marchant à la lueur des lampadaires en direction de ma BMW dans le parking désert.
Ma résidence se situe dans une banlieue très cossue, au bord d'un des lacs de la région d'Orlando. C'est un manoir sur Kensington Drive, voisin de celui d'un autre membre du Milliardaire Beach Club... Jumin Kang justement.
Mais ma résidence a un style un peu plus vieillot et surtout bien moins tape-à-l'œil que la sienne. Elle est aussi délimitée par une très haute haie de cèdres ainsi qu'une palissage de bois et non pas un mur en brique et pierre tel que le domaine de Jumin Kang. Il n'y a pas non plus d'innombrables caméras de sécurité tout partout sur mon domaine ni de gardes armés à toutes les entrées et sorties, mais seulement une grille électrique à l'entrée avec un code que je dois taper sur le clavier avant d'entrer ou alors en activer l'ouverture avec une petite application mobile sur mon cellulaire. Une simple caméra invisible avec détecteur de mouvement prend des photos de toute personne entrant ou sortant, mais rien de plus.
Mais ne vous y trompez pas! Même si je ne suis pas aussi parano que Jumin Kang, je suis tout de même très vigilant et mon système de sécurité est ce qui se fait de mieux.
J'ai aussi un excellent homme à tout faire, Gideon, qui est un ancien navy seal des forces spéciales et qui réside en permanence sur mon domaine.
Il saurait me protéger en cas de besoin et il m'est extrêmement fidèle comme c'est moi qui avais traité son choc post-traumatique quand il avait dû quitter la Navy après une opération qui avait mal tourné et que Gideon m'en est extrêmement reconnaissant depuis ce jour.
Gideon m'avait aussi été référé par Wyatt Paxton, un autre membre du Milliardaire Beach club, qui a servi dans la même unité que lui, donc je sais que je peux lui faire confiance.
Quand ma voiture franchit la grille de l'entrée principale, je remarque un vieux SUV, un Range Rover, stationné à ma place de parking habituelle, devant les portes closes de mon garage double.
Je hausse les sourcils tout en stationnant ma voiture dans l'espace voisin, à la gauche du garage double. C'est sans doute un des amis de Gideon... un de ses anciens confrères chez les Navy Seals, qui est venu lui faire une petite visite. Gideon habite le petit logement qui est au-dessus du garage attenant à ma résidence. C'est donc tout à fait possible, surtout que je ne lui interdis aucunement de recevoir des visiteurs.
Je me dirige vers mon domicile sans trop réfléchir, après avoir fermé la portière de ma voiture sans bruits pour ne pas déranger l'ancien militaire que les bruits soudains indisposent en raison de son PTSD... Surtout qu'à cette heure tardive, il doit dormir...
Ma mallette d'ordinateur en bandoulière, je m'efforce donc d'être discret quand je monte les marches du parvis et que j'entre le code dans le pavé numérique pour déverrouiller la porte avant de ma résidence.
Je dois très vite aussi entrer un autre code sur le système d'alarme dans l'entrée. Je fronce les sourcils en apercevant une paire de chaussures de femme quand je retire les miennes. Ce sont des talonnettes noires très élégantes.
Est-ce que ma mère a décidé de me faire une visite à l'improviste ou quoi?
Mais non! Suis-je bête! Mes parents sont au Québec présentement, en visite chez ma sœur et son mari. Je dois d'ailleurs les y rejoindre pour Noël...
Ces chaussures appartiennent peut-être à la femme de ménage. Nan... c'est du cuir italien! Bien trop cher pour le salaire d'une domestique! Je balance les chaussures sur le sol après les avoir examinées, haussant les épaules.
Je me dis qu'il sera toujours temps d'éclaircir ce mystère demain matin parce que ce soir, moi, je suis bien trop vanné!
Je veux seulement monter, prendre une douche et me coucher! Alors, j'enfile mes pantoufles et je monte le bel escalier de marbre vers le premier étage où se situe ma chambre. J'en ouvre la porte sans bruit, et je balance ma mallette sur le sofa au pied de mon lit quand je passe devant dans la pénombre.
Ce soir, la lune est pleine et elle éclaire les eaux du lac par la grande baie vitrée de ma chambre. Il y a aussi ce restaurant de classe Michelin de l'autre côté du lac, Le Riverain, dont les petites guirlandes de lumières des terrasses flottantes diffusent aussi un léger éclairage qui donne à ce lac un aspect très bucolique.
De la chambre que j'occupe au premier, quand les lumières de ma résidence sont éteintes, on peut observer encore mieux ces petites lumières du restaurant sur l'autre rive danser sur l'eau.
J'admire la vue comme si souvent pendant que je retire mon veston, ma montre et que je vide mes poches sur ce même sofa au pied du lit et dos à celui-ci.
Ensuite je vais vers ma salle de bain en ouvrir les portes coulissantes, allumant l'interrupteur au passage, et j'y fais couler l'eau de la douche pendant que je termine de me dévêtir. C'est une vieille maison et le chauffe-eau met parfois un peu de temps à fournir de l'eau chaude, donc j'ai le temps de me dévêtir complètement avant que l'eau soit à la bonne température.
Je crois alors entendre un murmure tout juste avant d'entrer sous la douche, mais ce doit être mon imagination.
Je termine de me doucher et, une serviette autour du corps, je vais de ma salle de bain à mon dressing qui est voisin et auquel je peux accéder de la salle de bain.
Je me sèche les cheveux et j'enfile des boxers et un bas de pyjama très rapidement tout en songeant à Erik, un de mes patients que je dois passer voir ce week-end... nous avons prévu faire de l'équitation sur le ranch des Paxton demain après-midi. Son cas est particulier et avec le temps, j'ai acquis la conviction qu'il n'est pas aussi muet que nous le présumions moi et ses parents adoptifs au départ. Ce sont les multiples abus vécus dans sa petite enfance qui ont brisé la voix de ce préadolescent.
Si seulement je pouvais arriver à lui faire dire un seul tout petit mot, lui redonner la voix!
Ce serait un tel progrès!
Du dressing, je reviens dans ma chambre par une autre porte coulissante. C'est à ce moment que je me bute à un objet qui était près de la porte, dans le dressing. Je trébuche quelque peu et me cogne la grosse oreille sur cette énorme valise de voyage.
Mais qu'est-ce que c'est que ça ?
Qu'est-ce que cette valise rose fait dans ma chambre!?
En l'observant attentivement, je découvre un de ces collants comme ils vous en mettent sur vos valises dans les aéroports. J'aperçois un nom sur cette étiquette que je ne connais que trop bien.
Sarah Brooks!
Tout à coup, une idée saugrenue me vient à l'esprit.
Je fais un pas de plus dans ma chambre et, à grande enjambée, je me dirige vers mon lit auquel je fais maintenant face, et où je distingue une forme humaine, maintenant que j'y regarde de plus près. Et une forme avec de très jolies courbes, d'ailleurs!
Je reconnaîtrais ses hanches divines et ses si longues jambes n'importe où!
Mais soudain, à mi-chemin du lit, je me fige sur place, parce que j'ai tellement peur de me tromper ou d'être en train d'halluciner!
Tout à coup, je l'entends murmurer dans son sommeil.
«Damien...» gémit-elle dans son sommeil si tendrement que j'en ai le souffle coupé.
Avant même que mon cerveau enregistre cet appel de la sirène dans la nuit, mes pieds décident d'avancer tout seuls et en moins de deux, je suis assis à son chevet à la regarder dormir... dans mon lit!
J'avance ma main très doucement pour ne pas la réveiller et j'écarte une mèche de cheveux pour observer son doux visage.
C'est elle! Mais oui, c'est elle!
Sarah! Ma femme!
Eh oui! Ma femme!
Elle est couchée dans mon lit. Pour le vrai!
Elle dort même sur mon oreiller, à la place que je préfère ordinairement... et mon odeur ne la dégoûte pas?
Tout à coup, son visage ordinairement si résolu se contorsionne. Ses petits sourcils se froncent et elle s'écrie cette fois d'une voix étranglée: « Non Damien! Va-t'en!»
Je me fige sur place, ma main en suspension, alors que je m'apprêtais à la consoler... la réveiller de ce mauvais rêve qu'elle fait!
Mais de toute évidence, elle ne veut pas de moi ici... parce que c'est moi son pire cauchemar!
Comment ai-je pu oublier que même ma présence la révulsait!
Je la prends délicatement dans mes bras.
Elle n'arrivera jamais à bien dormir confortablement dans ce lit où il y a mon odeur!
Non, mais! Qu'est-ce que Gideon a pensé de l'installer dans ma chambre alors qu'il y a des tas d'autres chambres vides dans cette maison!
Aussitôt que je la prends dans mes bras, Sarah ne résiste aucunement, à ma surprise. Elle frotte même sa joue contre mon épaule, se blottissant dans mes bras, alors que je la transporte en douceur hors de ma chambre.
Elle doit me prendre pour ce Dario qu'elle aime tant! Sinon elle ne réagirait pas de la sorte!
Je pousse la porte de la chambre qui est face à la mienne du bout du pied et je vais l'installer tout en douceur dans le lit qui s'y trouve.
Là! Ici, les draps sont tout propres et tout frais.
Il n'y a pas mon odeur si masculine!
Elle devrait mieux dormir. Et effectivement quand je la borde, elle pousse un soupir de bonheur et elle me semble plus apaisée, comme si le cauchemar était enfin terminé.
Je ferme la porte en douceur et je vais moi aussi me mettre au lit.
Mais je ne parviens plus à dormir. Ma fatigue s'est envolée. En plus, l'odeur de Sarah est partout. Sur mes oreillers, sous mes draps...
Sa voix si torturée dans son sommeil me hante aussi.
« Non Damien! Va-t'en!»
Mais pourquoi es-tu venue ici, Sarah, si tu ne voulais pas me voir!?
C'est à n'y rien comprendre!