Alors évidemment, ils ne peuvent pas les laisser faire!
Je me débats furieusement et je cherche à briser mes liens en frottant la corde de mes poignets sur le clou, sous le comptoir du bar tout en leur disant que tôt ou tard, les autres fondateurs du Milliardaire Beach Club découvriront que ce sont eux les coupables qui assassinent leurs membres un par un... et alors ils le paieront très chèrement.
Sharon et Dario éclatent de rire. Ils sont tellement arrogants devant moi! Ils se croient au-dessus de tout soupçon! Supérieurs aux autres!
Quand elle était jeune, il y avait un gamin dans sa classe, me raconte alors Sharon... il était comme moi, une personne très naïve, qui pense que les méchants sont toujours punis de leur crime! Un des enseignants... leur prof de gym... était un sale pédo... Il la payait même pour faire le guet et appâter ses victimes...
Sharon me dit comme ça que le gamin qui était dans sa classe... il ne s'est pas douté que c'était elle qui attirait les victimes dans ce local de rangement tout pourri où ce salle pédo les abusait. Même que, quand elle a fait semblant de le sauver... il a gobé son histoire et il a vraiment cru qu'elle était la cause du transfert de ce professeur qui en fait ne faisait que déménager dans une autre ville...
Ce gamin, il lui était tellement reconnaissant qu'il est devenu son larbin et qu'il faisait ses quatre volontés! Sharon a toujours eu un visage très angélique... une belle petite gueule à laquelle on ne refuse rien! confirme Dario, la regardant avec amour.
Sharon est visiblement très satisfaite de cet amour malsain que je lis au fond des yeux de celui qui était pourtant mon fiancé!
Elle conclut sa petite histoire comme suit: «Dans ce monde, c'est la loi du plus fort! On a le choix entre tuer ou se faire tuer! Si je n'avais pas aidé ce pédo à se trouver des victimes... ce s'rait moi qui aurait été sa prochaine victime!»
Dario ne semble nullement surpris par cette histoire ni dégoûté, ce qui veut dire que Sharon la lui a sans doute déjà racontée. Il se contente de regarder l'heure à sa montre... Damien devrait arriver très bientôt... donc il est temps pour eux de s'éclipser!
Le gangster tend la main galamment à Sharon pour la faire descendre du comptoir de bar... ensuite, il jette son briquet sur un des divans imbibés d'alcool qui s'enflamme tout de suite.
Du coin de l'œil, je peux les voir et les entendre s'éloigner et quitter le domicile, en claquant la porte, alors que les flammes montent et qu'une fumée noire se répand.
Je tousse et je crache, me tortillant sur le tabouret du bar. J'essaie de nouveau de briser la corde liant mes poignets, mais il n'y a rien à faire!
Une chaleur suffocante envahit les lieux et les flammes montent tout autour de moi, léchant les boiseries et rongeant jusqu'au plafond... et même le comptoir de ce bar en bois vernis. Quand elles atteindront mes poignets, je devrais pouvoir enfin me libérer.
Tout à coup j'entends une vitre se briser derrière moi. Celle de la baie vitrée du salon. Une personne se précipite dans la pièce par la fenêtre et au cœur de ce brasier ardent.
Je peux distinguer à travers les flammes les épaules et le front très noble de cet ancien professeur de Yale qui est toujours aussi bien mis de sa personne que dans mes souvenirs.
Ensuite, ce sont les traits de son visage déterminé que je distingue, plus il se rapproche. Ses yeux bleu-gris qui me fixent depuis toujours avec tant d'amour et de dévotion. Son visage si raffiné et ses traits si nobles... Un visage encadré de ces cheveux blond cendré aux longs favoris à peine grisonnants. Il a pris de l'âge, avec quelques petites ridules au coin des yeux et ses traits sont tirés, mais il est toujours aussi beau, tel un dieu régnant au milieu des mortels.
Plus il se rapproche de moi, plus j'en ressens du désespoir.
« Non Damien! Va-t-en! C'est un piège!» dis-je tout en toussant par intermittence.
Mais Damien, mon ex-mari, n'écoute rien comme toujours! Il se précipite vers moi, tirant un couteau suisse de la poche de son beau pantalon, et alors que la fumée ocre me bloque les voies respiratoires, il tente de briser les liens qui me retiennent à ce comptoir de bar en flamme.
Cependant, quand il croit y être parvenu et qu'il cherche à soulever mon corps, nous réalisons tous deux que mes pieds ainsi que les cordes autour de mes jambes sont aussi attachés au repose-pied du tabouret qui, lui, est vissé dans le plancher.
Damien se penche alors pour tenter de les dénouer. Je tape de mes poings violemment sur son épaule tout en cherchant à le convaincre de ne rien en faire! Les flammes nous cernent de toute part! S'il ne part pas tout de suite, il va périr avec moi!
« Je n'partirai pas sans toi, Sarah Brooks! J'ai déjà fait l'erreur de te quitter une fois, je ne la ferai pas une seconde fois!»
Il se relève après avoir enfin défait mes liens et il prend mon visage dans ses mains, me regardant avec amour:
« Je préfère mourir avec toi que vivre sans toi, m'entends-tu!»
Aussitôt après avoir dit cela, il me prend dans ses bras, me soulevant tel un précieux colis. J'enroule alors mes bras autour de son cou, retrouvant espoir. Peut-être que nous avons encore une chance de nous en sortir... ! Oui! Je veux y croire.
Me serrant très fort contre lui, Damien se précipite en direction de la fenêtre qu'il avait brisée, mais au même moment, le plafond s'effondre.
Damien se penche alors en avant, enveloppant mon corps pour le protéger avec le sien. Au même instant où la maison en flamme s'effondre sur nous, je l'entends me murmurer tout son amour!
« Je t'aime, Sarah! Tu es ce qui m'est arrivé de mieux dans cette vie! Je ne regretterai jamais de t'avoir connue!»
Mon âme est déchirée par cet aveu.
Je suis prise d'une violente douleur, nos corps se soudant l'un à l'autre dans l'immolation de ce grand feu dédié à notre amour si torturé.
Juste avant de périr, il me vient cette prière fervente:
«Damien, je te donne rendez-vous dans notre prochaine incarnation! Et cette fois, je te promets de t'aimer et de te chérir jusqu'à la fin de nos jours et dans toutes les autres vies qui suivront!»