Chapitre 4 Le jeu des Silences

Les jours suivants, Élise ne cessait de revoir dans sa tête cette dernière conversation avec le professeur Delaunay. Ses paroles résonnaient comme une mise en garde, mais quelque chose dans sa voix, dans son regard, l'invitait à creuser plus loin. Cette ambiguïté entre eux devenait insupportable. Elle savait qu'elle jouait avec le feu, mais quelque chose d'inexplicable la poussait à aller plus loin.

Elle décida de ne pas laisser cette tension s'installer sans agir. Le prochain cours se déroulait dans une petite salle plus intimiste, avec un groupe réduit. Cela lui donnait l'occasion d'être plus proche de lui, sans les regards curieux des autres étudiants. Elle arriva plus tôt, s'installant cette fois au premier rang, presque face à son bureau. Elle espérait que cela attirerait davantage son attention.

Lorsque Delaunay entra dans la salle, Élise sentit son cœur bondir comme à chaque fois. Il dégageait une assurance tranquille qui la troublait profondément. Mais aujourd'hui, elle n'était pas la seule à ressentir cette tension : elle remarqua une certaine hésitation dans ses gestes, comme s'il mesurait chaque pas qu'il faisait en se dirigeant vers elle.

Le cours commença dans le calme, mais la proximité immédiate d'Élise semblait le déstabiliser par moments. Ses mains, habituellement si assurées, tremblaient légèrement lorsqu'il écrivait au tableau. Élise savourait cette petite victoire intérieure, consciente du pouvoir qu'elle avait sur lui, même si elle n'osait pas encore le montrer.

Durant l'heure qui suivit, elle ne cessa de croiser son regard. Ses yeux la cherchaient malgré lui, même quand il s'efforçait de se concentrer sur sa leçon. À un moment donné, leurs regards se verrouillèrent, et cette fois, aucun des deux ne détourna les yeux. Il y avait quelque chose de plus profond, un dialogue silencieux qui dépassait les mots.

« Élise, » dit-il soudain d'une voix posée, « quelle est, selon vous, la place du désir dans la quête de la connaissance ? Pensez-vous qu'il puisse servir de moteur à l'apprentissage ? »

Sa question, à la fois inattendue et étrangement personnelle, surprit Élise. Il ne parlait plus simplement de relations professionnelles ou d'éthique. Ce qu'il évoquait désormais était bien plus subtil, bien plus intime. Élise sentit son visage s'échauffer sous le poids de ce sous-entendu.

Elle prit quelques secondes avant de répondre, essayant de calmer le tourbillon de pensées qui s'agitait en elle.

« Le désir... » commença-t-elle lentement, cherchant ses mots. « Je crois qu'il est naturel de désirer ce que l'on veut comprendre, et peut-être même que cette tension peut pousser à aller plus loin... mais cela peut aussi nous distraire, nous éloigner de l'objectif. »

Delaunay la regarda avec une intensité qui la troubla. Il sembla peser chacune de ses paroles avant de reprendre.

« C'est une réponse honnête, Élise. Le désir peut être une force, mais aussi une faiblesse. Il faut savoir jusqu'où l'on peut se laisser emporter sans perdre de vue ce qui est essentiel. »

Élise sentit qu'il ne parlait pas seulement du désir académique. Elle aurait voulu répondre quelque chose, mais les mots semblaient bloqués dans sa gorge. Le reste du cours passa dans un silence tendu, chacun tentant de réprimer ce qui bouillonnait sous la surface.

À la fin de l'heure, elle rangea ses affaires lentement, espérant qu'il la retienne encore une fois. Alors que les autres étudiants quittaient la salle, elle sentit sa présence derrière elle. Il s'approcha, cette fois plus près que d'habitude, son parfum la troublant instantanément.

« Élise, » murmura-t-il. « Vous jouez un jeu dangereux. »

Elle se retourna pour lui faire face, son cœur battant à tout rompre. Il la regardait d'une manière différente cette fois, plus direct, plus vulnérable.

« Je ne crois pas que ce soit moi qui joue, » rétorqua-t-elle doucement, un sourire en coin.

Delaunay resta silencieux un instant, puis soupira légèrement, comme s'il abandonnait une lutte intérieure. « Vous devriez être prudente. Il y a des choses que l'on ne peut pas contrôler, même en sachant qu'elles sont malvenues. »

Élise ne répondit pas, mais son regard brûlait d'une audace nouvelle. Elle se sentait puissante, sachant qu'elle avait réussi à fissurer l'armure de son professeur. Ce qu'il refusait d'admettre, elle le percevait clairement.

Il détourna les yeux un instant, la mâchoire crispée, avant de se pencher légèrement vers elle, réduisant l'espace entre leurs corps.

« Rappelez-vous une chose, » murmura-t-il d'une voix rauque, presque inaudible. « Une fois que cette ligne est franchie, il n'y a pas de retour en arrière. »

Puis, sans attendre sa réponse, il se redressa et sortit de la salle d'un pas rapide, la laissant une nouvelle fois seule avec ses pensées troublées.

Élise resta immobile un instant, le souffle court. Elle savait qu'elle était sur le point de faire un choix qui changerait tout, et cette idée l'excitait autant qu'elle l'effrayait.

            
            

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