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Le soir était tombé sur Zamar, apportant avec lui un voile de fraîcheur qui contrastait avec la chaleur étouffante des journées d'été. Isabelle, enveloppée dans une robe de soirée en soie bleu nuit, se tenait devant le miroir dans le vestibule du manoir Doumdanem, ajustant avec soin les derniers détails de sa tenue. Les perles de son collier scintillaient à la lumière des lustres, et ses cheveux étaient soigneusement coiffés en un élégant chignon.
Ce soir-là, le rituel de se préparer pour un événement mondain n'était pas un choix mais une obligation, une de ces soirées dont elle aurait préféré se passer.
Le chauffeur de la famille, impeccable en uniforme, l'attendait à l'extérieur, prêt à la conduire au Club Des Étoiles, où se tenait le gala d'entreprise annuel des Doumdanem. C'était une soirée de prestige, soigneusement orchestrée pour maintenir l'image éclatante de la famille dans le cercle social Zamarien. Isabelle se dirigea vers la voiture, son esprit déjà fatigué par l'anticipation d'une soirée qu'elle savait être aussi longue que monotone.
La soirée se déroulait dans le cadre somptueux du Club Des Étoiles, un lieu de prédilection pour l'élite Zamarienne. Le vaste hall, avec ses lustres en cristal étincelants, ses colonnes de marbre et ses miroirs dorés, respirait l'opulence et la sophistication. Les invités, vêtus de tenues de soirée impeccables, circulaient avec aisance entre les tables magnifiquement décorées, échangeant des sourires polis et des conversations feutrées. Un orchestre jouait une musique douce, ajoutant une touche de grâce à l'atmosphère déjà empreinte de raffinement.
Isabelle traversa la salle avec une grâce contrôlée, chaque pas soigneusement mesuré pour ne pas déroger aux attentes imposées par sa famille. Ses yeux balayèrent la pièce, cherchant une échappatoire à cette soirée qui lui semblait de plus en plus une torture sociale. Elle aurait préféré être n'importe où ailleurs en ce moment, mais son père, Charles Doumdanem, avait insisté pour qu'elle assiste à cette soirée. En réalité, il n'avait pas eu besoin d'insister. Charles n'avait jamais à le faire, car Isabelle savait qu'elle n'avait pas vraiment le choix. Comme toujours, son devoir envers la famille passait avant tout, même si cela signifiait sacrifier son propre bonheur.
La soirée n'était pas une simple fête. C'était un événement important pour l'entreprise familiale, une occasion de renforcer des alliances, de négocier des contrats et de montrer au monde que les Doumdanem étaient toujours une force avec laquelle il fallait compter. Pour Charles, c'était une nouvelle occasion de consolider son empire, et pour Isabelle, c'était un autre moment où elle devait jouer son rôle de fille obéissante et digne.
Elle jeta un coup d'œil autour d'elle, repérant les visages familiers des associés de son père, des magnats de l'industrie, des politiciens, et bien sûr, des membres de la haute société. Chacun de ces visages était gravé dans sa mémoire, non pas par choix, mais parce qu'elle avait été forcée de les côtoyer depuis son plus jeune âge. Leur monde était celui des apparences, des sourires calculés et des paroles mesurées. Un monde où la moindre erreur pouvait coûter cher, et où les émotions étaient considérées comme une faiblesse.
Le vide qu'elle ressentait en ce moment, alors qu'elle observait ces gens qui parlaient, riaient et buvaient, était devenu une sensation familière. Elle se sentait détachée, comme une spectatrice dans sa propre vie, observant les scènes se dérouler sans jamais vraiment y prendre part. Ce sentiment d'aliénation ne faisait que s'intensifier lorsqu'elle pensa à la raison principale de sa présence ici ce soir : Antoine Kayada.
Antoine était le fils d'un vieil ami de son père, un homme d'affaires prospère à la tête d'une entreprise multinationale. Leur engagement avait été décidé bien avant qu'Isabelle ne puisse donner son avis, une alliance stratégique plus qu'une véritable union. Charles et le père d'Antoine, Bernard Kayada, avaient vu en ce mariage une occasion de renforcer leurs entreprises respectives, de sceller un partenariat qui bénéficierait à leurs deux familles.
Isabelle n'avait jamais aimé Antoine. Elle ne l'avait jamais vraiment connu non plus. Ils avaient été présentés l'un à l'autre il y a quelques années lors d'une autre de ces soirées mondaines, et depuis, leurs rencontres avaient été rares, toujours formelles, toujours supervisées par leurs parents respectifs. Antoine était tout ce que l'on pouvait attendre d'un homme dans sa position : charmant, bien élevé, et ambitieux. Il possédait une élégance naturelle et un charisme indéniable, des qualités qui en auraient fait un parti idéal pour n'importe quelle jeune femme de son rang.
Mais pour Isabelle, Antoine n'était qu'une autre partie du décor. Son sourire parfait, ses manières polies, et son air décontracté n'éveillaient rien en elle. Leur relation, si on pouvait l'appeler ainsi, était aussi vide que les coupes de champagne abandonnées sur les tables après un toast. À chaque fois qu'ils se retrouvaient ensemble, elle avait l'impression de jouer un rôle dans une pièce de théâtre où les répliques étaient écrites à l'avance et où les émotions n'avaient pas leur place.
Antoine apparut soudain dans son champ de vision, traversant la salle avec assurance. Vêtu d'un smoking noir parfaitement taillé, il était l'incarnation de l'homme de pouvoir, l'un de ceux pour qui le succès semblait couler de source. Lorsqu'il atteignit Isabelle, il lui adressa un sourire éclatant, un sourire qu'Isabelle savait avoir été pratiqué devant un miroir pour atteindre cette perfection désarmante.
« Isabelle, tu es ravissante ce soir, » dit-il en s'inclinant légèrement pour déposer un baiser sur sa joue.
Isabelle répondit par un sourire poli, une expression qu'elle avait maîtrisée au fil des ans. « Merci, Antoine. Tu es très élégant, comme toujours. »
Leur conversation se déroula ensuite comme toutes les autres. Des mots échangés sans véritable signification, des compliments automatiques, des phrases vides qui résonnaient comme des échos dans l'esprit d'Isabelle. Antoine lui parla de son dernier voyage d'affaires à New York, des nouvelles acquisitions de son entreprise, des événements mondains auxquels il avait assisté. Tout cela était censé être passionnant, mais pour Isabelle, c'était comme écouter une émission de radio en bruit de fond, une distraction sans substance.
« J'ai entendu dire que tu vas superviser la prochaine collecte de fonds pour la fondation de ta mère, » dit Antoine après avoir terminé son récit.
« Oui, c'est prévu pour le mois prochain, » répondit Isabelle, essayant de montrer un intérêt qu'elle ne ressentait pas. « Nous espérons recueillir suffisamment de fonds pour ouvrir un nouvel hôpital pour enfants. »
Antoine acquiesça, son expression restant parfaitement neutre. « C'est un projet admirable. Tu sais, je pourrais t'aider à obtenir quelques gros donateurs. Mon père connaît plusieurs philanthropes qui seraient ravis de contribuer à une cause aussi noble. »
Isabelle se força à sourire. « Ce serait très apprécié, Antoine. Merci. »
Le silence qui suivit n'était pas particulièrement inconfortable, mais il était lourd de ce non-dit qui les avait toujours accompagnés. Ils étaient fiancés, unis par les désirs de leurs pères, mais rien dans leur relation n'était réel pour Isabelle. Chaque rencontre avec Antoine renforçait ce sentiment de vide, cette absence de passion qui la laissait insatisfaite, même si elle ne l'aurait jamais avoué à voix haute.
Antoine, bien sûr, ne semblait pas remarquer son malaise. Pour lui, tout semblait se dérouler comme prévu. Il avait été élevé pour remplir ce rôle, pour suivre les traces de son père, pour épouser la femme choisie pour lui, et pour perpétuer la lignée familiale avec la même rigueur que ses ancêtres. Le mariage avec Isabelle était un pas de plus sur ce chemin tout tracé, un arrangement qui, pour lui, ne nécessitait pas d'émotions, seulement du pragmatisme.
« Isabelle, » commença Antoine, brisant le silence, « j'ai pensé que nous pourrions organiser un petit dîner avec nos parents ce week-end. Ce serait une bonne occasion pour eux de se retrouver et de discuter des derniers détails pour le mariage. Qu'en penses-tu ? »
Isabelle hocha la tête, sachant que sa réponse n'avait pas vraiment d'importance. « Bien sûr, Antoine. Ce serait une bonne idée. Je suis certaine que nos parents seront ravis. »
Il lui sourit à nouveau, cette fois avec une lueur dans les yeux qui montrait qu'il était satisfait de sa réponse. Isabelle se demanda brièvement si Antoine se rendait compte de l'étendue de son indifférence, de ce vide qu'elle ressentait chaque fois qu'ils étaient ensemble. Mais il était plus probable qu'il ne s'en souciait pas. Après tout, leur mariage n'était pas censé être une histoire d'amour, mais plutôt une alliance stratégique, un moyen pour leurs familles de consolider leur pouvoir.
Antoine lui tendit la main, un geste galant mais mécanique. « Viens, allons rejoindre nos parents. Ils voudront sûrement discuter des plans pour le gala de la semaine prochaine. »
Isabelle prit sa main, sentant la chaleur de sa paume contre la sienne, mais cette chaleur n'éveilla rien en elle. Elle le suivit à travers la salle, traversant les groupes d'invités avec une grâce que l'on attendait d'elle, jouant son rôle sans faillir. À chaque pas, le poids de son futur se faisait plus lourd, l'entraînant dans une direction qu'elle n'avait jamais choisie.
Leur chemin les mena jusqu'à une petite alcôve où Charles Doumdanem et Bernard Kayada étaient en pleine conversation, leurs voix basses et confidentielles. Les deux hommes, bien que différents en apparence, partageaient une même ambition, un même désir de contrôler leur environnement. Leur regard se tourna vers les jeunes gens lorsqu'ils approchèrent, et un sourire de satisfaction illumina les visages des deux patriarches.
« Ah, vous voilà, » dit Charles, levant son verre en signe de bienvenue. « Nous discutions justement du gala de la semaine prochaine. Bernard a quelques idées intéressantes pour le discours d'ouverture, Antoine. »
Antoine acquiesça respectueusement. « J'aimerais beaucoup les entendre, père. »
Isabelle resta en retrait, écoutant d'une oreille distraite les échanges entre les hommes. Leurs voix résonnaient comme un murmure lointain dans son esprit, alors que ses pensées dérivaient ailleurs, vers des horizons qu'elle ne pourrait peut-être jamais atteindre. Le poids des attentes pesait lourd sur ses épaules, mais sous cette pression, une petite flamme de rébellion commençait à s'allumer, un désir de se libérer, de briser les chaînes qui la retenaient captive dans ce monde doré mais sans vie.
Elle jeta un coup d'œil à Antoine, se demandant ce qu'il penserait si elle lui révélait ses doutes, si elle lui avouait qu'elle ne ressentait rien pour lui, que leur mariage ne signifiait rien pour elle. Mais elle savait que cette révélation n'aurait probablement aucun impact. Pour Antoine, les émotions étaient une distraction, un obstacle à surmonter. Leur mariage était un contrat, un accord entre deux familles, et dans cet accord, il n'y avait pas de place pour l'amour ou la passion.
Les lumières du Club Des Étoiles brillaient avec éclat, mais pour Isabelle, elles semblaient faiblir, comme un éclat d'or terni par la poussière du temps. Le vide en elle grandissait, se transformant en un gouffre qui menaçait de l'engloutir. Mais malgré cela, elle continua à jouer son rôle, à sourire, à répondre comme on l'attendait d'elle, tout en sachant qu'une partie d'elle-même mourait un peu plus à chaque instant.
Et alors qu'elle se tenait là, aux côtés d'Antoine, entourée de l'élite Zamarienne, Isabelle se demanda combien de temps elle pourrait encore supporter cette vie, combien de temps elle pourrait encore prétendre être la fille parfaite, la fiancée parfaite, avant que le masque ne se fissure et que la vérité n'éclate enfin.
Cette soirée, comme tant d'autres avant elle, ne faisait que renforcer le vide qui régnait dans son cœur, un vide qu'Antoine Kayada, malgré tous ses attributs, ne parviendrait jamais à combler.