Chapitre 8 Tina - You Make My Dreams...

« On a night when bad dreams become a screamer

When they're messin' with a dreamer

I can laugh it in the face

Twist and shout my way out

And wrap yourself around me

'Cause I ain't the way you found me

And I'll never be the same oh yeah »

Une journée comme les autres pour une maîtresse d'école tout juste diplômée.

L'on demande souvent aux enfants ce qu'ils veulent faire quand ils seront plus grands, Tina avait déjà fait son choix à l'époque. Une vocation. Un don même, si l'on en croit certains parents d'élèves. Miss Leonis a une patience d'ange et une véritable foi en son travail et ses bienfaits. C'est si rare. Elle est en poste depuis la rentrée scolaire et c'est avec toujours le même entrain qu'elle rejoint ses petits élèves qui n'ont qu'une hâte : en apprendre toujours plus ou essayer de la faire tourner en bourrique. Sans succès jusque là. Un don vous dit-on ! Petite par la taille, grande par le cœur, la brune vit dans le quartier avec son fiancé depuis peu et elle est déjà connue des commerçants autant que du voisinage. Souriante, solaire même, la vie lui sourit alors pourquoi ne pas être heureuse ? Son regard noisette brillant d'une petite lueur espiègle, son sourire doux en attendrit plus d'un. Les vieilles commères du rez-de-chaussée en disent même que c'est une fille bien élevée, son futur mari est un sacré veinard. Cela fait rire la principale concernée qui les salue au passage pour se diriger vers l'école qui l'emploie. Elle n'a qu'une rue à traverser, c'est idéal !

Du moins ça l'était. Le pas de trop et sans s'en rendre compte sa vie bascule au sens propre, comme au figuré. Une fine déchirure entre la réalité et un autre monde absorbe la jeune maîtresse d'école pour ne la rendre à la vie terrestre que dix années plus tard. Dix années qui n'ont duré pour Tina, seulement dix minutes. Suffisantes pour changer toute son existence, ses perceptions, ses certitudes tout en lui imposant une marque indélébile en elle. Lui donner des pouvoirs uniques sur le temps et l'espace. Elle est la seule Sorcière qui en est capable. Durant ces dix minutes, Tina se retrouve perdue dans un monde apocalyptique. Une Istarios en ruine, des immeubles squelettiques qui s'écroulent sous le poids du temps, des âges. Une architecture vaguement connue mais qu'elle ne saurait décrire tant elle lui paraît absurde. Tout autant que cette végétation qui l'entoure aux motifs géométriques. Le ciel a même une couleur que la jeune Hellène ne sait décrire. Quand elle appelle à l'aide, aucun son ne sort de sa bouche. Le silence est assourdissant alors que le monde autour d'elle s'effondre dans un fracas terrible. Elle hurle, laisse parler autant l'incompréhension que la terreur. Son palpitant s'emballe jusqu'au point de rupture quand elle sent une main dans la sienne l'attirer vers une autre lumière. Puis elle se réveille.

Les murs de sa chambre ont reprit leur couleur naturelle. Il est à peine six heures du matin sur cette bonne vieille Terre. Sa poitrine est compressée par la douleur, la jeune femme reprend difficilement son souffle. Son esprit a toute les peines du monde à se dire que c'est terminé. Cela fait trois ans que Tina est revenue dans cette réalité grâce à un Sorcier du Cercle, le seul à pouvoir agir sur les Failles : Duncan. Trois ans que ce songe que personne ne sait expliquer au Temple si ce n'est le mettre sur le compte d'un traumatisme, la hante. Trois ans qu'elle se demande qui est cette ombre dans son rêve qui l'attire vers la lumière. Elle a eu tout le loisir d'y penser sans en comprendre la signification, si c'était réel ou non. Ce dont Tina est sure c'est que ce n'était pas Duncan son réel sauveur mais cette ombre à l'aura si puissante, bienveillante qu'elle n'a jamais su retrouver jusqu'à maintenant. Il lui faut de longues minutes pour reprendre pleinement pied dans ce monde, sa tête a finit de lui tourner et son cœur reprend un rythme plus ou moins normal. Lorsque la jeune Sorcière veut poser un pied sur le sol, tout son corps se détend à grand mal et elle grimace. Une journée plus comme les autres commence.

Sa vie a changé en dix ans d'absence pour ceux restés de l'autre côté de la barrière. Son fiancé a quitté la ville, il a refait sa vie depuis. Ses parents ont perdu espoir de la revoir un jour, ils se sont résignés pour s'installer en Grande-Bretagne d'où est originaire sa famille paternelle. Tina s'est retrouvée seule, toute seule en l'espace de dix minutes de cauchemar. Et puis le Cercle s'est présenté à elle, Duncan d'abord puis Alan son dirigeant. Deux frères radicalement différents lui parlant de magie, d'un monde qu'elle n'a imaginé que dans les livres pour enfant et les romans d'aventures. Lui disant qu'elle est désormais une Sorcière, un petit cadeau laissé par sa mésaventure. Autant dire que la jeune femme n'a pas spécialement bien pris la bonne nouvelle. Qui était fou dans cette affaire ? Elle ou ces deux zigotos ? Tina a bien crû perdre définitivement pied avant que Callahan n'arrive dans sa vie. Deux jeunes sorciers ne peuvent que se comprendre pas vrai ? Cette fois ce fut à Tina de comprendre et suivre les enseignements d'un autre et son nouvel ami fut le meilleur des pédagogues. Des confidents aussi. Deux âmes abîmées à leur manière qui sont faites pour s'entendre. Elle a trouvé en le Cercle et le jeune Thaumaturge, les piliers de sa nouvelle vie.

Tina ne perd plus de temps et brise le silence froid de son petit appartement en mettant la musique pour rythmer cette routine matinale qui ponctue sa nouvelle existence. Une astuce de Cal' pour garder des repères au départ et qu'elle garde depuis lors. Elle passe par le salon, pieds nus sur le parquet pour rejoindre la salle de bain sur un air de Daryl Hall & John Oates. Il y a encore quelques photos encadrées sur l'étagère envahie de livres. Des photos de famille qu'elle a préféré tout de même garder malgré l'amertume et la tristesse qu'elles lui apportent. Tina a préféré rester seule maintenant qu'elle a « changé », pour leur bien. En revanche les photos du fiancé ont disparu, rangées dans un carton. D'autres clichés plus récents la représente en compagnie de cette nouvelle et drôle de famille : Alan, Duncan, Nora... et Cal'. Le bruit de la douche couvre le petit « bip » de son téléphone portable. Un message que la Sorcière ne voit qu'au sortir de la salle de bain. Un petit gloussement pas bien discret lui échappe, elle y répond puis reprend sa routine entre le dressing et la cuisine pour déjeuner, papillonnant d'un endroit à l'autre, toujours en musique pour se mettre dans le rythme de la journée à venir. Attrapant la sacoche au vol, terminant son thé en bonne moitié de Britannique et voilà que Tina disparaît de son appartement dans un courant d'air. Comme si rien ne s'était passé.

Tina a reprit son travail d'institutrice mais pour des élèves plus particuliers que ceux qu'elle a connu par le passé. C'est dans une école privée du Cercle qu'elle enseigne désormais, dispensant les connaissances du monde des Hommes aux jeunes orphelins du Cercle qui sont de plus en plus nombreux hélas. Cela n'a pas altéré sa vocation, bien au contraire et la préserve des accès de mélancolie qui peuvent parfois avoir raison de de sa bonne humeur et de son sourire radieux à toute épreuve. Un sourire qui cache des tonnes de tourments et de questions qui restent sans réponses depuis trop longtemps.

La journée se passe au rythme des cours dispensés à ses élèves de tous âges ponctués de ci, de là de messages sur son téléphone portable qu'elle répond dès qu'elle en a la possibilité et attirent chez elle, un petit rictus niais. Cela n'a pas échappé à son assistante d'ailleurs qui ne peut s'empêcher de la taquiner sur le sujet. Et voilà ! La Chronomancienne peine à cacher les rougeur qui s'emparent de ses joues. N'y tenant plus, Tina lui dit qu'elle a un rendez-vous le soir même. Le premier depuis qu'elle est "revenue". Signe que la vie continue et son amie ne peut qu'être ravie pour elle. A y penser, elle aimerait bien avancer le temps... Ironique quand on refuse d'user les dons de la Déesse.

Il est dix sept heures, ses derniers élèves quittent la classe dans leur joie et leur bonne humeur habituelle sous l'œil bienveillant de leur maîtresse d'école. Tina est fatiguée, la tête comme une pastèque mais toujours ravie de faire ce travail. Pour une fois, elle ne traînera pas et salue son assistante avant de disparaître comme une petite souris pour vite rejoindre son appartement. Le trajet qui sépare l'école privée de son quartier n'est pas bien long, elle le fait tous les jours à pieds. Profiter du climat agréable sous ces latitudes, prendre un grand bol d'air pour laisser filer l'appréhension de son rendez-vous galant. Tina se demande même si elle n'a pas oublié comment ça marche depuis tout ce temps. Des interrogations ô combien triviales quand dans le même instant, sa vie est sur le point de basculer de nouveau. A la différence de ses aînés du Cercle, Tina ne sent pas l'anomalie du Voile qui aura précipité les frères Danekis en ville. Elle manque encore trop d'expérience, tout ce que son instinct lui donne c'est l'impression étrange d'être épiée. D'avoir une épée de Damoclés au dessus de la tête qui la pousse alors à presser le pas jusqu'à chez elle.

Les vibrations de son téléphone s'affolent dans son sac. Quand Tina s'en rend compte, elle peut voir trois appels en absence et toute une série de message provenant de Callahan.

> TINA REPONDS-MOI !

> TINA SI TU VOIS CE MESSAGE, LE VOILE S'EST ROMPU ! RESTES CHEZ TOI, JE VIENS TE CHERCHER...

> Si tu as ce message, par pitié réponds-moi.

Elle s'étonne de le voir écrire en majuscule, comme si il lui hurlait dessus avant de comprendre la teneur de ses mots. Son cœur s'emballe et elle court pour rejoindre son appartement tandis que ses doigts paniquent sur le clavier tactile.

> Je suis rentrée chez moi. Je t'attends. Que se passe t'il ?

La réponse peine à arriver. La Chronomancienne fait les cent pas dans son salon. L'impression qu'elle avait dans la rue peine à la laisser sereine. Son lien magique avec le Voile est certes faible mais présent, elle peut percevoir que ça cloche. Et pas qu'un peu ! Enfin son téléphone sonne et elle décroche, à l'autre bout du fil son ami.

- Prépares des affaires, je t'emmène au Temple. On ne traîne pas. J'arrive dans cinq minutes, je t'expliquerai en chemin.

Juste à peine le temps de répondre un « Ok » que Callahan raccroche.

Tina s'empresse donc d'obéir. Elle enfourne quelques habits dans un sac, le plus important et surtout les photos de sa commode, elle en a besoin, c'est sa routine après tout. Dehors on peut entendre les premières sirènes des voitures de police qui convergent vers différents points de la ville. Le ciel s'est soudainement assombri, comme si un orage soudain allait frapper Istarios de toutes ses forces. La pensée de la Sorcière n'est pas si éloignée de la vérité d'ailleurs. Dans le quartier, les premières Failles apparaissent pour en laisser émerger des créatures grotesques venues d'autres plans. Les cris des passants,, la terreur qui s'empare des rues lui parvient sans mal. Tina se crispe autour de ses affaires et la peur la tenaille, le sang lui bat les tempes. Elle prie la déesse que son ami soit sain et sauf. On tambourine à la porte et elle lâche un cri de surprise, c'est Cal', il est enfin là. La Chronomancienne disparaît alors en laissant derrière elle, un appartement ouvert aux quatre vents.

                         

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