Dans l'ombre de la gloire
img img Dans l'ombre de la gloire img Capítulo 4 Aller de l'avant
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Capítulo 6 Le village du mauvais sort img
Capítulo 7 Bercé par la Lune img
Capítulo 8 L'exil du damné img
Capítulo 9 Menace silencieuse img
Capítulo 10 Le baiser de Sélène img
Capítulo 11 La forteresse fantôme img
Capítulo 12 Les cicatrices du passé img
Capítulo 13 Le charnier du bout du monde img
Capítulo 14 L'assaut crépusculaire img
Capítulo 15 Le pacte img
Capítulo 16 Promesse de coeur img
Capítulo 17 Le dernier voyage img
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Capítulo 4 Aller de l'avant

Sans nouvelle aucune de l'éclaireur, l'expédition s'était établie dans ce qui ressemblait le plus à une clairière. Les plus forts abattirent quelques dizaines de troncs pour dresser une palissade sommaire aux endroits les plus critiques. Certains se trouvèrent une vocation d'ébéniste, raclant l'écorce, rabotant la chair tendre des arbres centenaires. Les copeaux grossiers alimentèrent les foyers où des commis installaient de quoi chauffer les timbales. Des odeurs d'oseille et d'ortie gagnèrent le fortin, un excellent bouillon pour accompagner les rations de viande séchée et le pain de son.

Des airs de flutiaux joyeux, rappelant des ritournelles paillardes, engaillardissaient les braves.

Dans cette saine agitation, les tours de garde furent votés et intensifiés au point qu'aucun individu ne dormirait mieux que trois heures d'affilée, exceptées Sa Majesté et Géraldine. Ils soupèrent ensemble dans la tente du prince, accompagnés des domestiques enchaînés. L'intérieur était si richement pourvu que l'on se serait imaginé dans un des salons privés du Palais Royal. Le mobilier contenu ici avait réquisitionné pas moins d'une douzaine d'épaules costaudes.

Géraldine était affalée sur un canapé fin au matelassage vermillon - à la mode antique - et soufflait quelques notes distraites dans sa traversière. Assis de l'autre côté de la table basse où gisait une diversité insolente de mets pour une opération si spartiate, Quentin de Paravie fixait la musicienne avec une tout autre sorte d'appétit ; ni les noix, ni les marinades ou les volailles farcies - qui embaumaient pourtant tout l'espace - ne parvinrent à le détourner d'elle. Les lanternes à huile brûlaient et donnaient à la toile une aura jaune semblable aux rayons de l'aube. Sur chaque pan du tissu était brodé le blason familial : un écu bleu et rouge, flanqué du glaive de Calvin et surmonté d'une moitié de Soleil levant oranger.

Le Dauphin était légèrement vêtu, d'une simple tunique en cachemire blanc et de son pantalon en lin pourpre. Il faisait danser ses pieds dans les poils de la peau d'ours brun, au rythme joué par l'artiste enchanteresse.

- Voici exactement pourquoi j'ai refusé le mariage avec la duchesse Greta de Vencolie. Je ne connais que trop bien - à mon grand regret - les us ancestraux qui entourent la cérémonie nuptiale. Je ne rate rien sinon une existence protocolaire, et un coït mensuel... Quel jeune garçon vigoureux rêverait d'une pareille servilité ? Au diable leur embargo commercial ou leur blocus maritime. C'est la tâche des diplomates que de lever cette ineptie de querelle, pas celle d'un prince.

- Et quelle est donc la vocation d'un prince, minauda Géraldine en se redressant.

- S'assurer que la lumière du Soleil ne faiblisse jamais !

Le Dauphin souleva triomphalement sa coupe de vin et singea la posture d'un maréchal, ce qui ne manqua pas d'amuser son invitée.

- Tu ris de moi, bougresse ?

- Sa Seigneurie éblouirait n'importe quel quidam sur scène.

- Rah ! Ne me compare pas à votre race de comédiens ! Je n'ai nul besoin de prétendre être quelqu'un pour exister. Le peuple a besoin de croire en ses symboles. Il a besoin d'être encadré et dirigé. Le peuple n'accepterait pas qu'on règle le différend avec Era par un moyen détourné comme le mariage. Mes parents ont appuyé cette décision. Nos pairs ont tant bavé sur Continentis durant tous ces siècles, et pour quoi ? Le Sanctuaire des Justes ? Un morceau du massif de Morne ? La Paravie ? La Transaltia ? La Longuejatte ? Toutes ces régions sans intérêt où les nôtres sont morts en vain ? Maudits soient les Empereurs Grassouillets ! Maudite soit cette branche de ma lignée ! Nous ne sommes pas des continentaux. Nous ne l'avons jamais été. Notre âme est insulaire et doit le demeurer. Cette île des Déchus nous revient de droit, le Père Fondateur y a donné sa vie et il est plus que temps qu'Auxis se tourne sagement vers sa destinée. Nous nous sommes perdus, le Soleil brillera autant ici, sinon davantage ! Qui sait si cette terre ne recèle pas un territoire plus grand encore que Continentis ? Nul n'a pu en faire le tour de son vivant, à nous de cartographier ! Avec nos futurs bateaux à roues, nous franchirons le Cap des Trépassés et nous renommerons l'intégralité des Terres Sauvages ! Et, ma foi, si nous rencontrons des Ombres, nous aurons alors de quoi habiller le dessus des âtres de nos villes à venir, ah !

Géraldine n'avait pas souvenir d'avoir déjà assisté à une telle démonstration de hardiesse de la part du jeune monarque. Elle crut presque avoir été projetée dans l'ancien temps des chevaliers. L'effet de son discours fut certain, car par-delà une innocence inhérente à son âge, le Dauphin avait établi plusieurs vérités concernant l'histoire d'Auxis, et elle le rejoignait sur l'idée que des insulaires comme eux n'avaient pas le caractère adéquat pour envahir un continent. Il démontrait également d'une véritable rupture avec la tradition aristocratique universelle qui voulait qu'on se fît la guerre et que l'on se rabiboche au banquet à compter les pertes et les profits. Quentin de Paravie n'avait pas la moindre attirance pour ces intrigues politiques, encore moins pour de stériles conflits aux intérêts discutables et éphémères.

L'érudite des Lettres Mathilde Chastang avait couché dans un écrit que « les guerres injustes et inutiles appellent au moins autant de causes aux suivantes qu'il y a eu de gens lésés dans la première ; et ainsi de suite pour constituer un inextricable cercle de haines réciproques ». Voulait-il briser cette boucle infâme ? Etait-il investi de si pieuses ambitions ?

A la périphérie du campement, au-delà de la lueur des torches qui en délimitaient le contour, les soldats - bien que fatigués - vaquaient à leur mission. L'heure avançait et la pénombre se faisait presque totale, si bien que les fougères et autres arbustes établissaient comme un voile opaque sur ce qui pouvait se tramer dans les bois. Une certaine tension agitait l'ensemble des sentinelles. L'inexpérience, songeait gravement Ferdinand Ocrepied en craquant machinalement du petit bois au-dessus des flammèches de son feu.

Eux, contrairement à lui, n'avaient connu que les cours de l'école et ses exercices millimétrés. Ils n'avaient pas eu à réagir face au canon de l'adversaire, encore moins à éviter une charge à la baïonnette. Leurs uniformes mêmes sortaient des ateliers de tissage mécanisés, ils n'avaient pas éprouvé la boue et le sang.

Tandis que Roland, son fidèle bras droit, jaugeait les alentours, lui ne pouvait s'empêcher de détailler ses effectifs. Leur tenue de corps n'était pas parfaite, leur synchronisation dissonnait, les fusils avaient tendance à glisser de leurs épaules chétives. Pire, ils étaient épuisés. Epuisés par les légendes qu'ils écoutaient, petits, sur ces contrées non-civilisées.

Il caressa machinalement ses favoris poivre et sel, et se remémora sa propre carrière...

            
            

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