Dans l'ombre de la gloire
img img Dans l'ombre de la gloire img Capítulo 3 Le spleen du soldat
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Capítulo 6 Le village du mauvais sort img
Capítulo 7 Bercé par la Lune img
Capítulo 8 L'exil du damné img
Capítulo 9 Menace silencieuse img
Capítulo 10 Le baiser de Sélène img
Capítulo 11 La forteresse fantôme img
Capítulo 12 Les cicatrices du passé img
Capítulo 13 Le charnier du bout du monde img
Capítulo 14 L'assaut crépusculaire img
Capítulo 15 Le pacte img
Capítulo 16 Promesse de coeur img
Capítulo 17 Le dernier voyage img
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Capítulo 3 Le spleen du soldat

Alors que la Lune grimpait inexorablement dans un ciel de plus en plus menaçant, et malgré leurs efforts, la citadelle n'était toujours pas en vue. Maître Ferdinand commença à s'inquiéter de la situation, refusant catégoriquement que l'on bivouaque en pleine nature sauvage, mais les éléments le poussèrent à s'y résoudre. Il s'adressa au plus véloce des deux maraudeurs, Wilhem, et le chargea d'une mission prioritaire : partir en éclaireur avec la carte. Il était rompu aux terrains escarpés et son accoutrement était désigné à cet effet.

Une veste et une unique besace accrochée à sa ceinture, idéal pour crapahuter des heures dans la végétation. Il reçut la demande de Ferdinand avec honneur et lui confia sa calotte avant de détaler tel un lièvre dans les bosquets.

Le capitaine siffla pour interrompre le défilé et autoriser les effectifs à relâcher leur posture. Une vague de soulagement parcourut l'assemblée à mesure que les gibernes étaient déposées à même le sol. « Bien, ce sera donc l'occasion de poursuivre ton récit dans le calme, Géraldine, s'amusa le Dauphin sans se renseigner. »

Il décida de rester debout pour inspirer le courage à la troupe, mais les soldats ne lui portaient guère d'attention en ce moment de repos. Encore moins ceux chargés d'aider ses serviteurs à monter sa tente.

Willhem traversait les fourrés sans peine, ses pistolets à platine en main, sautant par-dessus les amas racineux sans jamais interrompre sa course. Plus il s'enfonçait dans les terres et plus le biome évoluait en une forêt feuillue, le sable laissant finalement place à une terre grasse plus agréable aux articulations. Au bout de presque trois heures, l'astre blanc dans la nuit perça à travers la canopée et attira l'attention de l'éclaireur.

Il aperçut distinctement le crénelage des remparts ouest de la citadelle. Mais sa distraction lui coûta son équilibre alors qu'il trébuchait sur une irrégularité de terrain. Il se tint le genou pour calmer la douleur du choc puis regarda ce qui l'avait fait chuter ; un objet scintillant aux trois-quarts enfoncés dans le sol. Il s'en approcha, accroupi, passa sa main sur le métal glacé. La poussière retirée, la forme du métal suggérait les contours d'un heaume cabossé. Le maraudeur tira dessus pour l'extirper de sa prison mais il fit face à une farouche opposition. En prenant appui de part et d'autre de l'objet avec ses pieds, il décupla sa force de tirage et parvint à l'arracher dans un craquement lugubre. De nouveau projeté sur son séant, le militaire se rétablit debout et leva à lui le casque. Le haut d'un crâne était logé à l'intérieur, solidaire de l'alliage par l'aide d'une flèche qui l'avait traversé de part en part, du lobe droit à l'occiput. La lueur de la pleine Lune éclaira alors les environs : des centaines de pièces d'armure brillèrent comme autant d'étoiles dans le ciel.

Ici reposait un charnier.

« Epuisé d'avoir imploré les Cieux, il plie

Mais dans sa chute emporte les fils de Sélène,

Il repose sur la terre et en ces mots dit :

"De ma mort, pitié, n'éprouvez aucune peine."

Ainsi les preux sauveurs s'en retournèrent chez eux,

Portant par-dessus leurs dos l'aimé souverain.

Mille feux furent allumés pour porter les vœux

Des valeureux Hommes vainqueurs de ces vauriens. »

Le Dauphin applaudit lentement d'une main contre sa cuisse alors qu'il se débattait avec une coquille de pistache. Un serviteur - entravé aux bras et aux pieds par des fers - lui versa une coupelle de vin rouge qu'il but d'une traite après avoir jeté l'odieux fruit sec dans un recoin de la tente royale. Il indiqua au malheureux d'en préparer une pour la rhapsode qui ne se fit pas prier de boire quelque chose.

- Vous voyez, c'est tout l'intérêt de la tradition. Cela vous revigore et vous enchante. Je déplacerais des montagnes. Ajoutez-y des tambours, des cuivres et un chœur, et me voilà parti en campagne ! Ah ! Mais dis-moi, Géraldine... Combien d'odes sais-tu ?

- Autant que n'importe quel apprenant de la Dramaturgie Aulongine, Monseigneur. Autant qu'en comptent les registres poétiques de notre bibliothèque. Je ne saurais quantifier précisément.

- J'adore la compagnie des artistes. Si charmants et ignorants à la fois... Tu peux garder un peu de salive pour plus tard, j'ai le sentiment que nous allons marcher encore un moment.

- Comme il siéra à Monseigneur, fit-elle avec déférence avant de s'éloigner tranquillement.

Géraldine s'éloigna d'un pas leste, d'une démarche volontairement aguicheuse, exagérant chaque remontée de hanche. Sa chevelure auburn, libérée de son foulard, lui tombait jusqu'au creux des reins et virevoltait au gré de ses pas. Elle tourna légèrement sa tête et vit dans le coin de son œil droit que le Dauphin avait largement succombé à ses atours charmeurs. C'est chose faite, songea-t-elle, consciente qu'entrer dans les bonnes grâces de la pupille auxienne lui assurerait un poste à la cour, ou du moins une situation confortablement indolente. Il n'y avait aucune honte de jouer avec les charmes dont on était doté, la société était pire qu'une jungle depuis le départ de la nouvelle décennie ; tout était bon pour s'élever du marasme du Tiers-Etat.

La révolution industrielle que connaissait la nation remettait lourdement en cause la féodalité que chérissait tant la lignée royale ; et les crispations entre la noblesse et les peuples ouvrier et agricole s'aggravaient à mesure que leur île ne parvenait plus à fournir suffisamment de rendement pour chacun.

- C'est fadaise que d'être ici, je te le dis mon bon Roland. Cette passion soudaine pour cette île de merde n'augure rien d'agréable, expliqua doucement Ferdinand Ocrepied à son fidèle maraudeur en grattant les brindilles avec son talon. Je ne comprends guère plus la stratégie du couple royal. Nous devrions être sur Continentis, pas ici.

- Aye-aye. Les temps sont mauvais, pour sûr.

- Tout ça pour un caprice de gosse. Une noce avec l'héritière Eréenne aurait pourtant créé quelque opportunité pour nous autres. Qu'elle est loin la splendeur d'antan... Tout ce sang versé pour des colonies perdues...

- Serais-tu devenu nostalgique de l'Empire, mon bon capitaine ?

- La courte marche dans les faubourgs de l'arsenal de Luens a suffi de me dégoûter. Nous vivons comme des rats en fond de cale.

- Toi qui navigues, n'as-tu jamais songé à déguerpir ? Auxis est si petite alors que Continentis est si vaste. Non pas que j'y pense moi-même, pardi, mais avec ta position et la confiance que l'on t'accorde...

- Le corps peut fuir mais l'esprit demeure entravé à jamais à nos actions. Partir seul pour mon bon plaisir me tuerait. Je passerais mes journées à revoir les visages de tous ces miséreux que j'aurais lâchement abandonnés.

- Tu as le cœur généreux, capitaine. Pas étonnant que tu sois aimé de nous.

Ferdinand tapota fermement l'épaule de son maraudeur en esquissant une moue contrite.

Il avait raison, certes, mais la compassion ne lui semblait plus réellement être une qualité en ce bas monde.

            
            

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