Les Mags de Jelen
img img Les Mags de Jelen img Capítulo 3 Le fils enseigne au père
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Capítulo 6 Lisy img
Capítulo 7 Ce que le pilier renferme img
Capítulo 8 L'annonce fatidique img
Capítulo 9 La répartition img
Capítulo 10 L'ombre veut l'Asalrri img
Capítulo 11 Descente aux enfers img
Capítulo 12 Régression zone trois img
Capítulo 13 Voeux des purs img
Capítulo 14 Fin de convalescence img
Capítulo 15 Régression zone deux img
Capítulo 16 La réfugiée img
Capítulo 17 La requête img
Capítulo 18 Hugh img
Capítulo 19 Régression zone une img
Capítulo 20 La voix résonnante img
Capítulo 21 Régression hors zone img
Capítulo 22 La rage Norso img
Capítulo 23 Retrouvailles img
Capítulo 24 Le Vrai Monde img
Capítulo 25 Les murmures de Lisy img
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Capítulo 3 Le fils enseigne au père

Le dos courbé de Jelen était terriblement aride.

Comme Amar accusait de la chaleur, il se réconfortait en se répétant que l'eau pesait moins lourd que la nourriture, et que la faim le tiraillait moins souvent que dans le froid de l'hiver.

Aussi il redécouvrit les paysages purs et abandonnés. Les montagnes blanches du nord étaient maintenant aussi noires que les chevaux d'attelage. Apparaissaient plus ciselées, menaçantes. L'horizon clair étendait considérablement le champ de vision et donnait l'impression d'un trajet plus court.

La végétation obstinée sortait de terre pour être aussitôt brûlée ; elle délimitait le sillon sec des cours d'eau que suivait Amar. Le désert offrait clémence à l'explorateur persévérant ; la terre humide par endroit permettait de calmer les chevaux, un répit pour leurs sabots enflammés. De la joie aussi, lorsque l'ombre des hautes dunes autorisait la remontée craintive de la nappe phréatique ; son faible écoulement allégeait le poids du silence et du labeur. Amar en profitait pour s'y reposer et laisser les animaux étancher leur soif.

- Tu n'aurais pas dû revenir, grogna une voix.

Amar ouvrit les yeux, battit des paupières. Il lui semblait avoir dormi des heures. Son coeur s'était emballé trois fois : quand il entendit cette voix surprenante ; quand il reconnut le monstre bleu de la dernière fois ; quand il s'aperçut que les chevaux et l'attelage n'étaient plus là.

Amar se leva précipitamment. Sonda l'horizon.

- Ils se sont enfuis dès qu'ils m'ont vu, dit la grande créature bleue en se postant à sa hauteur. Il va falloir que tu suives leurs traces avant qu'elles ne disparaissent.

- Je suis venu pour explorer, dit Amar. Te rencontrer pour te remercier...

- Cette peine pourrait t'être fatale.

Le monstre bleu lui faisait de l'ombre, avait des membres trois fois plus massifs que lui. Ses yeux jaunes lui conféraient un regard félin, accentué par sa queue agitée. Sa barbe et ses longs cheveux blancs étaient noués par des bandes rouges. Il avait des accessoires argentés sur ses poignets et ses chevilles. Un drapé tribal fixé à ses hanches retombait devant ses jambes. Une lance dans la main, il n'était pas difficile d'imaginer que c'était un guerrier.

- Comment t'appelles-tu ? dit Amar.

- Kimra, de la tribu Norso, fit-il à voix basse.

Comme il n'arrêtait pas de se retourner en épiant les alentours, Amar s'enquit de la raison.

- Tu as beaucoup de chance de ne pas être tombé sur un autre éclaireur de ma tribu. Il ne t'aurait pas laissé le temps de lui parler.

- Pourquoi ne connaît-on pas votre existence ? Où vivez-vous ?

- Les Norsos vivent à la pointe nord. Mon rôle est de repousser toute menace s'approchant de la tribu. Je préfère convaincre, effrayer, au lieu de tuer. Cela ne me rend pas très populaire auprès de mes semblables mais, ma foi, je suis fier d'être distingué de la sorte. J'avertis aussi les miens quand survient la charge des démons.

- Moi aussi ! enchaîna Amar. J'habite au plus près du puits, je préviens ma famille puis les autres villages à notre passage. Ensuite, nous nous réunissons dans la grande Cité du sud...

Kimra dressa ses oreilles, en courba une vers l'arrière.

- Il faut que tu partes maintenant ! le coupa-t-il avec urgence.

Ses crocs étaient aussi convaincants que sa voix. Amar chercha à cerner le problème. Il avait tant de questions à poser. Aimerait en apprendre davantage sur Kimra et sa tribu.

Une tempête de sable s'approchait. D'autres éclaireurs. Kimra bouscula Amar pour le tirer de sa léthargie.

- Si tu as vu les cadavres sur ton chemin, ne jette plus l'opprobre sur le désert. C'est leur oeuvre, leur façon de protéger la tribu. Enfuis-toi avant que ton sort ne soit scellé !

Amar courut à vive allure, disparut derrière les dunes arrondies.

- Ne reviens pas si tu tiens à ta vie ! avertit Kimra.

Trois éclaireurs arrivèrent à la hauteur de Kimra, le souffle intense et rauque. Au vu de leurs yeux exorbités, ils cherchaient désespérément une occasion de combattre. Connaissant Kimra, ils furent très déçus - mais pas surpris - lorsqu'il était question d'animaux qu'il avait fait fuir.

Amar travaillait très dur au champ familial. C'était en quelque sorte une monnaie d'échange pour repartir en expédition l'été suivant. Là-bas, la solitude ne le dérangeait pas ; il avait l'impression de tenir les rênes de sa vie. Il aimait ses parents mais il savait qu'un jour - bientôt - il partirait. Il avait besoin de plus. Un besoin latent, confirmé par ce rêve qu'il faisait exclusivement en voyage : s'installer à la Cité et y charmer les plus belles filles.

Il ne se rappelait même plus de l'avertissement de Kimra ; il lui tardait juste de le revoir, découvrir sa tribu et sa façon de vivre. Le temps transmutait les jours de voyage laborieux en un souvenir enthousiasmant.

Son père lui demanda un jour de le conduire au puits de l'enfer. Étonnant, au vu de sa crainte de l'inconnu : rien que le pilier proche de leur vaste domaine ne lui avait jamais inspiré confiance ; érigé à l'aube de leur civilisation, sa fonction tombée dans l'oubli, il s'élevait haut et triste. En somme, le père d'Amar considérait que tout - au nord de ce pilier - était terre inhumaine.

Il voulait simplement comprendre son fils, sa fascination pour l'exploration et le danger.

Il avait fallu s'y prendre à plusieurs reprises. La première fois, son père se sentit mal, comme déboussolé par le karma négatif émanant de la forêt. La deuxième fois, il réussit à atteindre le puits cerclé d'arbres décrépis et malsainement penchés vers l'extérieur. Il avançait jambes vacillantes dans ce tableau inquiétant, une main sur l'épaule solide de ce fils devenu plus grand que lui. Regarde à l'intérieur, lui soufflait Amar. La terre est fermée en profondeur, il n'y a rien qu'ombre.

Son père n'eut la force de jeter un oeil. Il se retourna et vomit en accusant l'immondice infiltrée sous ses pieds.

J'ai vu un de ces démons de mes propres yeux, raconta le père d'Amar, un jour bien avant ta naissance. Nous partions d'habitude des semaines en avance, mais ce jour là... En essayant de le décrire, Amar comprit mieux la fébrilité et les hauts-le-coeur de son père. Il s'agissait d'une bête aux proportions incohérentes dont on pouvait chercher longtemps l'emplacement du visage, et qui hantait à jamais une fois débusqué. Si les soldats de la Cité étaient arrivés une poignée de minutes plus tard, Amar ne serait pas de ce monde.

Pour la troisième incursion ils restèrent en retrait derrière un rideau d'herbes rampantes accroché sur des arbres solides et droits, comme les produisait la nature. Amar donnait quelque conseils pour reconnaître le moment du phénomène tragique. Son père n'était pas dupe, il savait que son fils allait quitter le foyer un jour prochain et qu'il le formait pour qu'il ne soit jamais pris au dépourvu.

Depuis une centaine d'année, le rendez-vous morbide se tenait l'hiver, tous les cinq ans ; à la seconde près si l'on en croyait les plus sérieuses études scientifiques. Une précision de fine horloge. Aucune étude n'expliquait cependant pourquoi l'hiver était la saison sur laquelle pesait le poids de ce sombre événement. Permettant les monstres rampants de se cacher sous la neige, les volants de se déplacer dans le bruit du blizzard, et les géants d'attendre leur proie en s'improvisant montagne de marbre.

Amar tendit une coupelle sous le nez de son père. L'odeur était repoussante ; il avait mis du temps à créer un substitut fidèle à l'originale. Ce mélange de céréales avariées et de corps d'insectes en décomposition semblait le satisfaire. Il força son père à sentir encore et encore pour qu'il l'assimile comme un danger ; il devait être capable de repérer cette odeur de loin, parmi d'autres.

Aussi il lui désigna la racine de l'arbre auquel ils s'étaient adossés. Ce n'est pas sa racine, répéta Amar. Elle provenait du puits. D'une profondeur inconnue et rattachée à on ne sait quel tronc de malheur, elle sortait noire à l'air libre, prolongeant son emprise sur la surface sur une vingtaine de mètres, au bout de quoi elle se confondait parfaitement avec le bois clair des arbres sains.

Amar y avait posé une pierre blanche avant la précédente fissure, un peu au hasard, en se demandant si elle deviendrait noire ou contaminée de quelque façon. Ce ne fut pas le cas. Cependant, des vibrations invisibles à l'oeil nu l'avaient faite tomber. Et cela s'était produit quelques secondes avant la signature olfactive. C'était donc un nouvel élément fiable sur la dilatation forcée des entrailles de Jelen. C'est à ce moment qu'il fallait partir et protéger sa famille, pas plus tard.

Cette fois où ses parents n'étaient parti à temps - un moment d'inexplicable inconscience - ils avaient entendu claironner la forêt, un clairon décomplexé, dévoilant dans un air de triomphe la cache de l'enfer. Un signe de plus, un signe de perdition, car le fameux démon croisé ce jour là n'avait eu aucun mal à les rattraper.

Un matin, l'intuition d'Amar rendait différent son regard ; son père sut tout de suite que le jour était venu. Il ressentit une certaine fierté lorsqu'il retrouva, sans l'aide de son fils, la fameuse parcelle souillée de la forêt, qu'il scruta la pierre blanche jusqu'à sa chute, et qu'il reconnut l'odeur immonde. Partager cette expérience avec Amar lui procura un sentiment unique, exalté par leur course folle à travers les bois, où femme et mère les voyait sourire au vent.

Amar avait quartier libre dans la Cité dont il arpentait les rues avec autant de facilité qu'un résident. Les visages qu'il croisait à chaque tournant étaient presque devenus familiers. Contrairement à ses parents, il portait beaucoup d'attention aux gens autour de lui. Les observait pour se projeter sur sa future condition de vie. Il aimait la terre, les champs, les territoires sauvages, mais l'effervescence de la Cité opérait sur lui un effet incomparable. Il s'y sentait bien, son coeur s'évertuait à le convaincre de rester, s'installer maintenant, comme si l'épanouissement personnifié déambulait à son flanc.

Ses yeux se posaient plus longuement sur la gent féminine. Et malgré son manque d'expérience, il n'hésitait pas à aborder les plus charmantes d'entre elles. Il pouvait passer la journée entière à parler aux bras de plusieurs filles, sondant l'âme à travers le verbe. Il savait qu'il paraissait volage et désireux d'être au centre des regards. Il assumait complètement cette confiance débordante acquise au fil des ans, qui se trouvait être le socle d'un charisme certain.

L'an prochain, il aurait dix-huit ans, ce serait un adulte. Le parfum de liberté exacerbait son caractère. Dès que l'alerte serait finie, il rentrerait avec ses parents, préparerait une nouvelle expédition vers le nord, puis il les remercierait pour tout, et ferait le nécessaire pour mener sa vie rêvée à la Cité.

D'ailleurs, Amar soupçonnait ses parents de lui offrir quelque chose de spécial pour cet anniversaire. Ils avaient amené avec eux des plants d'herbes d'or, fait assez rare pour le signifier. Amar pensait que leur troc pourrait permettre un achat onéreux. Il pensait à diriger leur attention sur ces deux-roues qui ont la vertu de lui arrondir les yeux. Ça lui changerait de l'attelage, et plus besoin de s'occuper des animaux !

Fidèle servante de la déception, son imagination devait cesser de titiller ses envies. Son arrêt brutal fit penser à Amar que ses parents étaient peut-être simplement en difficulté financière et que les plants serviraient à les remettre à flots.

Amar se recentra. Se laissa porter par des pensées plus douces, avec un dilemme en phase avec son âge. Faire l'amour à dix sept ans ou à vingt deux ans ? Il revenait tous les cinq ans par la force des choses ; il avait tissé des connaissances. Il fantasmait sur certaines filles. Il savait qu'il plaisait. Il était difficile et absurde d'attendre cinq ans de plus. Mais avec qui ? Amar déambula dans les rues en guise de recherche, en souhaitant égoïstement que les combats contre les démons se prolongent des jours et des jours.

            
            

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