Assimba savait qu'elle ne rêvait pas. Cette chaleur, cette horrible chaleur était bien réelle, et si familière.
Elle savait d'avance où elle était, et ce qui se trouvait autour d'elle. Il ne fallait pas regarder l'effroyable regard de cette chose qui lui causait tous ces tourments.
Son pire cauchemar était là, tapi quelque part, attendant sournoisement le moment propice pour l'obliger à faire face à l'horreur de ces lieux. Tous ces cris de damnés, cette chaleur qui n'en finissait pas, cette souffrance... ELLE qui allait apparaître et lui infliger des pires tortures... Non. Il ne fallait pas regarder... Un frisson la parcourut quand elle repensa à cette voix désincarnée sortie des profondeurs de l'enfer pour la tourmenter.
L'intensité de l'eau augmenta, elle se mit à suffoquer et à tousser pour retrouver sa respiration. Le silence inquiétant qui précédait son arrivée à chaque fois, l'alerta. La chose était là!
Son aura maléfique la submergea, l'empêchant de reprendre son souffle; et malgré ses yeux clos, Assimba devina chaque trait de ce visage qui la hantait jour et nuit. Un visage inhumain, démoniaque!
Elle entendit un bruit étouffé, puis quelque chose frôla sa nuque, lui arrachant un cri déchirant qui la força à ouvrir les yeux.
L'épouvante était bel et bien là, face à elle, totalement recouverte de haillons.
Assimba essaya vainement de se débattre, mais ne put échapper à la poigne de la chose qui la saisit par le bras, elle la tira de l'eau bouillante et la jeta violemment dans le bûcher juste à côté qui monta en intensité. À présent prisonnière du brasier, elle avait l'impression d'avoir une coulée de lave dans les veines, comme si elle ne faisait plus qu'un avec le feu qui la consumait. La douleur lui arrachait des hurlements à fendre l'âme. Elle sentait son corps se consumer dans les flammes.
- Alors, on a encore été une vilaine fille ? fit la chose au timbre inhumain.
Elle savait que c'était inutile de se débattre, cette chose avait le pouvoir de faire d'elle tout ce qu'elle voulait, en lui infligeant les tortures inimaginables. C'était son monde!
- Une vie, pour une vie... ne cessait-elle de répéter depuis des années qu'elle hantait ses rêves.
La chose approcha sa main vers la bouche d'Assimba, à son contact froid, celle-ci poussa un cri tellement aiguë qu'elle en eu mal à la gorge et se mit à tousser et cracher en même temps. Les larmes lui brouillèrent la vue, floutant la présence devant elle.
- Assimba...Assimba s'il te plaît ouvre les yeux mon enfant... S'il te plaît...
Cette voix n'était plus la voix horrible qui hantait ses nuits, mais celle de son père.
- Tu ne pourras jamais m'échapper, jamais... cracha la chose.
- Non !... Non...
- Ouvre les yeux s'il te plaît, je t'en prie ouvre les yeux...
La voix de son père était à présent larmoyante, des larmes de tristesse qu'elle connaissait bien, qui venait de l'autre monde, un monde moins douloureux, mais rempli de tristesse.
- Papa... Papa s'il te plaît aide moi...
Elle voulait s'en sortir, fuir ces lieux, et malgré la douleur, elle essaya de se concentrer. Après ce qui lui parut une éternité de douleurs et de souffrances, la voix de la sœur Faustine lui parut plus distincte dans sa tête : Ferme les yeux et dis-toi que tu appartiens à notre Seigneur mort sur la croix pour nos péchés! Il est mort pour nous sauver, pour empêcher le diable de triompher. Alors crois en lui, invoque-le et il éloignera de toi tout esprit mauvais!
- Seigneur, aide-moi, cria-t-elle de toutes ses forces en fermant les yeux...
Elle sombra dans les ténèbres.
***
Assimba mit quelques secondes à s'habituer à la lumière du plafond, elle reconnut petit à petit sa chambre. Puis la stupéfaction et l'inquiétude dans les yeux de ses parents, finirent par la réveiller. Elle se rappela soudain que c'était la première fois qu'elle avait ses cauchemars devant eux.
Et merde!
Ils n'étaient pas dupes, il fallait s'expliquer, elle allait devoir leur dire la vérité.
- Assimba ! s'écria son père en se jetant à genoux près de son lit... Ma fille, ma petite fille...
Sa famille n'était pas vraiment chrétienne, ils n'avaient pas la même conception que les religieuses qui l'avaient vu grandir, alors, comment leur expliquer cela sans donner l'impression d'avoir pété un câble? D'ailleurs, quiconque avait un semblant de logique trouverait cela incroyable.
- Tu étais toute brûlante, la fumée sortait de ton corps... Comment cela est possible! s'écria son frère aîné.
- Dis-nous ce qui se passe, s'il te plaît, supplia la voix larmoyante de sa mère.
Assimba tourna la tête vers celle-ci, elle était blême, comme si elle se demandait si ce qu'elle avait vu était bien réel. Assimba se redressa de son lit malgré les protestations. Elle était fatiguée pas seulement à cause de son rêve, mais aussi parce qu'elle se rendait compte que toutes ces cachoteries l'avaient épuisée.
Elle respira profondément, cherchant les mots exacts. La peur avait disparu de leurs yeux, remplacée par l'incompréhension. Alors d'une voix traînante, elle commença son récit. Le récit de cette vie d'elle qu'ils ne connaissaient pas, qu'ils ne soupçonnaient même pas. Elle leur parla de ses rêves qui la transportaient en enfer, bien sûr ils croyaient tous que ce n'étaient que de simples rêves, mais quand elle leur dit que non, que dans ceux-ci elle se retrouvait attachée sur un bûcher, et qu'une apparition monstrueuse la reclamait comme dû.
- Je ne sais pas comment vous l'expliquer, cela avait commencé quand j'avais treize ans. Je ne sais pas si tu te souviens, c'était durant les grandes vacances, je m'étais réveillée avec des brûlures sur le corps, et je vous avais dit que c'était de l'eau chaude qui s'était versé sur moi...
- Oui, je me souviens de cet incident, fit sa mère. Je ne comprends pas où tu veux en venir ma chérie.
- C'était faux maman, cette fameuse nuit, j'avais rêvé qu'une femme essayait de me noyer dans de l'eau bouillante, pour me jeter ensuite dans un bûcher, et le lendemain, j'avais des marques de brûlure sur tout mon corps. Et depuis, je fais des cauchemars, je me retrouve dans de l'eau, où cette femme fait son possible pour me noyer. C'est... C'est si horrible !
Assimba se mit à pleurer. La dernière fois qu'elle avait pleuré devant eux, c'était quand les enfants du voisinage l'avaient traitée de sorcière, parce que selon, leurs parents, les personnes invalides étaient des sorciers qu'il ne fallait pas surtout pas approcher. Après lui avoir dit cela, ils étaient partis en courant, en lui criant qu'elle faisait semblant de ne pas marcher en journée, alors que la nuit elle voyageait mystiquement à la recherche des sacrifices à faire. Ses parents l'avaient retrouvé par terre, simplement parce qu'elle voulait leur prouver qu'elle n'était pas sorcière, et qu'elle pouvait marcher comme son père avait l'habitude de lui dire. Mais rien.
Toute émue, sa mère se leva et vint la prendre dans ses bras, elle s'en voulait de n'avoir pas fait plus attention. C'était sa fille ! Elle aurait dû plus insister! Ses larmes rejoignirent celles d'Assimba.
- Pourquoi tu ne nous as rien dit ? Nous sommes une famille! Et ce qui arrive à l'un, nous concerne tous.
Le reproche dans la voix de son père, n'échappa pas à Assimba. Mais comment leur dire que c'était trop dur à avouer ? Allaient-ils la croire, ou confirmer ce que les enfants de leurs voisins lui avaient dit une dizaine d'années plus tôt, qu'elle était une sorcière? Elle continua tout de même son histoire, à la fin, elle remarqua le regard que ses parents échangèrent.
- Vous savez quelque chose que j'ignore ? demanda-t-elle à ses parents.
- J'avais fait un premier rêve, répondit son père tout blême, quand ta mère était enceinte de toi, j'avais aussi rêvé d'une femme qui essayait de la noyer en te réclamant comme son dû. Elle voulait t'arracher du ventre de ta mère et partir avec toi dans un brasier intense. Mais quelque chose l'en empêcha, des yeux verts. Puis quelques jours avant ton accident, elle était revenue, cette fois-ci plus forte et puissante. Je l'avais vue te poursuivre en pleine forêt, puis te pousser dans une mer enflammée. Mais, cette fois-ci, le même regard vert apparu, cette fois, il n'était plus seul, cinq ombres se trouvaient tout autour de toi et te recouvraient, l'empêchant de te faire du mal. Et depuis, je n'ai plus jamais eu de rêves te concernant.
La voix de son père se brisa sous le coup de l'émotion, elle se sentit coupable de ne pas avoir été honnête avec eux, ils avaient raison, ils étaient une famille et se devaient de tout partager.
Une colère gronda en elle, non contre ses parents ou elle-même, juste contre la vie. Elle en avait assez que son monde ne soit que tristesse, elle ne voulait plus voir ses parents pleurer à cause d'elle.
Un détail lui revint cependant. Son père avait parlé de mystérieux yeux verts, et combien de chance que cela ne soit qu'une coïncidence? Elle en doutait fortement. Ils étaient apparus au moment où elle avait souhaité être heureuse, et juste après elle avait eu sa crise de cauchemars. Les seuls capables de lui répondre n'étaient autre que les religieuses, ainsi que le père Daniel, le curé de la paroisse de Zoétélé.
Si au début ils n'avaient pas compris pourquoi Assimba voulait à tout prix passer le clair de son temps là-bas, ils avaient enfin les raisons de ce choix: elle voulait leur épargner ce spectacle. Comment pouvaient-ils se pardonner? Pendant des années elle avait lutté contre des forces qui dépassaient l'entendement et ils n'avaient même pas soupçonner cela!
Quand ils lui demandèrent ce qu'ils faisaient quand tout redevenait calme, elle répondit qu'ils priaient. Alors sous ses yeux ébahis, ils se mirent à genoux autour de son lit, et se mirent à prier. Elle les laissa faire, de toutes façons, quelles genres de prières pouvaient-ils adresser à Dieu que les soeurs, ainsi que le père Daniel n'avaient fait? Et cela n'avait pas empêché les cauchemars de continuer et de redoubler d'intensité! Oui, elle était devenue sceptique, et il y avait de quoi. Quand elle repensait à ce que lui avait dit son père, elle avait l'impression d'être au milieu de quelque chose qui avait commencé bien avant sa naissance. Un plan minutieusement conçu pour qu'elle se retrouve en enfer!
Mais pourquoi ? Qu'avait-elle pu faire à Dieu ou à ce démon? Était-ce les fautes de sa famille qu'elle devait payer? Pourquoi elle!
Il fallait qu'elle aille à Zoétélé, conclut-elle en se rendant compte que la prière venait de s'achever. Elle eut juste le temps de faire le signe de croix que son père se racla la gorge, signe qu'il avait quelque chose de grave à dire.
- J'ai réfléchi, et je crois que le mieux serait de partir faire un séjour chez les sœurs, elles te diront ce qu'il faut faire, ici, on ne peut rien faire sauf prier avec toi, mais elles sont plus qualifiées. Si tu veux et si elles sont d'accord, on programme le voyage pour demain ou après-demain, j'irai avec toi, je dois impérativement parler à la soeur Faustine!
Rien qu'à l'idée de laisser son père avoir un entretien avec la soeur Faustine, elle eut des frissons; elle allait en baver après le départ de son père surtout que la soeur Faustine croyait vraiment que ses parents étaient au courant de tout.
- Tiens, il ne pleut plus, remarqua son frère aîné.