French touch
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Chapitre 5 No.5

Chapitre 2

Le 4 septembre

Vers neuf heures trente, Roussel lit la presse dans un bar, à proximité de la morgue de la médecine légale dans une ville proche de la banlieue parisienne, située entre le tertiaire CSP + de la Défense et les friches populaires des cités du 93.

Dans Le Parisien, Clémentine constate que le double meurtre de Noisy-le-Sec a été relégué dans les pages de la rubrique des chiens écrasés. La veille, il avait fait la « une ». Les politiques s'étaient emparés de l'affaire. Chaque camp se renvoyant la responsabilité de cette flambée de violence. Le nom de Hansen déclenchant des flots de réactions. La tempête médiatique s'est calmée depuis

L'assassinat et la mutilation des Afghans ont, quant à eux, à peine été évoqués dans une brève de quelques lignes. Blanchard a choisi de cloisonner les deux affaires. Il communique avec parcimonie avec les journalistes. Il les laisse dans le flou sans établir de lien entre les morts. C'est sa stratégie pour mener son enquête. Le secret gage de la sérénité. Roussel n'a pas son mot à dire.

Pour l'instant, elle attend Dumas en sirotant un verre de blanc. L'inspecteur est allé récupérer les affaires de Maïa, le rapport des experts, reconnaître le corps même s'il n'y a aucun doute sur son identité... Clémentine a choisi de se tenir en retrait. Voilà deux jours qu'elle repousse ce moment. C'est qu'il lui est impossible de voir le cadavre de sa sœur.

Dans sa tête dansent les derniers mots qu'a prononcés François avant qu'elle ne le jette dehors... La dealeuse deL'Empire... Une pharmacie ambulante, un laboratoire à elle toute seule, amphétamine, méthamphétamine, héroïne, cocaïne... Dans les W-C. de L'Empire... S'il ne lui a rien dit, c'était pour la protéger... Il tient à elle...

Elle l'a mal pris... Très mal... Il l'a accusée d'être dans le déni... Elle lui a indiqué la porte...

Dumas revient, les bras chargés. Il a dans une main un sac avec les effets personnels de Maïa et dans l'autre le rapport des médecins légistes. Il étale le contenu sur la table du bistrot tout en jetant un regard désapprobateur sur le verre de vin.

- Racontez-moi, Dumas, au lieu de me faire la morale, je vous en prie.

- C'est bien votre sœur. Aucun doute. Elle a vos traits, votre nez saillant, votre bouche droite presque sans lèvres, vos cheveux fins longs et raides... Elle avait l'air tranquille, apaisée...

Son visage est intact, très beau, très pâle, d'une blancheur presque translucide. Je n'ai pas voulu voir le reste...

Tout en l'écoutant d'une oreille attentive, Roussel jette un coup d'œil à la liste des vêtements que sa sœur portait ce jour-là, T-shirt jaune, veste en Jean, baskets au pied, culotte et soutien-gorge en coton, pantalon de survêtement de couleur noire, du 40.

Elle tique sur cette dernière information. C'est deux tailles au-dessus des vêtements que portait habituellement Maïa. Du 36, comme elle. Vers douze ou treize ans, c'étaient deux longues brindilles, longilignes. Elles étaient à la limite de l'anorexie, les sœurs Roussel. Plates comme des limandes.

Il revient à sa mémoire des complexes d'adolescentes et les moqueries de leur père. L'ogre savait taper ou ça faisait mal. Avec leurs petites poitrines, leurs minceurs à faire peur, il martelait que jamais elles ne trouveraient de mecs...

Roussel s'efforce de ne pas lire l'analyse minutieuse des nombreuses blessures que pointe le rapport du médecin légiste pour se concentrer sur les notes annexes : aucune consommation de stupéfiant ni d'alcool depuis des mois. Voilà qui l'aidera à conforter sa thèse auprès du juge.

Des rapports sexuels sans violence et sans préservatif dans les heures qui ont précédé sa mort. Elle poursuit sa lecture et déchiffre en bas de la note, placé là comme s'il s'agissait d'un détail sans importance :

« Enceinte de quatre mois ».

Elle lit et relit ces mots comme s'ils possédaient un autre sens que celui qu'elle a sous les yeux. Après un instant de sidération, elle semble enfin prendre conscience de la nouvelle. Elle grandit dans son esprit, prend des dimensions énormes, gigantesques, vertigineuses. Sa sœur attendait un enfant et non seulement elle n'en savait rien, mais c'était la dernière personne qu'elle aurait imaginée dans cet état. Cette surprise la cueille tel l'uppercut d'un boxeur audacieux.

Sonnée, elle regarde Dumas.

- Vous avez lu le rapport ?

- Je suis désolé pour votre sœur et son enfant...

Elle se lève et sort dans la rue. Elle prend son portable et crie dedans : « Maman, appelle-moi, bon dieu. » Elle raccroche en se tenant à la façade de l'immeuble qui abrite le bar.

Des sanglots coulent le long de ses joues écarlates quand elle sent se poser une main bienveillante sur son épaule. Elle se retourne, c'est Dumas. Il tient le sac en plastique.

- Il y a peut-être des indices là-dedans.

- Vous avez raison. Je dois me reprendre. Excusez-moi.

- Ce n'est rien... Venez... Allons à l'intérieur... Nous serons mieux...

De retour à leur table, Dumas vide le contenu du sac plastique contenant les affaires trouvées sur la morte, entre le verre de vin blanc de Roussel et sa tasse de thé. Un trousseau de petites clefs genre clefs de valise, un porte-monnaie avec une carte bleue à son nom, deux billets de cinquante euros, des papiers d'identité, une carte de visite avec le nom d'une banque. Un mini miroir cassé. Une montre. Une Swatch, tiens donc... Roussel se penche. Elle ne fonctionne plus. Le cadran indique dix heures quarante-cinq. Elle se tourne vers son subordonné assis à ses côtés.

- Vous avez votre Opinel ?

- Toujours pendant le service lui répond l'inspecteur en fouillant dans ses poches à la recherche de l'objet

Peu après, il lui tend le couteau.

- Ça va sous paraître étrange, Dumas, mais avec Maïa, on s'amusait souvent à planquer nos secrets dans le boîtier de nos montres. C'était notre côté garçon manqué ou princesses débrouillardes.

- Vous oubliez que j'ai deux filles et que rien ne peut plus m'étonner

- Voyons voir si je n'ai pas trop perdu la main, dit Clémentine, tandis qu'elle s'escrime à glisser la lame par une fente à peine visible sous le boîtier. Après quelques tâtonnements, ce dernier finit par céder libérant une très fine bandelette de papier sur laquelle se détachent des lettres écrites en majuscule.

Roussel se saisit du mot, le déplie, le tend à Dumas qui lit :

ALEX 3/09/01 NOISY 10 h 40.

- Qu'est-ce que c'est d'après vous, commissaire ?

- On dirait un pense-bête pour un rendez-vous.

- Avec le lieu et l'heure du crime.

- Et sans doute le nom du commanditaire...

- Alex, vous connaissez ?

- Non... je ne vois personne de ce nom-là dans l'entourage de Maïa, mais il m'a semblé voir ce prénom il y a peu...

- Des Alex, le diminutif d'Alexandre ou d'Alexandra, il y en a à la pelle, une fille, un garçon... ça ne nous avance guère...

- Si, on progresse quand même... le livre préféré de ma petite sœur c'était Hansel et Gretel.

- L'histoire du pain de mie.

- Oui, elle a peut-être semé d'autres miettes... Ailleurs...

- Ce qui signifie qu'elle se sentait...

- En danger... oui, c'est fort possible. On a attiré Hansen et ma sœur dans un piège, voilà ce que nous dit cette bandelette de papier.

Dernier regard sur le contenu de la table. Roussel aimerait garder la montre. Tout ce qui reste de Maïa, la petite pute toxico abusée par son père, reniée par sa mère, abandonnée par sa sœur et à l'aube d'entamer une nouvelle vie avec son bel et riche amoureux... fonder une famille... s'éloigner de ses démons. Trop tard. Rattrapée par son destin de paumée.

Une bouffée de haine soudaine, mais parfaitement rationnelle s'empare de la commissaire. Retrouver cet(te) Alex, lui faire payer pour cette exécution froide et lâche.

Courcelle-sur-Seine. Un autre monde, une autre planète. Roussel contourne la ville par le périphérique, emprunte un boulevard et arrive directement aux abords de bâtiments modernes installés à l'extrémité de la commune sur les bords de Seine sur des terrains récupérés dans une zone portuaire moribonde et putride. Elle se gare dans une rue parallèle dans un parking souterrain. Sur sa droite, de grands immeubles bourgeois datant du XIXesiècle avec des petits espaces verts entourés de grillage, un peu écrasants, et sur sa gauche ces constructions nouvelles d'un ou deux étages avec des devantures soignées au rez-de-chaussée et sans doute des bureaux au-dessus. C'est dans ces bâtiments cubiques qu'elle a rendez-vous avec le supérieur de Maïa. D'après sa carte de visite, elle était assistante pour un promoteur immobilier.

Ambiance feutrée. Apparemment pas âme qui vive dans le quartier. Curieux, à cette heure de la matinée. Au loin, des femmes de ménage ont fini leur service et s'engouffrent dans une bouche de métro, sinon c'est le désert. Sauf dans les bureaux. Roussel y entre. Trois femmes travaillent dans un « open space » au milieu de dossiers entassés et d'ordinateurs avec écouteurs et micros branchés en permanence créant un brouhaha infernal. Roussel, s'approche de celle la plus proche de la porte, la seule qui ne soit pas en communication avec des clients, la cheffe visiblement. Avant que la commissaire ait eu le temps de se présenter, la jeune femme lui dit :

- Bonjour, je m'appelle Hélène Bellavoir et vous, vous devez être la sœur de Maïa... Vous lui ressemblez beaucoup... Toutes mes condoléances... On appréciait énormément ses compétences. Monsieur Denoyer vous attendait plus tôt. Je vais le prévenir. Elle envoie un texto.

Ces mots font chaud au cœur de Clémentine. Enfin quelque chose de positif sur sa frangine.

- Merci pour elle. Vous connaissiez bien ma sœur ?

- Pas tellement. Dans notre boulot, on n'a pas le temps de trop se lier et de bavasser, mais on devinait tout de suite que c'était une belle personne.

- Hum, je vois (sourire attristé)... Il n'y a pas grand monde par ici.

- Les travaux ne sont pas terminés. Le quartier est en pleine reconstruction, et nous en pleine expansion. Nous allons nous agrandir. D'ailleurs, monsieur Denoyer est en visite. Il supervise la fin du chantier dans l'immeuble d'à côté.

Une lumière s'allume sur son écran.

- Excusez-moi. Je dois répondre. Le client est roi. Je vous laisse rejoindre monsieur Denoyer. Vous sortez et vous rentrez par la porte d'à côté. Vous ne pouvez pas le rater.

Effectivement, Denoyer n'est pas difficile à trouver. Il est là, de dos, seul en costume entre deux ouvriers en tenue de protection et en chaussures de sécurité, un plan étalé devant lui, sur une table sur laquelle ils sont penchés. Sur les murs, des traces à la craie et au crayon de papier indiquent les endroits où il faut percer. Sur les marches d'un escalier, des boîtes de fournitures entassées et entre les fils électriques, la future enseigne de l'entreprise : « Denoyer Immobilier ».

- Monsieur Denoyer ? Je suis la commissaire Roussel.

Il se retourne. Pas très grand, cheveux longs, des lunettes et un visage carré, bronzé toute l'année, sans doute autour de trente-cinq ans, mais on lui en donnerait dix de moins. Un golden boy dans toute sa splendeur. Une caricature de yuppies.

- Vous tombez mal. Nous sommes très en retard sur les travaux, un comble pour un promoteur immobilier. Nous perdons un temps fou. Je suis obligé de tout prendre en charge, ici.

- Ça ne vous prendra que quelques instants...

Il lui tourne le dos et continue à donner ses indications aux ouvriers. Il paraissait pourtant disposé à coopérer quand tout à l'heure Clémentine avait pris rendez-vous avec lui. Un brave type, disait le commissaire de Courcelle-sur-Seine. Mais qui peut bien l'être par ici, dans cette foutue ville en pleine mutation dans l'Ouest parisien, dans le département le plus friqué de France, dans l'antre du pouvoir, de la corruption et des mensonges ? Roussel l'attrape par le bras, une légère pression sur le muscle pour le forcer à lui faire face.

- J'ai besoin que vous me parliez de ma sœur. Vous répondez à mes questions maintenant ou je vous envoie une convocation dans mon bureau avec deux agents en tenue pour vous embarquer devant votre personnel.

                         

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