Au quai d'Orsay. Une missive manuscrite au tracé d'une plume, cursive, en continu, passéiste...
Très cher Ministre,
Comment choisir son univers dans cette pénombre lancinante et nauséabonde qui entoure notre avenir ? Laissez-vous entraîner vers la lumière et suivez le guide suprême, ce fils miséricorde que Dieu le père nous envoie à l'aube d'une nouvelle ère. Sur le sacro-saint de cette foi, de la justice divine et de la préservation du bien terrestre, il vous rendra grâce, vous libérera de la contrainte comme le vent sait si bien le faire et vous rendra la fierté telle la pierre dressée au gré des éléments les plus funestes. Il vous transmettra assurément un monde meilleur et plus merveilleux qu'aucune imagination sur terre n'ait à ce jour encore pu en rêver.
En attendant votre présence parmi nous lors de la réception donnée en l'an de grâce 2022 datée du 19 de mai par la Sainteté le Pape Louis 7 à la Basilique Saint-Pierre de Rome.
Veuillez recevoir Monsieur le Ministre mes... et blablabla... !
Le ministre des Affaires étrangères et ancien ministre de l'Intérieur après un remaniement ministériel, resta dubitatif quelques secondes tout en retournant la carte pour ne rien voir de plus qu'une interrogation. Quel message intemporel voulait-on lui signifier ? Une invitation à Rome ? Sa femme en serait ravie. Dieu envoyant son fils sur terre d'après la prédiction ? Fantasme biblique ? Les services de la papoté craignaient-ils pour la sûreté du pape ? Auraient-ils eu vent d'un quelconque projet d'attentat par une officine étrangère ? On cogna fébrilement. Le ministre leva le menton vers son secrétaire particulier dont la tête dépassait l'entrebâillement de la porte.
- Alors monsieur le Ministre ?
Celui-ci dressa les sourcils, les yeux écarquillés.
- Quoi alors ?
- Eh bien, le frère De Lebardin attend que vous le receviez. Il a pris rendez-vous. Plusieurs semaines qu'il demande une entrevue.
- Ah ? Le frère ? De Lebardin ? Ah... je... mais... ? Ah oui, c'est lui ce message ?
- Vous m'avez bien dit : pas maintenant, monsieur.
- Euh oui ! Enfin non, mais quand je suis en communication avec ma femme, je ne veux pas qu'on me dérange sous un prétexte aussi veule. Enfin bon, on ne sait pas bien compris... Il faudrait à l'avenir vous faire plus explicite dans votre communication ou sinon, c'est la porte que vous allez prendre !
Il leva les yeux, un brin exaspéré. Maintenant, il se souvenait des mots qu'il n'avait su mettre dans leur contexte entre les reproches de sa femme et son devoir ministériel. Les jours lui paraissaient si longs. Il se renfrogna quelque peu. Cet homme d'Église voulait certainement une réponse pour sa mauvaise intuition. Il allait en obtenir une qui ne tarde à le remettre sur le chemin de la sortie.
- Allons, Bresson, faites donc entrer ce... ce moine.
Une minute s'écoula à peine avant que l'homme en soutane avec une sacoche de cuir en bandoulière apparût, le visage jovial et rougeâtre, gracieux et tout en rondeur. Une poignée de main cordiale plus tard avec les amabilités d'usage, le ministre lui proposa le fauteuil devant son bureau. Les pas lourds du prêtre avec ses grosses chaussures avaient mis à mal le parquet comme jamais il n'eut à l'entendre. Le ministre, plissant les yeux, sourit discrètement en voyant en ces lieux un homme peu ordinaire.
- Veuillez m'excuser de vous avoir fait attendre aussi longtemps, j'étais en communication avec le Président.
- Voilà sans doute le mauvais côté des affaires courantes d'un pays. Un travail harassant, je suppose ?
Derrière le moine, le ministre vit son secrétaire faire la moue en inclinant brièvement la tête. «Toi, mon mignon, si tu continues, tu vas prendre mon pied où je pense ! », pensa-t-il en s'asseyant face à son visiteur. Il croisa les doigts sur son bureau, le sourire sarcastique et plutôt en opposition à la sagesse du frère De Lebardin qui venait de lancer un regard circulaire sur la hauteur de plafond puis vers les dorures émaillant de tous côtés. Tout semblait briller dans ses yeux avant que ses lèvres s'en émerveillent aussi.
- Que puis-je pour vous, mon frère ?
- Vous...
- Vous êtes dans l'antre de la République avec une constitution qui prône la laïcité et assis dans un fauteuil qui n'a pas forcément vocation à y recevoir le postérieur d'un religieux et quel qu'en soit son prophète.
- Je...
- Il me semble que ce ministère ne soit pas la bonne porte. Voyez mon secrétaire pour ça, il vous guidera et vous orientera vers les services compétents afin de résoudre votre réclamation dans les plus brefs délais.
Le curé secoua les mains en y maîtrisant son hilarité.
- Vous n'y êtes pas du tout, mon fils. Je n'ai aucun mal à vous croire. D'ailleurs, le fauteuil m'est très agréable, rigola-t-il en se trémoussant sur le siège. Et Dieu, je l'espère, nous donnera l'occasion d'en aimer d'autres avec la probité divine.
- Venez-en aux faits, vous seriez gentil.
- Jamais le seigneur ne me demande de ne pas l'être. Je ne suis que le messager de ses paroles.
Le ministre écarquilla les paupières sur cet homme d'église tout en couleur. Il l'aurait même trouvé délicieux s'il n'avait pas autre chose à faire.
- Frère De Lebardin, entonna-t-il d'un air las, j'ai des affaires à traiter. Alors, que me voulez-vous exactement sans tourner autour du pot ?
- J'ai juste une requête à vous formuler, se hasarda-t-il d'une petite voix mais sans perdre son sourire. Elle ne retiendra votre attention que pour quelques instants et elle ne vous décevra pas. Mais en toute discrétion, seulement vous, moi et le bon Dieu.
Le frère De Lebardin s'était retourné en même temps sur le secrétaire avec un large sourire de circonstance. D'un signe de tête, le Ministre renvoya son subordonné. Porte close, ils se dévisagèrent. Inexplicablement, le Ministre se sentit mal à l'aise sans qu'étrangement son visiteur ne s'en montre perturbé. Tout simplement, lui n'avait sans doute pas peur de mourir, estima-t-il de ce moine jusqu'à l'impression de devoir s'en méfier.
- Si vous avez besoin d'une subvention pour la rénovation d'une église, voyez plutôt le ministère de la culture même si la séparation de l'état avec l'église est actée depuis longtemps. Le financement du culte n'est plus du ressort de l'état. Mais je sais que la restauration du patrimoine est aux yeux du président un sujet digne d'intérêt... alors...
- Oh non ! Nous avons des donateurs très généreux pour cela.
Le curé se pencha vers le bureau avec un visage tout aussi généreux et chuchota avec une certaine espièglerie.
- Il faut bien le reconnaître et en toute honnêteté, l'archevêché n'est pas à plaindre et... je ne suis venu que sur les recommandations de mon diocèse et en simple relai de la parole du tout puissant
Le ministre fronça les sourcils, de plus en plus intrigué. Ce type n'avait rien de commun. Le moine sortit méticuleusement une grande enveloppe kraft de sa sacoche. Les traits toujours aussi avenants, il se leva, le dos courbé comme pour se plier à l'autorité d'un seigneur, et la glissa délicatement sur le bureau avant de se rasseoir. Le Ministre la repoussa immédiatement sur le rebord.
- De Lebardin ! C'est bien ça ?
Le bien nommé acquiesça avec un gracieux clignement de cils mélangeant plaisir et fierté.
- Je ne mange pas de ce pain-là ! Je vous rappelle que vouloir corrompre un homme dépositaire d'une autorité ou d'une fonctionnalité administrative est un délit et punissable par les lois de la république.
- Rassurez-vous, ne voyez aucune corruption dans cette initiative, mais juste un service que Dieu vous rendra le jour venu.
Le regard du ministre s'assombrit, le teint pâle, ne maîtrisant plus son exaspération.
- Rangez-moi le bon Dieu dans un coin de votre pensée, voulez-vous bien ! Il me sera grand temps de converser avec lui le jour venu s'il a quelque chose à me reprocher. Alors, venez-en au fait, s'il vous plaît et rien qu'au fait ! Merci !
Le sourire du prêtre ne quitta pas son visage. Une attitude qui eut le don d'énerver un peu plus le Ministre pour l'avoir ressenti dédaigneux.
- Je ne crains pas que votre conscience soit perturbée, car vous êtes, j'en suis sûr, quelqu'un de respectable avec un enseignement sans faille pour les générations futures.
- En tout cas, je m'y emploie.
- Oh, certainement. Vous êtes le principe même de la conscience à analyser, comprendre et discerner le bien du mal.
- J'estime être assez intelligent pour en reconnaître le bon et ses méfaits sur l'homme.
- Et pourtant, je crois savoir que vous n'obéissez pas toujours à cette philosophie, certainement un moment d'égarement par un effet d'égoïsme. J'en conviens, cela peut traverser n'importe quel esprit sur terre.
- Le mien s'interdit de penser à mal mais au bien de mon pays. Que cela vous gêne ne me contrarie pas.
- Oh non, vous n'y êtes pas du tout. Je préconise la pensée du long terme dans l'application de vos actions. Cela devrait être la règle de base pour tout homme dont le pouvoir est grand et oriente le destin des Français.