French touch
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Chapitre 2 No.2

Le quartier est bouclé par le RAID. La grosse cavalerie est de sortie. Un dispositif impressionnant se déploie. Un hélicoptère survole l'immeuble cerné par les forces de l'ordre. Il guide les policiers au sol. Ils évacuent ses habitants, les mettent à l'abri derrière des barrières. D'en bas, ils observent le ballet des tireurs d'élite prenant position sur les toits environnants. Tout le monde est en place, attendant un signal. Moments d'attente et de tensions.

Un silence angoissant enveloppe la cité, épaisse pellicule qui flotte au-dessus d'une atmosphère pesante. Roussel et Dumas se fraient un chemin parmi la foule. Dumas use de son charme et de son sens des relations pour gagner les premiers rangs. Avec son physique de rugbyman, sa musculature impressionnante, son visage lisse, mais jovial, il sait séduire, mais aussi jouer des coudes avec fermeté quand il le faut. Deux qualités essentielles dans ce métier.

Dumas, c'est le genre tenace qui cherche toujours à en apprendre davantage. Flic jusqu'au bout des ongles. Il fait équipe avec Roussel depuis les débuts de la commissaire aux stups. Deux ans déjà qu'il l'accompagne, aussi bien dans ses errements que dans ses certitudes. Ils partagent une admiration réciproque l'un pour l'autre et une complicité de tous les instants. Clémentine l'a aidé quand sa femme est morte des suites d'une longue maladie l'an passé. Il aurait pu sombrer si la commissaire n'avait su trouver les mots et poser son regard attendri sur le veuf. Ils ont beaucoup échangé sur leurs vies respectives. C'est à cette occasion que Clémentine lui a parlé de Maïa. Dumas ne l'a rencontrée qu'une seule fois, par hasard. Un soir de blues intense, il avait débarqué chez Clémentine, comme ça sans prévenir, alors qu'elle recevait sa sœur. Ce qui l'avait le plus marqué en dehors de la ressemblance frappante entre les deux, l'une blonde, l'une châtain, c'étaient les airs de droguée de Maïa. Dumas avait reconnu chez elle cette impression permanente d'être en pilotage automatique dans un nuage d'éther.

Il observe sa patronne de vingt ans sa cadette, enfoncée dans son silence. Malgré l'envie qu'il en a, Dumas, n'ose plus engager la conversation et cherche à s'occuper derrière les barrières parmi les passants. Il glane quelques informations ici et là. Le RAID vient de poser de manière acrobatique micro et mini caméra au huitième étage. Visiblement, il y a un problème de localisation des occupants. « Ils ont disparu », dit quelqu'un. « Des formes ont été aperçues dans la salle de bain », dit un autre. « Ils se sont retranchés dans cette pièce borgne », assure un troisième. Voilà qui ne va pas faciliter la tâche des tireurs d'élite. Que faire ? Il faut les appréhender, mais éviter la casse. Hésitations sur la conduite à suivre.

Roussel et Dumas aperçoivent le commissaire Blanchard en grande conversation avec ses homologues de l'unité d'élite. Un hochement de tête. L'assaut semble imminent. La troupe retient son souffle. Des hommes en cagoules sur les toits, dans les couloirs, sur l'échafaudage de l'entreprise de BTP, se synchronisent.

Un grésillement retentit dans les talkies-walkies. Ensuite, tout va très vite. Une courte explosion défonce la porte de l'appartement 505. En quelques secondes, quatre hommes s'engouffrent par la porte béante dans l'appartement, l'arme au poing. Trois autres assaillants cassent les vitres depuis l'échafaudage et sautent dans le salon. Ils progressent jusqu'à la salle de bain, font les sommations d'usage. Pas de réponse. Le chef du groupe pousse la porte avec le bout du canon de son Colt 45. Elle s'entrebâille. Il risque un œil par l'ouverture, s'ensuit un bref mouvement de recul. Il ouvre la porte en grand dévoilant à ses compagnons un spectacle sanguinolent. Deux garçons nus, très jeunes, couchés sur le dos, comme empilés l'un sur l'autre dans la baignoire. Morts. Des balles de gros calibre ont emporté leurs visages, leurs mains ont été découpées, sciées à la base du poignet. Du travail de pro... L'appartement a été « nettoyé », aucun vêtement, pas d'armes, un mobilier sommaire. Un flic renverse une table basse pour se calmer les nerfs. Il est seize heures trente. Maïa est morte depuis bientôt sept heures. Le nouveau millénaire commence dans huit jours.

Dans un immense bureau lumineux du quai des Orfèvres, Blanchard d'un côté de la table de son bureau, Roussel de l'autre, fébrilement assise sur une chaise. Dumas s'est installé sur un fauteuil, un peu en retrait. Pour Roussel, la découverte des corps des deux tueurs a été brutale. Elle voulait voir à quoi ressemblaient les assassins de sa sœur. Curiosité malsaine. Elle ne s'attendait pas à un tel carnage. Des traînées de sang ont giclé sur le carrelage de la salle de bain, jusqu'au plafond. L'odeur de la mort dans ce local confiné était insupportable. Les ambulanciers et les pompiers pataugeaient dans des bouts de cervelles projetés au sol. Gros plan sur le vide, à la place des yeux, les sommets des crânes. Plan rapproché sur les poignets réduits à des moignons. Des vagues de nausée, une envie de vomir, Clémentine reconnaît les symptômes de la crise d'angoisse à venir. Le commissaire Blanchard l'a repérée juste avant qu'elle n'entre en crise de tétanie. Il l'interpelle.

Ne perdre ni le contrôle ni la face devant cet inconnu. Elle se rattrape de justesse au bras de Dumas. Elle décline son identité en bafouillant. Blanchard se fait tout miel.

La perspective de résoudre rapidement l'affaire s'est envolée. Il a besoin d'en savoir plus sur Maïa. Il lui propose de faire le point sur l'enquête. Un échange de bons procédés.

Durant le trajet jusqu'au siège de la PJ, Roussel est entrée en phase de lente décompression. Sur place, Clémentine est encore parcourue de frissons ; pour un peu, elle claquerait des dents. Blanchard lui tend une tasse de café avec un fond de cognac. Roussel apprécie ce premier geste de compassion de la part de l'institution. Sur les quais de Seine, un chien aboie. Blanchard résume la situation.

- Les deux tueurs ont été exécutés par un ou plusieurs individus avant l'intervention du RAID. Leurs mains ont été cisaillées et leurs têtes arrachées, pour rendre difficile leur identification. Le ou les assassins se sont enfuis par l'échafaudage avant notre arrivée. D'après les habitants, les tueurs parlaient dans une langue bizarre, de l'arabe ou quelque chose d'approchant qui laisserait supposer que ces deux jeunes gens étaient originaires du Moyen-Orient. Mes hommes ont fait établir des portraits-robots d'après les témoignages des habitants de l'immeuble. J'ai mis mon meilleur spécialiste sur le coup... On a également fait des prélèvements ADN, on verra...

- Et vous pouvez aussi emprunter une autre piste pour remonter aux commanditaires de ces meurtres : découvrir le mobile et cerner le profil des victimes, notamment celui de ma sœur, je suppose que c'est pourquoi vous m'avez fait venir ici, dit Roussel, d'une voix mal assurée.

- J'ai consulté son casier judiciaire. Il est long comme le bras... arrêtée de nombreuses fois... jamais vraiment condamnée... Si, une fois, elle a pris six mois de prison avec sursis...

- ... Pour usage et trafic de stupéfiants... Les autres fois, c'était pour vol et prostitution. Les juges ont été cléments... Et vous vous demandez s'il n'y aurait pas à creuser de ce côté-là et comment une flic de la brigade des stups peut avoir une sœur toxico, pute, voleuse...

Roussel marque une pause avant de continuer sur un ton plus affirmé.

- Je n'ai jamais été proche de Maïa. Nous nous sommes perdues de vue quand ma mère m'a pris avec elle. Mon père, ce salaud, est mort dans un accident, il y a quelques années, preuve qu'il y a une justice dans ce bas monde. Nous avons suivi des chemins différents... Avec Maïa, on se voyait de manière brève et occasionnelle. Nous étions des étrangères l'une pour l'autre.

Alors qu'elle termine son récit laconique sur sa non-relation avec sa sœur, Dumas croit déceler une larme au coin de l'œil de Clémentine.

Dehors, les aboiements du chien redoublent d'intensité. Blanchard se lève pour fermer la fenêtre. La chaleur estivale dans laquelle baigne l'île de France en ce début de septembre retombe dans la pièce.

- La dernière fois que nous nous sommes vus, c'était l'an passé. L'inspecteur Dumas, ici présent, peut en témoigner...

Sur son fauteuil, Dumas hoche la tête, en guise d'approbation.

- Et quelle a été la teneur de vos discussions ?

- Avec les antécédents de ma sœur, vous imaginez que nous avons parlé de la pluie et du beau temps, de maquillage, de projets d'avenir ? Elle était venue me demander de l'argent comme d'habitude pour s'acheter ses doses... J'étais sa seule famille depuis que ma mère refuse tout contact avec sa deuxième fille. Elle a rayé Maïa de sa vie...

- Vous lui avez donné ce qu'elle vous demandait ?

- Oui, qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Je lui ai dit de partir et que c'était la dernière fois.

- Vous regrettez ?

- Ça me regarde...

- Oui, pardon, excusez-moi.

- Je ne l'ai pas revue depuis. Vous en savez probablement davantage...

- Si peu, nous ignorons jusqu'à son domicile... C'est pourquoi nous comptions sur vous, commissaire Roussel.

Clémentine sent les yeux de Blanchard s'enfoncer comme une perceuse dans son cerveau. Dumas lointain, au fond d'un tunnel. Chaleur intense, impossible de contrôler les spasmes.

- À Versailles.

- Chez quelqu'un ?

- Je ne sais pas. Elle m'a laissé un message sur mon répondeur, il y a trois mois, pour me signaler qu'elle allait mieux...

- Vous ne l'avez pas rappelée ?

- Non, je vous l'ai dit, je voulais couper les ponts...

Blanchard se lève, fait quelques pas

- Commissaire Roussel, on se dirige droit dans le mur... Si vous ne vous montrez pas plus coopérative... La version moderne et féminisée d'Abel et Caïn, ça ne m'intéresse pas...

Dumas intervient.

- Clémentine, Maïa vous a-t-elle dit autre chose ? Un détail qui pourrait...

De l'autre côté de la fenêtre, le chien continue à aboyer. Roussel sent les aboiements résonner dans sa cage thoracique.

- Qu'elle travaillait pour un promoteur immobilier.

Blanchard se rapproche de la chaise de Roussel. Son visage s'éclaire.

- Ça ne vous a pas étonnée, cette reconversion ?

- Maïa a fait des études de commerce ou de banque, je ne sais plus. Ça m'a paru plausible, même si j'avais perdu l'habitude de croire à ce qu'elle me disait...

- Et Swan Hansen, vous le connaissez ?

- Je sais que c'est un DJ en vue dans l'Ouest parisien. Il y avait son portrait dans les Inrockuptibles.

            
            

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