Braquage posthume
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Braquage posthume

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Chapitre 1 No.1

Le téléphone sonna à huit heures quinze, Jean-Loup ouvrit un œil, puis le referma et se mit la tête sous l'oreiller. On n'a pas idée de déranger les gens à une heure pareille un samedi matin, pensa-t-il. D'autant plus que la veille, il avait un peu trop arrosé le départ à la retraite d'un collègue de travail, et que la soirée s'était terminée très tard, ou plutôt très tôt devrais-je dire. À la dixième sonnerie, le téléphone se tut. Jean-Loup crut enfin pouvoir se rendormir tranquillement, quand tout à coup un nouveau concert téléphonique retentit.

Mais qui peut m'en vouloir à ce point, dit-il en maugréant. Il se leva péniblement et se dirigea vers l'appareil. Ayant saisi le combiné il décrocha un « Allo » qui paraissait venir d'outre-tombe tant son état était comateux. Heureusement, la voix à l'autre bout du fil était beaucoup plus claire et les phrases qui en sortirent parfaitement audibles et précises. Jean-Loup écarquilla d'abord les yeux, puis ouvrit grand la bouche et finit par s'asseoir sur une chaise.

Jean-Loup est un robuste gaillard, trente-cinq ans, célibataire de son état, profitant de la vie et de la bonne chair avec ses copains, bref, un vrai épicurien. D'un esprit assez simple et d'une intelligence moyenne, son niveau d'instruction n'étant pas très élevé, ayant arrêté ses études assez tôt pour suivre un apprentissage. Il faut dire que l'école ne l'intéressait pas du tout, et puis son caractère et son air goguenards avaient le don d'agacer ses professeurs. C'est donc avec un certain soulagement que sa maman signa pour son fils, alors mineur, un contrat d'apprentissage chez un boucher. Elle qui se demandait souvent ce qu'elle pourrait bien faire de son gamin, tant il était médiocre à l'école. Cette femme courageuse avait élevé seule son fils, et l'autorité paternelle avait fait défaut. De plus, souvent elle rentrait tard le soir, bien fatiguée par ses ménages, et le petit Jean-Loup se retrouvait seul, livré à lui-même. Heureusement, il n'avait pas mal tourné. Paradoxalement s'il n'aimait pas l'école le jeune Jean-Loup adorait les livres, mais pas n'importe lesquels. Ceux qui parlent de la nature avec de belles photos d'animaux, de paysages montagneux, et de lacs. Il pouvait passer des heures à rêvasser dans ses livres. À l'inverse de l'école, son apprentissage en revanche ne s'était pas trop mal déroulé, à part dans les premiers temps où il avait dû se soumettre à la discipline ainsi qu'à l'autorité patronale, mais il s'était vite adapté. Le travail en lui-même ne lui déplaisait pas. Faire ça ou autre chose, pour lui l'essentiel était de ne plus retourner à l'école. C'est pourtant ce qu'il devait faire une semaine par mois pour suivre les cours professionnels. C'était sans doute pour lui la partie la plus désagréable. Cependant avec beaucoup de persévérance et quelques coups de pied aux fesses donnés par le patron, trois années plus tard, Jean-Loup obtint son CAP. Le patron ravi l'embaucha aussitôt, et Jean-Loup travailla à la boucherie jusqu'à son service militaire effectué en Allemagne. De cette période, il n'a gardé que le souvenir des tavernes à bière et autres clandés où un soir de débauche il était devenu un homme. Plus sérieusement cette fois, il avait passé tous ses permis de conduire, ce qui lui permettrait peut-être plus tard d'agrandir ses horizons professionnels une fois revenu à la vie civile, et puis aussi de se débarrasser de sa vieille mobylette qui lui servait de moyen de locomotion. Son service militaire terminé, il revint vivre avec sa maman, mais ne retourna pas travailler à la boucherie, il se fit embaucher dans une grosse entreprise de pompes funèbres comme chauffeur, et porteur. Ce qui lui faisait souvent dire « Avant je bossais dans la viande fraîche, aujourd'hui je suis dans la viande froide ». De cet humour douteux, il en abusait souvent, et cela pouvait choquer certains qui ne le connaissaient pas ou peu. Un jour, il était passé prendre une de ses conquêtes à la sortie de son usine, avec son véhicule de service, autrement dit un corbillard. Le gag n'était pas passé inaperçu, et chacun avait apprécié à sa façon. Certains étonnés, d'autres morts de rire, c'est bien le moins que l'on puisse dire. D'autres encore furent choqués, ce fut d'ailleurs le cas de la dulcinée qui refusa de monter dans le véhicule et qui rompit illico. Rien ne la fit changer d'avis, pas même les roses envoyées à son domicile pour se faire pardonner. Là aussi, il avait poussé le bouchon puisqu'il les avait fait mettre en couronne. Vous pensez bien que ce n'était pas fait pour arranger les choses. Une autre fois, et sous prétexte qu'il enterrait la vie de garçon d'un copain, ils avaient débarqué au bal d'un village voisin, avec le même véhicule. Là aussi, cela avait produit son effet, et si certains avaient bien rigolé, ce ne fut pas le cas de son patron quand il apprit la nouvelle relayée par la presse locale. Le vieux père « Lachaise » de l'entreprise du même nom convoqua Jean-Loup, et après un savon carabiné, lui infligea deux jours de mise à pied. Après cette mésaventure, il ne fit plus de bêtises, et devint même un employé modèle tant et si bien qu'après avoir regagné la confiance de son patron celui-ci lui donna de la promotion. Au fil du temps, ses conquêtes s'étaient espacées pour laisser la place à ses deux passions, la pêche et la chasse. Jean-Loup rentra dans un célibat plutôt douillet, ce qui lui convenait parfaitement. Non pas que les femmes le laissaient indifférent, mais elles avaient surtout tendance à l'encombrer. Cependant parfois, et pour l'hygiène comme il disait, Jean-Loup rendait visite aux dames de la rue Jeanne d'Arc qui au contraire de celle-ci n'étaient plus pucelles depuis très longtemps.

Au décès de sa maman, il se retrouva donc seul avec pour simple compagnie son Setter irlandais fidèle compagnon de chasse. Il avait hérité en outre de la petite maison qu'il occupait avec sa maman ainsi que de la vielle Renault cinq qui se trouvait dans le garage et qui n'avait pas vu la route depuis des lustres. S'il ne roulait pas sur l'or, Jean-Loup avait de quoi vivre décemment et pouvait assouvir ses deux passions, il ne lui en fallait pas plus pour être heureux. La vie avait donc continué ainsi, paisible, sereine, jusqu'à ce fameux coup de fil un samedi matin.

            
            

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